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Enghien resta là un moment, sidéré par sa réaction.

— Isabelle ! appela-t-il cependant avant de s’élancer à sa suite, mais elle était déjà loin et, en atteignant l’escalier, il n’entendit qu’une porte claquant dans les étages.

Il n’insista pas, réfléchit un instant, un sourire pensif aux lèvres, puis se fit amener un cheval, l’enfourcha et s’en alla place Royale s’aérer l’esprit chez Marion de Lorme. Ce joli fruit d’Isabelle, encore un peu vert, mais qui, à maturité, promettait tant de délices, lui avait ouvert l’appétit et il se promit d’y goûter quand il reviendrait de guerre… et pourquoi pas s’en repaître. Personne ne s’en étonnerait, puisqu’on lui avait suggéré d’en faire le « chandelier » de ses amours avec Marthe. En vérité, elle méritait incontestablement mieux ! Il aurait même pu l’épouser une fois démarié – une idée à laquelle il n’avait pas encore réussi à renoncer ! C’était une Montmorency, elle, d’une naissance à peine inférieure à celle des Condés. Seul bémol : Monsieur le Prince, son père, ne lui permettrait pas davantage d’en faire sa femme que de la fille du marquis du Vigean et pour la même raison : elle ne possédait aucune fortune. Et sur ce plan Enghien n’était pas loin de rejoindre son papa. Un prince du sang avait besoin de quantité d’argent… surtout si le beau château de Chantilly faisait retour à la Princesse ! Son entretien coûtait une fortune et il n’avait pas dû recevoir de grands soins pendant ces années où le Roi l’avait saisi… Au fond, rester marié à la nièce de Richelieu – à moins qu’elle ne le rende veuf – et prendre Isabelle pour maîtresse pouvait s’avérer fort agréable. Et pourquoi pas continuer à aimer Marthe, trop pieuse pour accepter jamais de se donner à lui hors mariage ?

Ce n’était peut-être pas le comble de la morale, mais la perspective avait du charme !

Dans l’immédiat, il s’agissait surtout de passer quelques heures en compagnie de l’experte Marion avant d’aller en découdre chez les Espagnols. Le coup de l’étrier pour ainsi dire ? Le jeune Cinq-Mars, amant en titre de la belle qui suivait le Roi pas à pas, était loin dans le Midi…

Pendant que l’élu de son cœur bâtissait de si beaux projets autour de sa charmante personne, Isabelle, affalée sur son lit, pleurait toutes les larmes de son corps. Le siècle où elle vivait, même corrigé et adouci par le rayonnement de l’hôtel de Rambouillet et de son corollaire l’Académie française fondée par Richelieu après maintes visites à la divine marquise, par les afféteries des Précieuses, le parcours de la Carte de Tendre et les envolées lyriques des poètes, n’en gardait pas moins une part appréciable des rudesses laissées par les guerres de Religion. Et si bien élevé qu’il eût été, si grand seigneur qu’il fût, il arrivait apparemment au futur Condé de se conduire sans plus de délicatesse qu’un soudard ! Son baiser brutal et dénué de tendresse avait blessé Isabelle parce qu’il ne traduisait rien d’autre qu’un désir sans nuances, alors qu’il savait si gentiment bêler aux pieds de la blonde et douce Marthe du Vigean !

« Un jour, promit-elle, c’est aux miens que je te verrai ! Et je prendrai plaisir à t’y laisser te morfondre ! »

En attendant, elle décida de passer quelques jours à Précy auprès de sa mère qui, parfois, lui manquait beaucoup, et dans ce but se rendit chez la princesse Charlotte pour lui demander la permission d’emprunter l’une de ses voitures. Elle la trouva dans son cabinet d’écriture en train de sabler et de cacheter la lettre qu’elle venait d’écrire.

— Isabelle ? Je songeais à vous faire chercher… Mais vous souhaitiez me parler ?

Cette dernière exprima son désir en précisant qu’elle brûlait d’apprendre à Mme de Bouteville la grande nouvelle qui lui causerait certainement un plaisir infini :

— Outre la part qu’elle prendra de sa chère cousine, c’est avec beaucoup de joie qu’elle verra revenir le jour de l’étroit voisinage d’autrefois… Et puis pour le premier revoir…

— N’avancez pas plus loin, Isabelle ! On vient de m’apporter il y a un instant une lettre du Cardinal. Il me recommande de garder secret le retour de Chantilly jusqu’à ce que le Roi contresigne la décision que Sa Majesté la Reine a eu la bonté de lui accorder comme la plus propre à rendre du bonheur à celle qui accueille sa nièce à l’égal d’une autre fille !

— Pourquoi ?

— Il m’offre ses excuses sur la hâte qu’il avait de me faire plaisir et précise qu’il ne s’agit que d’un léger retard !

— Donne-t-il une raison à ce retard ?

— Il paraîtrait que M. de Cinq-Mars serait très désireux de recevoir Chantilly. Et comme jusqu’ici le Roi ne lui a pas refusé grand-chose…

— Cela signifie-t-il qu’on ne vous le rendra pas ?

— Pas du tout ! Il ajoute une phrase un brin sibylline touchant le fait que M. le Grand2 pourrait s’illusionner sur ses espoirs et, d’après ce que j’ai compris, tomber de haut dans un avenir proche… Donc, on attend ! Il ne s’est rien produit d’extraordinaire ce matin, et nous n’allons plus à Chantilly…

— Monsieur le Prince doit être furieux…

— Non, figurez-vous ! J’ai même eu l’impression que cela le réjouissait plutôt ! Sans doute espère-t-il que la donation définitive sera à son propre nom ! fit-elle avec un peu d’amertume.

— Et… que dit Monsieur le Duc, si je peux me permettre ?

— Qu’il part sur l’heure rejoindre le Cardinal ! D’accord avec monsieur son père pour une fois et fermement décidé à veiller sur Son Eminence. Il ne manquerait plus que ce bellâtre de Cinq-Mars ne le tue comme il en court le bruit ces temps-ci…

— La mort du Cardinal ? N’est-ce donc pas ce que souhaitait mon cousin afin de se démarier ?

— Si ma belle-fille était grosse, cela rendrait la séparation difficile. En outre, si mon époux et mon fils ont toujours détesté Richelieu, la seule idée qu’un muguet de Cour puisse prendre sa place les rend malade ! Lui, au moins, a de la grandeur ! Aussi, profitant de ce qu’Enghien est appelé auprès de Son Eminence, Monsieur le Prince lui a-t-il confié mission de veiller sur lui !

— Il est fort malade, à ce que l’on disait ces jours-ci chez Mme de Rambouillet…

— Certes ! Cependant la conspiration menée par Cinq-Mars contre lui n’est plus un secret pour personne… sauf pour le Roi qui ne cesse de lui donner plus d’amitié qu’il n’en mérite et qui refuse d’y ajouter foi ! Vous voulez toujours aller à Précy, Isabelle ?

Si jeune qu’elle fût, celle-ci connaissait trop sa cousine – à qui elle vouait une sincère affection – pour ne pas déceler une certaine fébrilité, de l’angoisse même dans sa voix :

— Non puisque la nouvelle n’est pas confirmée… Et si ma présence… et ma tendresse pouvaient vous apporter…

— Du réconfort ? N’en doutez pas, mon enfant ! Vous n’imaginez pas à quel point votre gaieté et votre bon cœur peuvent être stimulants…

Isabelle avait la langue levée pour faire au moins allusion à Anne-Geneviève quand elle entendit :

— Voyez-vous, je crains que les jours à venir ne soient difficiles à vivre dans cette maison !

— A cause de Chantilly ?

— Du tout ! Mon époux serait plutôt satisfait de la façon dont tournent les événements à ce sujet. Je pense à ses relations futures avec notre fille. Il a décidé de la marier. Etant donné qu’elle a vingt-trois ans, je n’y serais pas hostile si le choix du mari était judicieux, mais je crains fort qu’elle ne l’accepte difficilement !