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«Adieu, me dit la femme du pope en me reconduisant, adieu, Piôtr Andréitch; peut-être nous reverrons-nous dans un temps meilleur. Ne nous oubliez pas et écrivez-nous souvent. Vous excepté, la pauvre Marie Ivanovna n’a plus ni soutien ni consolateur.»

Sorti sur la place, je m’arrêtai un instant devant le gibet, que je saluai respectueusement, et je pris la route d’Orenbourg, en compagnie de Savéliitch, qui ne m’abandonnait pas.

J’allais ainsi, plongé dans mes réflexions, lorsque j’entendis tout d’un coup derrière moi un galop de chevaux. Je tournai la tête et vis un Cosaque qui accourait de la forteresse, tenant en main un cheval de Bachkir, et me faisant de loin des signes pour que je l’attendisse. Je m’arrêtai, et reconnus bientôt notre ouriadnik. Après nous avoir rejoints au galop, il descendit de son cheval, et me remettant la bride de l’autre: «Votre Seigneurie, me dit-il, notre père vous fait don d’un cheval et d’une pelisse de son épaule.»

À la selle était attaché un simple touloup de peau de mouton.

«Et de plus, ajouta-t-il en hésitant, il vous donne un demi-rouble… Mais je l’ai perdu en route; excusez généreusement.»

Savéliitch le regarda de travers: «Tu l’as perdu en route, dit-il; et qu’est-ce qui sonne dans ta poche, effronté que tu es?

– Ce qui sonne dans ma poche! répliqua l’ouriadnik sans se déconcerter, Dieu te pardonne; vieillard! c’est un mors de bride et non un demi-rouble.

– Bien, bien! dis-je en terminant la dispute; remercie de ma part celui qui t’envoie; tâche même de retrouver en t’en allant le demi-rouble perdu, et prends-le comme pourboire.

– Grand merci, Votre Seigneurie, dit-il en faisant tourner son cheval; je prierai éternellement Dieu pour vous.»

À ces mots, il partit au galop, tenant une main sur sa poche, et fut bientôt hors de la vue.

Je mis le touloup et montai à cheval, prenant Savéliitch en croupe.

«Vois-tu bien, seigneur, me dit le vieillard, que ce n’est pas inutilement que j’ai présenté ma supplique au bandit? Le voleur a eu honte; quoique cette longue rosse bachkire et ce touloup de paysan ne vaillent pas la moitié de ce que ces coquins nous ont volé et de ce que tu as toi-même daigné lui donner en présent, cependant ça peut nous être utile. D’un méchant chien, même une poignée de poils.»

CHAPITRE X LE SIÈGE

En approchant d’Orenbourg, nous aperçûmes une foule de forçats avec les têtes rasées et des visages défigurés par les tenailles du bourreau [52]. Ils travaillaient aux fortifications de la place sous la surveillance des invalides de la garnison. Quelques-uns emportaient sur des brouettes les décombres qui remplissaient le fossé; d’autres creusaient la terre avec des bêches. Des maçons transportaient des briques et réparaient les murailles. Les sentinelles nous arrêtèrent aux portes pour demander nos passeports. Quand le sergent sut que nous venions de la forteresse de Bélogorsk, il nous conduisit tout droit chez le général. Je le trouvai dans son jardin. Il examinait les pommiers que le souffle d’automne avait déjà dépouillés de leurs feuilles, et, avec l’aide d’un vieux jardinier, il les enveloppait soigneusement de paille. Sa figure exprimait le calme, la bonne humeur et la santé. Il parut très content de me voir, et se mit à me questionner sur les terribles événements dont j’avais été le témoin. Je le lui racontai. Le vieillard m’écoutait avec attention, et, tout en m’écoutant, coupait les branches mortes.

«Pauvre Mironoff, dit-il quand j’achevai ma triste histoire! c’est tommage, il avait été pon officier. Et matame Mironoff, elle était une ponne tame, et passée maîtresse pour saler les champignons. Et qu’est devenue Macha, la fille du capitaine?»

Je lui répondis qu’elle était restée à la forteresse, dans la maison du pope.

«Aie! aie! aie! fit le général, c’est mauvais, c’est très mauvais; il est tout à fait impossible de compter sur la discipline des brigands.»

Je lui fis observer que la forteresse de Bélogorsk n’était pas fort éloignée, et que probablement Son Excellence ne tarderait pas à envoyer un détachement de troupes pour en délivrer les pauvres habitants. Le général hocha la tête avec un air de doute.

«Nous verrons, dit-il; nous avons tout le temps d’en parler. Je te prie de venir prendre le thé chez moi. Il y aura ce soir conseil de guerre; tu peux nous donner des renseignements précis sur ce coquin de Pougatcheff et sur son armée. Va te reposer en attendant.»

J’allai au logis qu’on m’avait désigné, et où déjà s’installait Savéliitch. J’y attendis impatiemment l’heure fixée. Le lecteur peut bien croire que je n’avais garde de manquer à ce conseil de guerre, qui devait avoir une si grande influence sur toute ma vie. À l’heure indiquée, j’étais chez le général.

Je trouvai chez lui l’un des employés civils d’Orenbourg, le directeur des douanes, autant que je puis me le rappeler, petit vieillard gros et rouge, vêtu d’un habit de soie moirée. Il se mit à m’interroger sur le sort d’Ivan Kouzmitch, qu’il appelait son compère, et souvent il m’interrompait par des questions accessoires et des remarques sentencieuses, qui, si elles ne prouvaient pas un homme vergé dans les choses de la guerre, montraient en lui de l’esprit naturel et de la finesse. Pendant ce temps, les autres conviés s’étaient réunis. Quand tous eurent pris place, et qu’on eut offert à chacun une tasse de thé, le général exposa longuement et minutieusement en quoi consistait l’affaire en question.

«Maintenant, messieurs, il nous faut décider de quelle manière nous devons agir contre les rebelles. Est-ce offensivement ou défensivement? Chacune de ces deux manières a ses avantages et ses désavantages. La guerre offensive présente plus d’espoir d’une rapide extermination de l’ennemi; mais la guerre défensive est plus sûre et présente moins de dangers. En conséquence, nous recueillerons les voix suivant l’ordre légal, c’est-à-dire en consultant d’abord les plus jeunes par le rang. Monsieur l’enseigne, continua-t-il en s’adressant à moi, daignez nous énoncer votre opinion.»

Je me levai et, après avoir dépeint en peu de mots Pougatcheff et sa troupe, j’affirmai que l’usurpateur n’était pas en état de résister à des forces disciplinées.

Mon opinion fut accueillie par les employés civils avec un visible mécontentement. Ils y voyaient l’impertinence étourdie d’un jeune homme. Un murmure s’éleva, et j’entendis distinctement le mot suceur de lait[53] prononcé à demi-voix. Le général se tourna de mon côté et me dit en souriant: