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«Ah! je sais. Adieu; ne parlez à personne de notre rencontre. J’espère que vous n’attendrez pas longtemps la réponse à votre lettre.»

À ces mots elle se leva et s’éloigna par une allée couverte. Marie Ivanovna retourna chez elle remplie d’une riante espérance.

Son hôtesse la gronda de sa promenade matinale, nuisible, disait-elle, pendant l’automne, à la santé d’une jeune fille. Elle apporta le samovar, et, devant, une tasse de thé, elle allait reprendre ses interminables propos sur la cour, lorsqu’une voiture armoriée s’arrêta devant le perron. Un laquais à la livrée impériale entra dans la chambre, annonçant que l’impératrice daignait mander en sa présence la fille du capitaine Mironoff.

Anna Vlassievna fut toute bouleversée par cette nouvelle.

«Ah! Mon Dieu, s’écria-t-elle, l’impératrice vous demande à la cour. Comment donc a-t-elle su votre arrivée? et comment vous présenterez-vous à l’impératrice, ma petite mère? Je crois que vous ne savez même pas marcher à la mode de la cour. Je devrais vous conduire; ou ne faudrait-il pas envoyer chercher la fripière, pour qu’elle vous prêtât sa robe jaune à falbalas?»

Mais le laquais déclara que l’impératrice voulait que Marie Ivanovna vint seule et dans le costume où on la trouverait. Il n’y avait qu’à obéir, et Marie Ivanovna partit.

Elle pressentait que notre destinée allait s’accomplir; son cœur battait avec violence. Au bout de quelques instants le carrosse s’arrêta devant le palais, et Marie, après avoir traversé une longue suite d’appartements vides et somptueux, fut enfin introduite dans le boudoir de l’impératrice. Quelques seigneurs, qui entouraient leur souveraine, ouvrirent respectueusement passage à la jeune fille. L’impératrice, dans laquelle Marie reconnut la dame du jardin, lui dit gracieusement:

«Je suis enchantée de pouvoir exaucer votre prière. J’ai fait tout régler, convaincue de l’innocence de votre fiancé. Voilà une lettre que vous remettrez à votre futur beau-père.»

Marie, tout en larmes, tomba aux genoux de l’impératrice, qui la releva et la baisa sur le front.

«Je sais, dit-elle, que vous n’êtes pas riche, mais j’ai une dette à acquitter envers la fille du capitaine Mironoff. Soyez tranquille sur votre avenir.»

Après avoir comblé de caresses la pauvre orpheline, l’impératrice la congédia, et Marie repartit le même jour pour la campagne de mon père, sans avoir eu seulement la curiosité de jeter un regard sur Pétersbourg.

* * *

Ici se terminent les mémoires de Piôtr Andréitch Grineff; mais on sait, par des traditions de famille, qu’il fut délivré de sa captivité vers la fin de l’année 1774, qu’il assista au supplice de Pougatcheff, et que celui-ci, l’ayant reconnu dans la foule, lui fit un dernier signe avec la tête qui, un instant plus tard, fut montrée au peuple, inanimée et sanglante. Bientôt après, Piôtr Andréitch devint l’époux de Marie Ivanovna. Leur descendance habite encore le gouvernement de Simbirsk. Dans la maison seigneuriale du village de… on montre la lettre autographe de Catherine II, encadrée sous une glace. Elle est adressée au père de Piôtr Andréitch, et contient, avec la justification de son fils, des éloges donnés à l’intelligence et au bon cœur de la fille du capitaine.

(1836)

Biographie

POUCHKINE Alexandre Sergueïevitch – Écrivain russe né à Moscou en 1799 et décédé a Saint-Pétersbourg en 1837. L’enfance de Pouchkine dans une famille de vieille noblesse qui goûte la culture européenne est assez heureuse: d’une mère excentrique, petite-fille du «nègre de Pierre le Grand» Hannibal, il tient un caractère passionné et exubérant. Il passe six ans au nouveau lycée de Tsarskoïe Selo en s’exerçant aux jeux littéraires, et ses premiers essais, des imitations, étonnent par leur qualité formelle. Derjavine, Joukovski admirent la fluidité de ses vers, et, à vingt-deux ans, il a déjà écrit des poèmes licencieux, des épigrammes, un conte d’inspiration nationale qui fait date par son mépris des règles, Rouslan et Lioudmila (1817-1820), un poème parodique à la Voltaire, la Gabréliade (1821).

Fonctionnaire aux Affaires Étrangères, il mène une vie mondaine, dissipée, frondeuse, qui lui vaut un exil administratif: intermède salutaire (1820-1824) au Caucase et en Crimée, où, avec ses amis Raïevski, il découvre la beauté du pays, lit Scott et Byron, écrit deux récits, Le Prisonnier du Caucase (1821), La Fontainede Bakhtchissaraï (1824). Après une nouvelle incartade, il est mis en résidence surveillée en 1824, dans la propriété de Mikhaïlovskoïe, près de Pskov. Durant ces deux années de solitude, il se retrempe aux sources de la terre russe et travaille à deux chefs-d’œuvre, Boris Godounov et Eugène Onéguine. Cette disgrâce lui évite d’être compromis avec les décembristes.

C’est un tournant dans la vie de Pouchkine: le nouveau tsar Nicolas Ier lui offre sa protection et la société l’accable de ses faveurs, son inspiration devient plus grave, la méditation remplace «la rime joyeuse»; il écrit un récit en prose, Le Nègre de Pierre le Grand (1827), puis, d’un jet, un poème d’inspiration nationale, Poltava (1828). Pouchkine a trente ans, lorsqu’il demande la main d’une beauté de seize ans, Natalia Gontcharova, qu’il épouse en 1831; il partage son temps entre la retraite paisible de Mikhaïlovskoïe et la vie trépidante de la cour: Natalia éblouit ceux qu’elle rencontre, et la tsar nomme Pouchkine l’écrivain gentilhomme de chambre pour que le jeune couple puisse figurer aux bals de la cour.

Années fécondes, même si la veine poétique – Le Cavalier de bronze (1833) excepté – se tarit; fonctionnaire appointé, Pouchkine prépare une histoire de Pierre le Grand; il publie les Récits de Belkine (1831), des nouvelles, Doubrovski (publiée en 1832), la Damede Pique (1834), il travaille à l’Histoire de Pougatchev, qui aboutira à la Filledu Capitaine (1836). Mais, en fait, la liberté lui manque et ses dernières œuvres (le Convive de Pierre, publié dans le Contemporain) sont écrites dans de grandes tensions, provoquées par les exigences de la frivole Natalia et les pressions du tsar.

Susceptible, exaspéré par les provocations d’un jeune français, Georges d’Anthès, fils adoptif du baron Heeckeren, qui courtise Natalia, Pouchkine se bat en duel contre lui le 27 janvier 1837 et s’écroule dans la neige. Ainsi meurt le plus limpide, le plus harmonieux et le plus sobre des écrivains russes: «En lui, dira Gogol, sont contenues toute la richesse, la puissance, la souplesse de notre langue» et comme dira M.A. Boulgakov: «Pouchkine est une manifestation merveilleuse de la Russie, en quelque sorte son apothéose.»

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[1] Célèbre général de Pierre le Grand et de l’impératrice Anne.