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«Marie Mironoff.»

Je manquai de devenir fou à la lecture de cette lettre. Je m’élançai vers la ville, en donnant sans pitié de l’éperon à mon pauvre cheval. Pendant la course je roulai dans ma tête mille projets pour délivrer la malheureuse fille, sans pouvoir m’arrêter à aucun. Arrivé dans la ville, j’allai droit chez le général, et j’entrai en courant dans sa chambre.

Il se promenait de long en large, et fumait dans sa pipe d’écume. En me voyant, il s’arrêta; mon aspect sans doute l’avait frappé, car il m’interrogea avec une sorte d’anxiété sur la cause de mon entrée si brusque.

«Votre Excellence, lui dis-je, j’accours auprès de vous comme auprès de mon pauvre père. Ne repoussez pas ma demande; il y va du bonheur de toute ma vie.

– Qu’est-ce que c’est, mon père? demanda le général stupéfait; que puis-je faire pour toi? Parle.

– Votre Excellence, permettez-moi de prendre un bataillon de soldats et un demi-cent de Cosaques pour aller balayer la forteresse de Bélogorsk.»

Le général me regarda fixement, croyant sans doute que j’avais perdu la tête, et il ne se trompait pas beaucoup.

«Comment? comment? balayer la forteresse de Bélogorsk! dit-il enfin.

– Je vous réponds du succès, repris-je avec chaleur; laissez-moi seulement sortir.

– Non, jeune homme, dit-il en hochant la tête. Sur une si grande distance, l’ennemi vous couperait facilement toute communication avec le principal point stratégique, ce qui le mettrait en mesure de remporter sur vous une victoire complète et décisive. Une communication interceptée, voyez-vous…»

Je m’effrayai en le voyant entraîné dans des dissertations militaires, et je me hâtai de l’interrompre.

«La fille du capitaine Mironoff, lui dis-je, vient de m’écrire une lettre; elle demande du secours. Chvabrine la force à devenir sa femme.

– Vraiment! Oh! ce Chvabrine est un grand coquin. S’il me tombe sous la main, je le fais juger dans les vingt-quatre heures, et nous le fusillerons sur les glacis de la forteresse. Mais, en attendant, il faut prendre patience.

– Prendre patience! m’écriai-je hors de moi. Mais d’ici là il fera violence à Marie.

– Oh! répondit le général. Mais cependant ce ne serait pas un grand malheur pour elle. Il lui conviendrait mieux d’être la femme de Chvabrine, qui peut maintenant la protéger. Et quand nous l’aurons fusillé, alors, avec l’aide de Dieu, les fiancés se trouveront. Les jolies petites veuves ne restent pas longtemps filles; je veux dire qu’une veuve trouve plus facilement un mari.

– J’aimerais mieux mourir, dis-je avec fureur, que de la céder à Chvabrine.

– Ah bah! dit le vieillard, je comprends à présent; tu es probablement amoureux de Marie Ivanovna. Alors c’est une autre affaire. Pauvre garçon! Mais cependant il ne m’est pas possible de te donner un bataillon et cinquante Cosaques. Cette expédition est déraisonnable, et je ne puis la prendre sous ma responsabilité.»

Je baissai la tête; le désespoir m’accablait. Tout à coup une idée me traversa l’esprit, et ce qu’elle fut, le lecteur le verra dans le chapitre suivant, comme disaient les vieux romanciers.

CHAPITRE XI LE CAMP DES REBELLES

Je quittai le général et m’empressai de retourner chez moi. Savéliitch me reçut avec ses remontrances ordinaires.

«Quel plaisir trouves-tu, seigneur, à batailler contre ces brigands ivres? Est-ce l’affaire d’un boyard? Les heures ne sont pas toujours bonnes, et tu te feras tuer pour rien. Encore, si tu faisais la guerre aux Turcs ou aux Suédois! Mais c’est une honte de dire à qui tu la fais.»

J’interrompis son discours:

«Combien ai-je en tout d’argent?

– Tu en as encore assez, me répondit-il d’un air satisfait. Les coquins ont eu beau fouiller partout, j’ai pu le leur souffler.»

En disant cela, il tira de sa poche une longue bourse tricotée toute remplie de pièces de monnaie d’argent.

«Bien, Savéliitch, lui dis-je; donne-moi la moitié de ce que tu as là, et garde pour toi le reste. Je pars pour la forteresse de Bélogorsk.

– Ô mon père Piôtr Andréitch, dit mon bon menin d’une voix tremblante, est-ce que tu ne crains pas Dieu? Comment veux-tu te mettre en route maintenant que tous les passages sont coupés par les voleurs? Prends du moins pitié de tes parents, si tu n’as pas pitié de toi-même. Où veux-tu aller? Pourquoi? Attends un peu. Les troupes viendront et prendront tous les brigands. Alors tu pourras aller des quatre côtés.»

Mais ma résolution était inébranlable.

«Il est trop tard pour réfléchir, dis-je au vieillard, je dois partir, je ne puis pas ne pas partir. Ne te chagrine pas, Savéliitch, Dieu est plein de miséricorde; nous nous reverrons peut-être. Je te recommande bien de n’avoir aucune honte de dépenser mon argent, ne fais pas l’avare; achète tout ce qui t’est nécessaire, même en payant les choses trois fois leur valeur. Je te fais cadeau de cet argent, si je ne reviens pas dans trois jours…

– Que dis-tu là, seigneur? interrompit Savéliitch; que je te laisse aller seul! mais ne pense pas même à m’en prier. Si tu as résolu de partir, j’irai avec toi, fût-ce à pied, mais je ne t’abandonnerai pas. Que je reste sans toi blotti derrière une muraille de pierre! mais j’aurais donc perdu l’esprit. Fais ce que tu voudras, seigneur; mais je ne te quitte pas.»

Je savais bien qu’il n’y avait pas à disputer contre Savéliitch, et je lui permis de se préparer pour le départ. Au bout d’une demi-heure, j’étais en selle sur mon cheval, et Savéliitch sur une rosse maigre et boiteuse, qu’un habitant de la ville lui avait donnée pour rien, n’ayant plus de quoi la nourrir. Nous gagnâmes les portes de la ville; les sentinelles nous laissèrent passer, et nous sortîmes enfin d’Orenbourg.

Il commençait à faire nuit. La route que j’avais à suivre passait devant la bourgade de Berd, repaire de Pougatcheff. Cette route était encombrée et cachée par la neige; mais à travers la steppe se voyaient des traces de chevaux chaque jour renouvelées. J’allais au grand trot. Savéliitch avait peine à me suivre, et me criait à chaque instant: