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Il s’était rapproché d’elle et le cœur d’Isabelle manqua un battement, devinant qu’il allait la prendre dans ses bras… Mais elle fronça le nez : l’amour de sa vie sentait furieusement la sueur, la graisse d’armes, même une crasse vieille, sans se tromper, de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, car, tout comme Monsieur le Prince son père, Monsieur le Duc avait tendance à considérer que les soins du corps étaient du temps perdu. Elle le repoussa gentiment :

— Non, Monseigneur ! S’il vous plaît… Pas… ce soir !

— Pourquoi ? J’ai une terrible envie de vous ! » Et soudain, il crut comprendre  : « Oh… Vous êtes… empêchée ?

Décidément, le duo qu’elle espérait tellement poétique prenait une drôle de tournure et elle se mit à rire :

— Non, mon cousin, mais je crois que l’on s’inquiète de nous et je ne veux pas contrarier ma chère princesse ! Elle est si heureuse de votre retour !

Une petite troupe armée de torches quittait en effet le château à leur recherche.

— Plus que vous, en tout cas ! bougonna Enghien. Eh bien, rentrons, puisque vous y tenez !

— De quoi vous plaignez-vous donc ? J’ai répondu à votre attente : ne vous ai-je pas fait rire ?

— … alors que je voudrais tant vous faire crier de plaisir ? Il faudra que vous y passiez, ma belle ! menaça-t-il entre ses dents.

— En attendant, faites-moi l’honneur de m’offrir votre bras pour m’aider à marcher ! Mon pied me fait vraiment très mal !

Il s’exécuta, de mauvaise grâce d’abord, puis avec une pointe de sollicitude, jusqu’à ce qu’enfin, sentant qu’elle souffrait réellement, il l’enleva de terre pour la porter…

— Accrochez-vous à mon cou, ordonna-t-il. Vous me faciliteriez la tâche.

Elle obéit et se sentit soudain beaucoup mieux. Certes l’odeur était toujours présente, mais elle en était moins incommodée. Cela tenait peut-être à cette impression étrange d’être arrivée à une place qui lui convenait et lui conviendrait toujours. Elle lutta héroïquement contre l’envie de laisser sa tête se nicher près du cou solide… et fit aussi bien car il lui vrilla les oreilles en réclamant :

— Une civière, un fauteuil ou n’importe quoi ! Vous êtes plus lourde qu’il n’y paraît ! commenta-t-il gracieusement.

— Et vous moins fort que je ne le croyais ! riposta-t-elle, rendue furieuse par cette fin sans gloire d’une promenade nocturne qu’elle avait espérée idyllique…

Un moment plus tard, rapportée dans la chambre qu’elle partageait d’habitude avec Marie de La Tour que sa mère, malade, avait réclamée, Isabelle se laissait examiner par Bourdelot qui diagnostiqua « une simple entorse », oignit la cheville enflée d’un onguent qui, par bonheur, ne sentait rien, et banda en recommandant d’appuyer le moins possible sur ce pied durant quelques jours. La guérison viendrait naturellement…

De toute façon, qu’elle fût debout, assise ou couchée importait peu. Si Isabelle ne dormit guère, ce fut parce qu’elle ne cessait de repasser dans son esprit cette fin de journée inattendue où Louis, si miraculeusement reparu, s’était occupé d’elle plus que de toutes les autres – même de sa « divine » sœur, et c’était pour Isabelle un merveilleux cadeau du Ciel. Se pouvait-il que marié – mal, mais tout de même ! – , amoureux jusqu’à nouvel ordre d’une jolie fille pour laquelle il n’avait pas caché son désir de demander l’annulation de son mariage, pourvu, selon les potins de Cour d’une ou deux maîtresses passagères, il se soit pris à l’aimer elle ? Qu’il la désirât ne faisait aucun doute, mais ils étaient nombreux ceux qu’attirait sa beauté à peine éclose, et ce qu’elle briguait, c’était son cœur ! Elle souhaitait être aimée comme elle aimait elle-même : corps, cœur et âme confondus…

Aux approches de l’aube, elle plongea enfin dans un sommeil que le chant des coqs du domaine ne réveilla pas. Ce qui y réussit, ce fut le vacarme de saluts, de souhaits et de cris qui accompagnait le départ d’Enghien et de Tourville retournant au-devant des troupes qui venaient de prendre Thionville, afin d’être à leur tête pour une entrée dans Paris certainement triomphale !

Elle se hâta de quitter son lit en s’aidant d’une canne abandonnée à son chevet et, seulement vêtue de sa chemise de nuit et de ses cheveux répandus sur ses épaules, elle alla à la fenêtre qu’elle ouvrit en grand… Les deux hommes étaient déjà en selle et faisaient volter leurs chevaux au milieu de l’enthousiasme général : presque tout le château était dehors, y compris Madame la Duchesse qui, Dieu sait pourquoi, pleurait en agitant son mouchoir à côté d’une nourrice placide, laquelle élevait l’héritier à deux mains, comme s’il eût été le saint sacrement. Initiative qui n’avait pas l’air de plaire au nourrisson, car ses cris de protestation dominaient le tumulte.

Soudain Enghien, se retournant sur sa selle, aperçut Isabelle, lui sourit, lui envoya un baiser du bout des doigts puis enleva son cheval et partit au galop…

Heureuse que ce dernier hommage eût été pour elle, Isabelle ne referma pas sa fenêtre – ces derniers jours de septembre étaient infiniment doux ! – et retourna s’asseoir sur son lit en claudiquant. Elle resta là un moment sans bouger pour laisser s’apaiser les battements de son cœur tout en souriant au soleil qui l’enveloppait de ses rayons.

Elle s’étira à plusieurs reprises, fit jouer son pied qui lui parut un peu moins douloureux. En fait, jamais elle ne s’était sentie aussi bien ! Son regard alors s’arrêta sur la pendule. Voyant qu’elle marquait dix heures et demie, la jeune fille chercha le cordon pour que l’on vienne l’aider à faire sa toilette et s’habiller, et attendit. Mais, quand la porte s’ouvrit, ce ne fut pas une chambrière qui parut, mais Mme de Longueville.

Sachant à quel point celle-ci tenait aux usages, Isabelle voulut se lever pour la saluer.

— N’en faites rien ! émit la voix soyeuse. Je suis seulement venue pour bavarder avec vous…

— N’est-il pas un peu tôt ? J’appelais pour que l’on vienne m’accommoder ! dit Isabelle, admirant à part elle l’harmonie composée par le bleu de la robe en accord parfait avec les yeux et les reflets de la blonde chevelure artistement coiffée sur ce fond de lumière dorée.

— Il n’est jamais trop tôt pour rendre service à quelqu’un de cher. Vous pouvez même vous remettre au lit afin d’éviter d’avoir froid !

— C’est que j’ai surtout faim ! murmura Isabelle que cette sollicitude imprévue rendait méfiante.

— Le dîner n’est plus bien loin. Je vais vous faire apporter du lait et quelques fruits…

— Le lait suffira !

Allons, décidément, il était impossible de se débarrasser de Mme de Longueville ! Résignée, Isabelle se cala dans ses oreillers, en remontant ses genoux qu’elle entoura de ses bras, et attendit, cependant que sa visiteuse allait jeter un coup d’œil par la fenêtre, ne quittant son observatoire que lorsqu’elle entendit une fille de chambre apporter ce qu’elle avait demandé.

— Merci ! fit Isabelle le nez dans son bol. Qu’avez-vous de si important à me dire ?

Anne-Geneviève revint s’asseoir au pied du lit et s’arma du sourire ensorceleur dont elle avait le secret.

— Important, non ! Une simple mise en garde, parce que je vous aime et que je ne voudrais pas vous voir souffrir !

— Souffrir ? Et de quoi, mon Dieu ? A part mon pied…

— De mon frère. Il me serait pénible que vous vous nourrissiez d’illusions à son sujet. Vous en auriez le droit, étant donné l’attention toute particulière dont il vous a entourée hier au soir. On aurait juré qu’il était tombé amoureux de vous…