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Passé les cérémonies de la Toussaint, le temps se mit au diapason comme s’il entendait éterniser cette période de souvenirs tristes, de deuil et de regrets. Chaque jour apportait son contingent de pluie, de brouillard et de précoce froidure. De malaises aussi. Les poètes s’enrhumèrent, Mme de Rambouillet eut de la fièvre, on fit la guerre aux courants d’air, les violons du bal allèrent se mettre au chaud dans leurs étuis et, pour couronner le tout, la déesse proclamée de tout ce joli monde, la sublime duchesse de Longueville, se retrouva au fond de son lit avec la variole. Et, bien sûr, terrifiée par les dégâts que la maladie pourrait occasionner à son incomparable beauté plus que par la mort toujours possible. Le médecin Bourdelot l’isola dans son appartement avec deux de ses serviteurs qui, ayant déjà payé leur tribut à la redoutable maladie, ne risquaient pas de rechuter… Madame la Princesse distribua les ordres pour que l’on prépare tout pour le départ des jeunes femmes et filles qui composaient sa cour miniature afin de les conduire se mettre à l’abri à Liancourt ou autre château, mais, au lieu de l’empressement attendu, elle ne rencontra pas le moindre enthousiasme. Bien au contraire  :

— La campagne ? Par ce temps exécrable ? émirent en chœur Isabelle, Marie de Loménie, Louise de Vertus et Angélique d’Angennes, celle-ci venue précédemment chez les Condés chercher un refuge contre la fièvre maternelle parce qu’elle avait la gorge fragile. Nous allons, c’est sûr, y rencontrer tous les maux que recèlent les châteaux chichement chauffés, l’humidité, les toits que les pluies torrentielles arrivent à percer…

— Ne croirait-on pas, ma parole, que nos belles demeures menacent ruine au premier coup de vent ? répliqua Mme de Condé, surprise de cette levée de boucliers. Vous n’aviez pas avancé tant d’objections lorsque ma bru a contracté ce vilain mal…

— C’est qu’il ne s’agissait pas de la même époque ! affirma Isabelle. Et nous ne fuyions que lui, sans crainte des graves inconvénients de l’hiver…

— Et puis, reprit sa sœur Marie-Louise, la Reine ne donnait pas un bal comme ce sera le cas la semaine prochaine !

Isabelle la regarda avec stupéfaction. Les autres aussi d’ailleurs ! Marie-Louise de Bouteville était la grande silencieuse de la bande. Non seulement elle parlait peu, mais en plus elle se renfermait la plupart du temps comme si les événements extérieurs ne l’atteignaient pas.

Au physique comme au moral, elle était aux antipodes de sa cadette, et bien entendu de François. Ce qui ne les liait pas beaucoup. Sauf sur un plan : l’affection profonde que tous trois éprouvaient pour leur mère. Que l’on voyait de moins en moins, souvent en dépit de l’amitié qu’elle avait liée avec Mme de Condé. Mme de Bouteville ne se sentait vraiment à l’aise que dans son château de Précy, entre les soins que le domaine nécessitait, l’église dont elle était fervente et le souvenir toujours brûlant d’un époux passionnément aimé et trop tôt disparu…

Devant tous ces regards effarés, la jeune fille eut un sourire gentiment narquois.

— Ne m’en veuillez pas ! Je ne songe qu’à vous rendre service ! C’est une raison que Madame la Princesse acceptera parfaitement, vous connaissant comme elle le fait ! Quant à moi, avec sa permission, je vais rentrer à la maison… pour n’en plus bouger jusqu’à nouvel ordre !

— Mon Dieu ! s’exclama Charlotte. Comme vous voilà grave tout à coup, mon enfant. Vous n’auriez pas dans l’idée de vous faire nonne ?

— Moi ? Oh non, Madame… Mais je pense qu’il est plus convenable pour moi d’être auprès de ma mère lorsqu’elle recevra la demande en mariage de M. le marquis de Valençay !

Ce fut un concert d’exclamations. L’excitation fut à son comble. Tout le monde parlait en même temps. Isabelle plus fort que les autres, reprochant violemment à Marie-Louise des « cachotteries inadmissibles entre sœurs ». Finalement la Princesse obtint le silence avec un « Taisez-vous toutes ! » clamé à pleine voix. Visiblement, elle était furibonde et les filles étaient trop fines pour se permettre de dépasser certaines limites.

— D’où vient, reprocha-t-elle à Marie-Louise, que votre mère – qui n’ignore pas combien elle m’est chère – n’ait pas jugé bon de me faire part de cette nouvelle à moi la première puisque vous êtes sous mon toit et que je suis responsable de vous ?

La jeune fille vint s’agenouiller auprès de son fauteuil. Elle tenait une lettre dont les cachets étaient intacts et un billet dont le sceau avait sauté.

— Veuillez lui pardonner. Ainsi qu’elle me l’apprend sur ce billet, elle a été prise de court, et voici la lettre que Grandin, notre cocher, vient d’apporter et ce petit mot qui me rappelle. Il doit me reconduire dans la voiture familiale.

En effet, Mme de Bouteville annonçait qu’un courrier de son père, le président de Vienne, lui annonçant la prochaine visite à Précy du seigneur Dominique d’Estampes, marquis de Valençay, qui souhaitait devenir son gendre en épousant sa fille aînée. Il l’avait rencontrée chez Mme de Rambouillet où l’avait mené un ami afin qu’il eût une idée du bel air de Paris où on le voyait rarement bien qu’il y possédât un hôtel.

— Mais c’est un barbon ! s’écria Isabelle dont la mémoire des visages comme des noms était infaillible. Je concède qu’il n’est pas laid, mais il pourrait être votre père et, en outre, il vit à la campagne les trois quarts du temps !

— Isabelle ! avertit la Princesse. Vous devriez y réfléchir à deux fois avant de parler de « barbon » dans la maison qui abrite l’épouse du duc de Longueville !

— C’est vrai ! fit-elle en riant. Mais il est si peu présent qu’on l’oublie aisément ! En outre, il est prince… Ce qui change tout !

Ce à quoi Marie-Louise répliqua :

— M. de Valençay ne l’est pas, mais ce n’est pas un quelconque nobliau ! Il est le neveu de l’archevêque duc de Reims, monseigneur Léonore d’Estampes, et aussi de Son Eminence le cardinal de Valençay, général de l’ordre souverain de Malte ! Certes, il a vingt-six ans de plus que moi, mais il se trouve qu’il me plaît car il est très aimable ! En outre, il possède en Berry un fort beau château qu’il a entrepris l’an passé d’agrandir considérablement, ce qui en fera un des plus magnifiques de France ! Enfin, j’aime assez – et vous le savez, ma sœur ! – de vivre à la campagne !

Un silence stupéfait salua cette déclaration dont aucune des femmes présentes n’aurait cru la silencieuse Marie-Louise capable d’articuler seulement la moitié.

— Eh bien ! exhala Isabelle. Pour un homme que vous n’avez vu qu’une seule fois, il vous en a dit, des choses ! Ma parole, vous l’avez confessé ? Il est vrai qu’avec des ecclésiastiques de si haut rang dans la famille…

— Isabelle ! avertit Mme de Condé. Vous allez dire des sottises ! Ce mariage me paraît excellent sous tous les rapports et ne signifie pas que notre Marie-Louise s’apprête à devenir une mère de l’Eglise ! Préparez votre départ, ma chère petite ! Pendant ce temps, je vais répondre à votre mère.

Mais la jeune fille, décidément intarissable, n’avait pas terminé :

— Si certaines de mes compagnes souhaitent se protéger de la contagion, ma mère sera heureuse de leur offrir l’hospitalité de notre Précy !

— Etant donné les circonstances, ce serait inopportun. En revanche, il faut que François accompagne sa sœur : c’est lui, à présent, le chef de famille ! Et vous, Isabelle ?

— Avec votre permission, je demeurerai. C’est très sérieux, un mariage, et ce qui est sérieux fait sur moi une étrange impression. Je craindrais trop de commettre des impairs !