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Elle sourit, vint se pencher sur lui pour envelopper sa tête de ses bras, le laissant savourer un instant leur tendresse et aussi le parfum familier de rose et d’iris dont il emplit ses narines avec bonheur. Il avait toujours adoré sa mère, pour sa beauté sans doute, mais aussi pour sa bonté, qui était réelle, et l’amour qu’elle lui avait prodigué, à lui et aux autres : la superbe Anne-Geneviève et le petit Armand, disgracié et que pourtant elle n’avait pas pu élever plus que lui-même. Il avait vécu son adolescence en province, régentée par des maîtres et bien peu de ménagements. Cela leur avait au moins permis d’apprécier leur bonheur en rejoignant l’entourage maternel.

— Ainsi, murmura-t-elle tout en lui caressant le front, vous avez été contraint d’honorer votre femme ?

— Elle n’est pas ma femme et ne le sera jamais ! Tout en moi se révulse quand je la touche ! Surtout quand je pense à Marthe… si belle, si tendre !

— … mais que l’on ne vous permettra pas d’épouser et qui d’ailleurs se refuserait à passer outre les volontés paternelles !

— Votre Richelieu veut la mettre au couvent ! Et je ne la verrai plus… autrement que sous l’habit de nonne ! Au besoin, on l’y contraindra  ! Et moi j’en mourrai !

— Mais non ! On ne meurt pas de confier ses amours au Seigneur. Cependant, si l’on vous voit continuer à la fréquenter aussi assidûment, il est sûr qu’elle pourrait se retrouver carmélite ou bénédictine sans même savoir comment elle en est arrivée là ! Mais si vous faisiez semblant de ne plus vous intéresser à elle ?

— Moi ? Que je… Avec le respect que je vous dois, ma mère, c’est impossible !

— Je ne vois pas pourquoi.

Laissant retomber ses bras, elle alla prendre place dans un fauteuil qu’elle avait tiré au préalable afin de voir son fils bien en face :

— On vous oblige à choisir entre votre amour – actuel tout au moins car il est rare qu’il n’y en ait qu’un dans une existence ! – et la gloire que tous s’accordent à prédire au chef que vous devez être… Je vais être plus claire : les petites joies de la vie quotidienne en échange de vos plus beaux rêves ? C’est assez infâme, mais vous pouvez y opposer – je n’emploierai pas le terme de diplomatie, car c’est un art difficile – la simple astuce…

— L’astuce contre Richelieu ? D’autant qu’il se double maintenant de ce Mazarini qui est à coup sûr un champion en la matière…

— Celui-là, on s’en souciera plus tard quand le Cardinal aura disparu… Je pense qu’en le voyant vous avez dû comprendre qu’il n’en a plus pour longtemps à être de ce monde ? Alors examinons calmement la situation : vous avez couché avec votre femme ? Bien !

— Bien ? Vous avez de ces expressions, Madame !

— Oh ! N’ergotez pas ! J’essaie de vous aider à débroussailler votre esprit ! Et je reprends mon propos. Sera-t-elle enceinte ou devrez-vous recommencer ? Non, vous ne répondez pas et vous me laissez poursuivre ! Il se peut qu’elle ne puisse pas avoir d’enfants. Auquel cas, l’Eglise ne pourra refuser à un prince du sang de France de vouloir continuer sa lignée. Je ne sais trop, en effet, si notre pauvre petit Conti sera un jour mariable…

— Mais je ne peux pas attendre des années, moi ! Ni Marthe non plus !

— Un amour digne de ce nom se doit d’être éternel, mais passons ! Si l’on regarde les choses telles qu’elles se présentent, c’est votre passion affichée pour elle que l’on vous reproche le plus ? Eh bien, cessez de l’aimer !

Enghien regarda sa mère avec une stupeur attristée : serait-elle en train de perdre l’esprit ?

— Vous me demandez l’impossible ! Elle est exquise, elle est…

— Ne recommencez pas et écoutez-moi ! Je sais que l’on ne peut pas commander à son cœur et j’allais ajouter : en apparence ! Cessez de l’aimer en apparence et, pour cela, faites la cour à une autre !

— Une autre ? Je ne pourrai jamais !

— Oh, vous m’agacez, Louis ! J’ai fière envie de vous laisser vous débattre tout seul entre votre cœur, celui de la belle Marthe, le Cardinal, votre gloire à venir… Sans compter votre père qui, s’il s’en mêle, ne manquera pas de jouer les éléphants dans un magasin de porcelaine ! Et Dieu seul sait quel résultat cela donnera.

— Oh, Seigneur ! Surtout pas !

— Ah ! On dirait que vous commencez à apercevoir la lumière !

— L’idée peut être bonne, mais elle est incomplète : Marthe est une merveille de grâce et de féminité ! Elle n’a pas son équivalent…

— Allez raconter cela à votre sœur et écoutez attentivement ce qu’elle vous répondra ! Je gage qu’elle vous jettera dehors en vous traitant de malappris, et elle aura raison !

— Il est vrai qu’elle est superbe ! soupira le jeune homme avec un rire attendri. Mais je ne peux pas courtiser ma sœur.

— Qui vous le demande ? Je ne fais que vous citer un exemple. En voulez-vous un deuxième ? Votre cousine Isabelle, qui devenue femme, promet d’être d’une rare beauté ! En outre elle est gaie, vivante, spirituelle, et si vous faisiez un tour à l’hôtel de Rambouillet, vous pourriez constater que l’on commence à faire cercle autour d’elle ! Ouvrez vos yeux, que diable !

Enghien ne répondit pas tout de suite, laissant sa mémoire lui restituer la silhouette infiniment gracieuse d’une jeune fille dont la démarche lui conférait l’air de danser, les longs yeux noirs que le rire pailletait d’or et qui, à d’autres moments, pouvaient être aussi doux, aussi insondables qu’une nuit d’été…

— Certes, il pourrait être amusant de coqueter avec elle… C’est une jeune fille en compagnie de qui on ne s’ennuie pas, ce qui est peu fréquent… Mais il va me falloir prévenir ma chère Marthe que je ne voudrais faire souffrir pour rien au monde. Elle est tellement sensible !

Mme de Condé fronça le sourcil.

— Croyez-vous que ce soit utile ?

— Mais naturellement ! Elle pourrait éprouver de la jalousie… Je dois donc la prévenir…

— C’est une manie ! Si elle se montre mauvaise comédienne, Isabelle, qui est loin d’être idiote, devinera ce qu’il en est et en souffrira. Or, je ne veux pas qu’Isabelle souffre si peu que ce soit ! Vous m’avez comprise  ?

— C’est on ne peut plus clair. De toute façon, ma mère, j’ai reçu l’ordre de rejoindre à Narbonne le Roi qui entend achever la conquête du Roussillon.

— Le Roi vous appelle ? C’est bonne chose !

— Je dirais plutôt que c’est le Cardinal qui m’envoie à lui. Dès l’instant où il se sait obéi, je vais avoir droit à toute sa bienveillance, ajouta-t-il. Lui-même descend dans le Midi, mais à moindre allure en raison de son état de santé…

— Le Midi, le Roussillon, je suis peu au fait des guerres, mais il me semblait que la dernière campagne dans le Nord s’était soldée par un échec.

— En effet : le duc de Bouillon avait réuni dans son fief, à Sedan, nombre de mécontents souhaitant à la mort du Roi couronner notre cousin commun, le comte de Soissons. L’affaire marchait à souhait car les troupes royales ont été battues à La Marfée par ledit Soissons dont chacun sait, et vous aussi, qu’il n’a pas joui longtemps de sa victoire, un coup de pistolet dans l’œil l’ayant tué net le soir même.

— Mais enfin, qui l’avait tiré, ce coup ? On n’a pas pu le savoir ?

— Lui-même ! Mais on a jugé préférable de le taire et de chercher mollement un assassin plutôt que couvrir ce malheureux de ridicule !

— Le suicide est un crime, mais n’a rien de ridicule ! réprimanda-t-elle sévèrement.

— Aussi n’ai-je pas parlé de suicide ! Soissons s’est tué sans le vouloir !