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— Voyons cela, Monseigneur ! pressa sa femme, agacée par cette manie qu’il avait de distiller les nouvelles goutte à goutte lorsqu’il en tenait une.

— Sa Majesté le Roi a perdu sa mère ! Marie de Médicis vient de mourir à Cologne, au bord du Rhin… dans la misère, à ce que l’on prétend !

— Dans la misère ? s’écria son épouse. Comment est-ce possible, quand on pense à l’énorme fortune en joyaux qu’elle avait emportée ? Jamais, femme, Reine, impératrice ou qui que ce soit d’autre n’en a possédé autant. De plus, elle se laissait entretenir par tous les ennemis de la France, et en particulier ceux de son fils. Je jurerais qu’elle trempait dans la conjuration de Cinq-Mars. Comme toutes les autres conspirations précédentes !

— Inutile de jurer ! Tout le monde sait cela ! Mieux encore. Si j’en crois Châteauneuf, elle venait de dépenser ses derniers deniers à l’achat de mules et du nécessaire vital pour rentrer en France. Sachant le Roi quasi à l’agonie, elle pensait qu’une fois mort elle pourrait siéger au Conseil de régence et imposer de nouveau ses idées !

La Princesse eut une grimace de dégoût, puis se signa.

— Fi donc ! Il convient de souhaiter que Dieu ait son âme, mais, si j’étais lui, je ne saurais trop qu’en faire !

— Je ne suis pas en peine pour lui, mais bien pour le Roi ! En arrivant dans l’autre monde, c’est elle qu’il va rencontrer en premier… De quoi vous gâcher votre éternité !

— Voulez-vous vous taire ! Ce genre de discours est inconvenant devant de jeunes esprits…

Mais la nouvelle duchesse de Longueville ne l’entendit pas. Elle sortait déjà pour aller procéder à sa réinstallation, et Isabelle lui emboîta le pas, désireuse de cacher sa déception au jardin. C’en était fini des douces rêveries dans l’attente du héros de son cœur. Elle se faisait une fête d’être la première qu’il saluerait après sa mère – peut-être même qu’il l’embrasserait ? –, mais non, sa sœur serait là qui l’accaparerait comme elle en avait l’habitude et, pour peu que le commandement de Longueville le retienne plus longtemps au loin, on ne verrait presque jamais Enghien. D’autant que sa femme était enceinte, ce qui l’obligeait à des égards. C’était à pleurer !

Le mois de septembre marqua le terme des opérations dans le Roussillon. Perpignan tomba le 9 et la prise de Salse, quelques jours plus tard, signa la conquête définitive, mais, entre-temps, à Toulouse, Henri d’Effiat, comte de Cinq-Mars, et son ami de Thou étaient montés à l’échafaud. Sur une autre frontière, le cardinal Mazarin1 prenait possession de Sedan, abandonné par le duc de Bouillon en échange de sa tête, y installait le maréchal Fabert puis rentrait à Paris où la santé de Richelieu se détériorait presque à vue d’œil. Mais Enghien ne revenait pas. Il avait rejoint la Bourgogne où monsieur son père s’était rendu lui aussi.

Aucun événement tragique ou même simplement désagréable dans l’attente de cet automne qui venait, belles amies et petits maîtres reprenaient le chemin de l’hôtel de Rambouillet comme de celui de Condé. Bals, promenades quand il faisait beau, jeux, mascarades, soirées « littéraires », la vie mondaine avait repris ses droits. Seule Madame la Princesse montrait quelque mélancolie : elle venait de perdre son amant, le cardinal de La Valette, mais ils étaient déjà plusieurs à briguer la place. Leur nombre étonna à peine Isabelle, sincèrement admirative devant cette beauté qui semblait refuser de se faner. Proche de la cinquantaine, Charlotte de Bourbon-Condé restait l’une des plus jolies femmes de Paris. Même sa sublime fille ne parvenait pas à la reléguer dans la masse imprécise des anciennes belles.

Un matin où, ne se sentant pas au mieux, elle avait demandé à Isabelle, qui possédait une voix douce et mélodieuse, de chanter pour elle en s’accompagnant du luth afin de charmer son malaise, celle-ci entre deux romances osa la questionner sur son secret.

— Quel secret ? répondit la Princesse sincèrement surprise.

— Celui de votre éclat et de ce charme qui enchante ceux qui vous approchent, même lorsque vous êtes souffrante. La beauté ne se discute pas et les fées qui ont présidé à votre naissance se sont montrées généreuses, mais il y a autre chose… un je ne sais quoi…

— Ce n’est pas facile de vous répondre, petite, mais… à y réfléchir cela tient peut-être à ce que j’ai toujours aimé la vie et que j’en goûte chaque instant, même quand je ne suis pas au meilleur de ma forme comme maintenant. Je suis dans un lit douillet à souhait, j’y suis bien et la musique portée par votre jolie voix me semble un baume de jouvence. Dans ces cas-là, évidemment, il est préférable de ne pas consulter son miroir ! Il faut se méfier des miroirs, ils peuvent être décourageants !

— Et quand vous êtes en colère ?

— … comme cela arrive fréquemment avec Monsieur le Prince mon époux ? Il est préférable de la laisser s’exprimer à condition que cela ne dure pas trop longtemps comme c’était le cas pour feu la Reine Marie ! Elle pouvait déverser des torrents d’injures – je ne dirai pas pendant des heures… et encore ! Aussi quel résultat ! Mais une honnête colère, déversée juste ce qu’il faut, soulage et, si l’on a un peu le sens de la comédie, le burlesque de la situation peut prêter à rire… de soi-même aussi bien que de l’autre ! A y réfléchir, je crois, voyez-vous, que le sourire… et même le rire comptent parmi les meilleures armes d’une femme. Ou d’un homme ! Certains peuvent être franchement laids et incroyablement séduisants… tel mon fils Enghien par exemple !

Isabelle ne s’attendait pas à cette sortie et rougit brusquement. Sa main qui caressait les cordes du luth, émit une fausse note aussitôt éteinte, mais la Princesse savait ce qu’elle voulait savoir !

— Ah ! fit-elle. Vous aussi ! Ne soyez pas gênée surtout ! N’ayez pas honte ! Ayant été élevée dans cette maison d’où cependant il a été si longtemps absent c’est presque naturel. » Puis, se souvenant soudain du conseil qu’elle avait donné à Louis : « Vous a-t-il déjà fait la cour ?

Devenue écarlate, Isabelle détourna la tête :

— Je… Non ! Si ! Il m’a embrassée avant de partir rejoindre le Roi.

— Et ?

— Et quoi ? balbutia-t-elle en plein désarroi.

— Pardonnez-moi ! Je voulais dire : qu’en avez-vous ressenti ? Du bonheur ?

— Oh, non ! C’était si… brutal. Je n’aurais jamais cru que l’on puisse embrasser de cette façon-là ! J’ai eu l’impression… qu’il avait quelque chose à me reprocher et je me suis sentie offensée !

— Ah oui ? Qu’avez-vous fait alors ?

— Je… je l’ai giflé ! avoua-t-elle en baissant la tête.

Pour la relever d’ailleurs aussitôt ! Sa malade riait à gorge déployée :

— Parfait ! s’écria-t-elle. Excellente réaction ! Et je vous encourage vivement à recommencer si l’idée lui en revenait ! On ne traite pas de la sorte une Montmorency, que diantre !

Sur ces fortes paroles, Madame la Princesse s’enroula en boule dans son lit et s’endormit, mais non sans s’être promis d’en toucher deux mots à son rejeton dès qu’elle le reverrait. Elle se reprochait, en effet, ce mauvais conseil qu’elle avait donné pour abriter ses amours avec Marthe du Vigean. Il fallait absolument qu’Isabelle reste sur l’impression de ce baiser ridicule. Grâce à Dieu, le mal n’était pas irréparable, mais elle venait de comprendre qu’il était à deux doigts de le devenir. L’un des amoureux qui tournaient autour de cette charmante fille parviendrait bien un jour à le lui faire oublier !