— Un lâche ?
À peine le mot déshonorant était-il prononcé que Teddy, devenu blême à son tour, avait levé sa cravache et, en plein visage, en avait marqué Wilson Drag.
— Misérable, hurla l’officier, tremblant de colère… et portant d’un geste instinctif la main à son sabre… Vous me rendrez raison.
— Avec plaisir, quand vous le voudrez.
— Tout de suite ?
— Oui…
Mais à ce moment, derrière Wilson Drag, une voix hurla soudain :
— Place, lieutenant. Si vous avez envie de croiser le fer, c’est avec moi que vous le croiserez.
Et celui qui se précipitait ainsi pour empêcher qu’un combat singulier n’eût lieu entre Wilson et Teddy, c’était Fandor.
Fandor, gardé à vue par les soldats, mais nullement chargé de liens, venait d’assister à la querelle.
Et Fandor qui, d’abord, s’était contenu pour ne pas aggraver la situation de Teddy, pour ne pas risquer que par un abus d’autorité, Wilson Drag ne l’arrêtât comme il l’avait arrêté lui-même, Fandor à la fin n’avait plus été maître de sa colère.
Laisser Teddy se battre avec Wilson ?
Non.
Fandor ne le pouvait pas.
C’était monstrueux, c’était impossible, il devait l’empêcher, il fallait l’empêcher.
Teddy était une jeune fille. Quel que fût son entraînement aux exercices physiques, elle n’était évidemment pas de taille à se mesurer avec Wilson.
Laisser ce duel avoir lieu, c’était se faire le complice d’un assassinat. Aussi Fandor avait-il merveilleusement calculé son affaire…
Il avait, quelques minutes, feint l’indifférence pour mieux duper ses gardiens.
Puis, comme Wilson Drag tirait son sabre, comme Teddy se précipitait sur un des soldats pour lui demander le sien et pouvoir, à armes égales, lutter contre le lieutenant, Fandor avait bondi en avant.
Et si vif avait été son mouvement, si rapide avait été sa fuite qu’il était maintenant bien impossible aux soldats de tirer sur lui car, entre eux et lui se trouvait Wilson.
— Lâche, continuait Fandor, vous êtes le dernier des lâches d’oser provoquer un enfant, un gamin de dix-huit ans. Si vous voulez vous battre, c’est à un homme qu’il faut vous en prendre, c’est à moi.
Mais Fandor avait compté sans son hôte.
— Me battre avec vous, Jérôme Fandor ? demanda Wilson Drag. Allons donc, vous n’y songez pas.
— Vous refusez ?
— Je n’ai même pas à refuser.
— Vous vous déshonorez.
— Vous vous rappelez. Monsieur Fandor, votre partie de baccara ? Comme disait l’ami Teddy : On ne se bat pas avec un homme accusé de vol. Vous êtes arrêté, je viens de vous arrêter. Je vous accuse d’avoir mis à mort le noir Jupiter. Je ne me bats pas avec un assassin, moi.
Fandor, blême, les traits décomposés, grinçant des dents, cria :
— Vous n’êtes qu’un lâche. Vous ne pouvez pas vous battre avec Teddy.
Mais, Teddy lui-même lui coupait la parole :
— Parbleu, lieutenant Wilson Drag, cria Teddy, interrompant Fandor, en voilà assez. Si vous n’avez pas peur, allons-y.
Fandor, une fois encore voulut empêcher le duel. Il se jeta entre les combattants.
— Non, Teddy, non, pas cela.
Teddy l’écarta et, rudement :
— Allons, lieutenant, qu’attendez-vous donc pour faire emmener cet homme à l’écart ?
— Soldats, emmenez le prisonnier. Emmenez-le jusqu’à Durban. Je vais vous rejoindre. Le temps de coucher sur l’herbe ce gamin qui m’a insulté.
Les soldats se précipitèrent sur Fandor. Que pouvait le journaliste ? Ils étaient vingt contre lui. Fandor se sentait arraché, bousculé. Des coups l’étourdirent à moitié, les hommes de Wilson Drag l’entraînaient.
Teddy, demeuré seul en face de Wilson Drag, le sabre haut, le visage impassible, attendait l’attaque du lieutenant.
***
— Garde à vous, cria le lieutenant.
— Vive Dieu, répondit Teddy.
Les sabres étincelèrent, se heurtèrent avec fracas, mais tandis que le lieutenant Wilson Drag supportait sans fléchir le choc de Teddy, la jeune fille, elle, était à demi ébranlée par la violence du coup de son adversaire…
Wilson Drag en profita :
Dédaignant le coup de revers, il pointa.
Comme le lieutenant Wilson Drag pointait en se fendant large, Teddy eut le temps de parer…
La lame du lieutenant rencontrant la lame de Teddy glissa et si large s’était fendu l’officier, que la coquille de son sabre vint heurter la coquille du sabre de Teddy.
Les adversaires étaient épaule contre épaule maintenant, au corps à corps. Déjà le lieutenant se dégageait, relevait son arme, s’apprêtait à tailler d’estoc. Teddy allait expier la folle témérité qui l’avait poussée à accepter un combat au sabre…
Mais soudain, Teddy lâcha son arme d’un mouvement instinctif, joignit les mains, cependant que de sa poitrine un cri désespéré s’échappait :
Au moment où Wilson Drag levait sa latte, prêt à en assener un coup mortel à Teddy, un homme derrière lui avait bondi.
Dans la main de ce nouvel arrivant quelque chose avait scintillé une seconde. Le bras de l’homme s’était levé puis abaissé avec une folle rapidité.
Wilson Drag s’écroula sans un cri, tué raide d’un coup de poignard entre les deux épaules.
Teddy qui n’avait pas eu le temps d’intervenir, qui n’avait pu prévenir cet assassinat, Teddy qui eût cent fois préféré la mort à la fin déshonorante qu’on imposait à son duel, cria :
— Assassin.
Et la jeune fille, dans un geste de fière révolte, déjà portait la main à sa ceinture, saisissait son revolver, prête à abattre le meurtrier de Wilson Drag.
Mais Teddy n’achevait pas son geste.
Son revolver, elle le laissa à sa ceinture.
Un sanglot gonflait sa gorge, un vertige la prit qui la fit s’écrouler sur le sol :
— Vous, disait-elle, vous, Fantômas.
Et l’homme qui venait de lui sauver la vie répondit :
— Oui, moi, moi, ton père…
***
Quand Fantômas, quelques heures avant, s’était échappé de l’ossuaire en criant à Juve : « Vous avez sauvé ma fille, merci. » Teddy avait compris l’horrible secret de son existence. Elle, qui tant de fois s’était demandé pourquoi Laetitia l’obligeait à passer pour un garçon, pourquoi Laetitia craignait par-dessus tout qu’elle sût le nom de son père, pourquoi Laetitia à maintes reprises avait tremblé au seul nom de Fantômas, elle apprenait qu’elle était la fille de l’Empereur du Crime.
Et elle l’apprenait au moment où elle venait d’assister au meurtre de Hans Elders, lâchement abattu par le bandit.
Et elle l’apprenait au moment où elle-même avait été sur le point de faire feu sur lui, ne se doutant pas qu’il était son père, et alors que lui, ce père, l’accusait d’un crime sans se douter qu’elle était sa fille.
Et maintenant, voici qu’à nouveau ce père était devant elle.
Voici qu’elle était en présence de Fantômas, voici qu’elle venait de lui voir commettre un nouvel assassinat.
Elle pouvait abattre le forban, elle hésitait, elle se rendait compte qu’un tel acte de sa part eût été le plus abominable forfait.
Tout le monde avait le droit, le devoir même de tuer Fantômas, mais Fantômas, pour elle, était sacré parce qu’il était son père.
Teddy, écroulée sur le sol, à genoux près du cadavre de Wilson Drag, répéta, comme hallucinée :
— Vous, vous, Fantômas.
— Écoute, c’est pour toi ce que j’ai fait. Je te dois des explications, je te les promets, tu sauras tout et tu me pardonneras.
Des lèvres blanches de Teddy, un seul mot siffla :
— Jamais.
— Tu m’aimeras, répéta-t-il… tu m’aimeras, Hélène… quand tu sauras… quand tu sauras… et tu sauras bientôt… demain… dans deux jours, peut-être… Maintenant, il faut que je me cache, il faut que je disparaisse, on me suit, on me poursuit… adieu… au revoir.