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Ne restait qu’une objection : l’orgueil… Et là, elle fut intraitable. Elle refusait de perdre son rang de princesse royale et exigeait un brevet du roi lui donnant la préséance sur Longueville…

Et elle l’obtint !

Le 2 juin de cette année 1642, Henri d’Orléans duc de Longueville épousait Anne-Geneviève de Bourbon-Condé au milieu d’un faste inimaginable.

Dans le magnifique château de Coulommiers – le plus beau sans doute de la région parisienne avant que ne s’élèvent Vaux-le-Vicomte et surtout Versailles – se déroula une fête mémorable où se pressaient les plus grands noms, les esprits les plus illustres – une bonne partie de l’hôtel de Rambouillet –, à l’exception de tous ceux qui étaient aux armées dans le Nord ou le Sud ! – la reine Anne d’Autriche y vint avec le dauphin, mais l’on n’y vit, par la force des choses, ni Louis XIII, ni le Cardinal… ni le duc d’Enghien qui avait fait un crochet par Dijon afin de présider les états de Bourgogne avant de rejoindre Richelieu.

Toutes ces absences procuraient du grain à moudre aux bavards. L’idée générale étant que, pour un événement de cette importance, on aurait pu attendre que ce que l’on pourrait appeler la saison des guerres fût passée !

Une impressionnante somptuosité donc, mais dénuée de gaieté. Tous les yeux, naturellement, étaient tournés vers la mariée, « belle comme un ange », mais dont le sourire – rare ! – se nuançait d’un défi inexplicable. L’heureux père, lui, éclatait d’orgueil et de satisfaction, mais les nombreux amoureux d’Anne-Geneviève avaient peine à cacher une douleur proche de la colère… Le poète Jacques Sarrazin traduisit le sentiment général :

[…] mais ce qui plus me touche est qu’en cette hyménée

Cette jeune beauté, vrai miracle des cieux,

Au pouvoir d’un mari se voit abandonnée

Qui ne mérite pas un regard de ses yeux.

Elle est comme une rose en la saison nouvelle

Qui tombe entre les mains d’un passant malappris,

Indigne de toucher une chose si belle

Dont il ne connaît pas la splendeur et le prix…

Inutile de préciser que le « passant malappris » n’eut pas droit à une lecture de ce chef-d’œuvre qui, chez les éplorés, ne consola pas grand monde d’ailleurs mais donna à penser à Isabelle. La jeune fille connaissait trop sa cousine pour s’être laissé prendre à l’intéressante pâleur et au côté « Iphigénie » de cette belle créature dont, mieux que personne peut-être, elle avait décelé la détermination. Bien loin de plaindre la « jeune beauté » et sa mine pathétique, c’était au mari qu’elle réservait sa compassion parce qu’il ne savait pas qui il épousait au juste. Et s’il pensait s’attacher une belle épouse uniquement vouée à sa descendance, à sa gloire, en fermant des yeux pudiques sur sa conduite – son exigence de conserver une maîtresse dont il était fier étant plutôt révélatrice sur ce point ! –, il aurait certainement des surprises… et avant qu’il ne soit longtemps.

Quand, à son tour, elle lui avait offert ses félicitations, la nouvelle duchesse de Longueville avait murmuré :

— Vous me devez un ruban !

— Pas encore, avait-elle répondu. Attendez que je sois mariée.

— De toute façon, vous n’arriverez jamais où je suis !

— A votre place, non, mais peut-être à côté…

1 Le père du célèbre marin.

2 On appelait ainsi le Grand Ecuyer de France. Ce qu’était devenu Cinq-Mars.

3 César de Vendôme était l’aîné des fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, morte à la veille de son mariage. Il avait épousé Marguerite de Lorraine. Voir Secret d’Etat, Plon, 1997.

4

La prémonition

Dire qu’Isabelle éprouva un vif chagrin de voir sa cousine abandonner l’hôtel de Bourbon-Condé pour les fastes de l’hôtel de Longueville serait beaucoup exagérer, d’autant que, se situant rue des Poulies et donc proche du Louvre, il fallait pour s’y rendre traverser la Seine et une partie de Paris. Depuis l’annonce de ses fiançailles, Anne-Geneviève usait envers les filles qui composaient la petite cour de sa mère – et en particulier Isabelle ! – d’un certain ton quasi royal qui, joint à sa nonchalance habituelle, avait le don de taper sur les nerfs de celle qui se retrouvait plus cousine pauvre qu’elle ne l’avait jamais été. Les derniers temps surtout, où affluaient les présents visant à peu près tous la parure de la déesse. Or Isabelle adorait les joyaux, avec une préférence pour les perles, les diamants et les rubis, et ceux qu’elle voyait arriver la faisaient parfois pâlir de jalousie bien qu’elle se gardât de tout commentaire.

François, lui, s’en amusait franchement. Assidu à l’étude autant qu’à l’entraînement à l’académie de M. de Benjamin, il grandissait et, en dépit de sa bosse, il était en train de devenir non seulement un excellent cavalier mais aussi une lame redoutable, si bien que sa mère craignait qu’il ne s’engageât un jour sur la pente fatale de l’échafaud de la place de Grève. D’autant qu’il avait l’esprit vif, l’orgueil chatouilleux et qu’il adorait sa sœur.

— Pourquoi lui envier ses parures ? dit-il un jour où la future duchesse faisait étalage d’un superbe ornement de corsage composé justement de trois gros rubis, de perles et de petits diamants. Ses yeux ont la couleur des turquoises et le rouge lui messied ! Et puis rassurez-vous ! Je sais qu’un jour vous posséderez une cassette aussi magnifique, sinon plus !

— Où prenez-vous cela ? Sauriez-vous déchiffrer l’avenir ?

— Peut-être ! Et puis vous êtes trop attirante pour ne pas séduire au moins un prince… Et puis vous êtes une Montmorency, que diable !

— C’est ce dont j’essaie de me persuader depuis que j’ai parié avec elle que je deviendrai aussi « haute ».

— Vous n’auriez pas dû. Elle voudra toujours monter plus haut !

— Il y a cependant des limites que l’on ne peut pas dépasser !

— Sans doute, mais elle ne le sait pas… ou préfère ne pas le savoir. Elle se croit d’essence divine. Les nuages d’encens dont on ne cesse d’entourer sa beauté lui donnent d’elle-même une idée superlative de sa personne et elle s’imagine issue de la cuisse de Jupiter. Un seul lui semble digne de l’accompagner dans cette gloire : Monsieur le Duc, son frère bien-aimé !

— Mais elle ne pouvait tout de même pas épouser son frère !

— Si cela avait été possible, rien ne l’aurait rendue plus heureuse ! Quant au vieux Longueville, il ne doit sa « chance » d’avoir épousé Vénus, revenue parmi les mortels, qu’à son immense fortune, son âge avancé, son gouvernement de Normandie… où il est bien obligé de résider… Pendant ce temps-là, elle régnera sur Paris pour charmer les longueurs de l’attente !

Isabelle considéra son jeune frère d’un air pensif.

— C’est la fréquentation des beaux esprits de l’hôtel de Rambouillet qui vous rend si « clairvoyant » ? Si je ne savais que vous n’avez pas tout à fait quatorze ans, à vous entendre on croirait que vous en avez vingt-cinq ou trente, sinon davantage ! Quel penseur impitoyable ! Je pensais que vous les aimiez ?

— Distinguons ! Lui, oui, je l’aime, et surtout j’admire le chef remarquable qu’il ne manquera pas de devenir et sous lequel j’espère servir dès l’année prochaine ! D’ailleurs il me l’a promis ! Il sait commander et il a de la stratégie, des vues éblouissantes… Combattre à ses côtés sera un honneur et un plaisir !