— Oui. On y met de la hâte car le Roi va de moins en moins bien et il convient de ne pas perdre de temps…
Quand il n’y eut plus rien à voir, on redescendit et l’on attendit le retour de la « famille ». Or, non seulement on n’en était plus aux larmes, mais en plus, en ce qui concernait les Condés père et fils… et surtout belle-fille, on ne douta pas un instant qu’ils ne fussent très en colère ! Seule la princesse Charlotte faisait de son mieux pour contenir ce qui ne pouvait être qu’une envie de rire.
— Eh bien ? s’enquit Mme de Longueville. On dirait que vos larmes ont vite séché ?
Sans laisser aux hommes le loisir de prendre la parole, Claire-Clémence explosa littéralement :
— Des larmes ? Comment ai-je pu en verser sur lui, ce méchant homme qui disait m’aimer plus que si j’étais sa fille et qui me rejette à son heure dernière ! Oh, c’est indigne, indigne !
Et elle éclata en sanglots si violents que, craignant peut-être une convulsion, Mme de Condé, s’approchant d’elle, lui appliqua deux claques. Qui la calmèrent comme par magie.
— Oh ! Vous avez osé me frapper ?
— Et j’oserai encore si vous recommencez ! Votre oncle n’est au tombeau que depuis peu d’heures et, après avoir tant larmoyé, vous vous répandez en invectives ? Tous ces embarras pour quelques terres…
— Quelques terres ? coupa son époux. Je vous trouve difficile ! Le duché-pairie de Fronsac à l’amiral de Brézé son neveu, le Petit Luxembourg et le château de Rueil à la duchesse d’Aiguillon, sa nièce tendrement aimée…
— Trop aimée ! grinça Mme la Duchesse. Tout le monde sait qu’elle était sa maîtresse depuis des années !
— Le nom et le duché-pairie de Richelieu à son petit-neveu Armand du Pont-Courlay. Sans compter sa magnifique bibliothèque. A charge pour lui de l’entretenir et de l’ouvrir au public. Enfin, au Roi…
— Au Roi ! ragea la nièce spoliée. Comme si…
— … le Palais-Cardinal avec ses collections et les plus belles pièces de son mobilier !
— Vous oubliez le plus beau, le cadeau entre tous les cadeaux, la cerise sur le gâteau ! Le cardinal Mazarin au complet et en état de marche ! s’écria la Princesse sans plus retenir son fou rire.
— Et cela vous fait rire, ma mère ? reprocha froidement sa fille. Cela veut dire que ce lazzarone sorti de nulle part va entrer au Conseil pour y occuper la place de Richelieu et continuer sa politique ?
— Sans aucun doute, mais apaisez-vous, ma sœur, intervint Enghien. Songez que le Roi, lui aussi, est fort malade, et qu’il ne verra pas s’achever l’année qui s’ouvre dans quelques jours… Et alors…
— Et alors, gronda son père, nous les Condés servirons la Reine, qui recevra la régence, et le petit Roi comme nous avons servi celui qui va partir. N’oublions pas qu’une bonne partie du royaume repose sur nous et que j’ai de grandes charges ! Cela oblige…
Bien qu’il fît semblant de ne pas y croire tant que ce fut possible, Louis XIII s’en allait en effet vers sa fin… Le 22 avril suivant – 1643 –, au château de Saint-Germain, et après quelques semaines fluctuantes qu’il s’efforçait de maîtriser au moyen de tout ce qui lui restait d’énergie, il fut incapable de quitter son lit et comprit qu’il n’en sortirait plus. Alors il entreprit de régler ses dernières dispositions. D’abord il fit baptiser son fils – l’enfant n’était qu’ondoyé jusque-là ! Il choisit pour marraine la princesse de Condé… et le cardinal Mazarin comme parrain. La cérémonie eut lieu dans la chapelle du château en présence de toute la Cour, après quoi il demanda qu’on lui amène le petit garçon de quatre ans et demi.
— Mon fils, comment avez-vous nom à présent ?
— Louis XIV, répondit le petit sans hésiter.
— Pas encore, mais ce sera peut-être bientôt si c’est la volonté de Dieu.
Pourtant, fidèle à sa promesse si Claire-Clémence annonçait une grossesse, le Cardinal avait confié les armées du Nord à Louis d’Enghien et la campagne contre les Espagnols et Impériaux débutait. Le 12 mai, le Roi mourant eut une étrange prémonition et fit signe d’approcher au prince de Condé qui ne le quittait plus.
— Je viens de rêver, souffla-t-il, que M. le duc d’Enghien, votre fils, en était venu aux mains avec l’ennemi, que le combat avait été bien rude et opiniâtre et que la victoire avait été longtemps contrebalancée. Cependant, elle nous est demeurée avec le champ de bataille…
C’était la magnifique victoire de Rocroi que le mourant venait d’annoncer. Elle chassait les Espagnols de la terre de France pour de longues années et faisait du jeune duc de vingt-trois ans un héros !
1 Il avait reçu le « chapeau » peu de temps auparavant.
5
Le « chandelier »
La magnifique victoire, ce fut l’hôtel de Condé qui l’apprit en premier de la bouche de La Moussaye, à la fois rayonnant et exténué, mais tout de suite l’annonce se répandit à la vitesse d’une traînée de poudre enflammée. Avant même que le messager ne parvienne au Louvre, Paris éclatait d’enthousiasme, amassait paille et bois pour les feux de joie autour desquels on allait danser tandis que s’ébranlaient les cloches de toutes les églises, entraînées par le gros bourdon de Notre-Dame, où dès le lendemain on chanterait un Te Deum. On s’attroupait devant la demeure du héros pour acclamer sa famille et les cavaliers qui venaient apporter les drapeaux pris à l’ennemi, devant lesquels François de Bouteville, émerveillé, s’agenouilla pour en baiser la soie avec des larmes de bonheur.
La Princesse, Mme de Longueville et Isabelle eurent l’impression que le ciel s’ouvrait pour elles et il n’y eut jusqu’au plus petit marmiton qui ne se sentît grandi et honoré par l’intensité de cette gloire dont s’illuminait la demeure.
La Reine et le cardinal Mazarin se déclarèrent enchantés. Cette belle victoire tombait à pic pour conforter le pouvoir absolu que la Régente s’était fait attribuer en faisant casser le testament de son défunt époux par le Parlement… En résumé, tout le monde était content… sauf Monsieur le Prince qui déclara à Pierre Lenet, procureur général au parlement de Bourgogne, mais aussi son ami et conseiller très écouté :
— Souvenez-vous que, tant plus que mon fils acquiert de la gloire, tant plus que le malheur arrivera à ma maison !
Lenet ne se récria pas parce qu’il le connaissait parfaitement et savait réfléchir. Aussi, loin d’attribuer cette prédiction pessimiste à l’affreux caractère de Condé, se contenta-t-il de lui répondre qu’il pourrait bien avoir vu juste.
— Que cela ne vous empêche pas, Monseigneur, de demander un gouvernement pour notre vainqueur quand il sera de retour !
— Vous croyez qu’on me l’accordera ?
— S’il n’y avait que Mazarin, je dirais oui sans hésiter, car Rocroi l’enchante. Quant à la Reine, elle aurait applaudi la nomination sans hésiter si, depuis la mort du Roi, elle n’écoutait avec un tel plaisir les dangereuses sirènes de jadis…
En effet, dès que le testament de Louis XIII eut été détruit, tous ceux qu’il avait exilés s’étaient hâtés de revenir pour apporter leur soutien à Monsieur (Gaston d’Orléans), l’éternel conspirateur. A leur tête la dangereuse duchesse de Chevreuse, la plus chère amie d’autrefois, sans doute déçue à sa première visite de n’avoir pas reçu l’accueil espéré (elle avait changé et la Reine aussi), mais dont les alliances pesaient lourd puisqu’elle était fille du vieux duc de Montbazon dont l’épouse était la maîtresse du duc de Longueville. Le duc de Chevreuse était lui-même frère du duc de Guise, ce qui joignait les Lorrains à ces gens épris de vengeance qui reportaient sur Mazarin la haine recuite vouée à Richelieu, en y ajoutant une solide dose de mépris pour sa condition première. Mme de Chevreuse ne cachait d’ailleurs pas sa volonté de mettre son ancien amant Châteauneuf à la place de l’Italien maudit. L’intention générale étant de l’assassiner tout bêtement. Or, les Condés, au service du Roi avant tout, se retrouvaient du côté de son ministre et la gloire d’Enghien offusqua les revenants.