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Le duel devait avoir lieu le 12 décembre à la nuit tombante… et place Royale avec deux « seconds », MM. d’Estrades et de Bridieu.

Quand elle l’apprit, Isabelle fut saisie d’épouvante. La place Royale ! Une foule de spectateurs ! Quatre épées alignées ! Le sang ! La mort sur le terrain ou sur l’échafaud ! Le deuil ! Les larmes des femmes et des enfants ! La douleur qui ne guérit pas, comme cela avait été le cas pour sa mère restée inconsolable ! Les enfants qui grandissent sans père comme si la guerre qui reprenait à chaque printemps ne suffisait pas ! Son effroi fut si violent que, la veille au soir, se trouvant en face de sa cousine venue souper, aussi indolente et hautaine que d’habitude, elle ne put se maîtriser. Pâle de colère, elle lui lança au visage :

— Devez-vous vraiment laisser faire cela ?

— Quoi « cela » ?

— Cette tuerie qui aura lieu demain en l’honneur de vos beaux yeux afin de prouver à la Terre entière que vous êtes une épouse sans reproche, une pure brebis dont on a osé éclabousser la blanche robe alors que tout Paris sait que ce malheureux Coligny est votre amant ! Qu’il veuille se sacrifier pour vous se peut comprendre puisqu’il vous aime, mais les autres, cet Estrades, ce Bridieu, et même le duc de Guise, que vous ont-ils fait pour jouer leur vie ?

— Vous êtes folle, ma parole ! fit la duchesse avec un petit sourire dédaigneux. Je vous rappelle que la moitié va se battre pour la Montbazon – qui n’en mérite pas tant, je vous l’accorde. Mais ce qui me surprend le plus c’est d’entendre le cas que fait du point d’honneur la fille de Bouteville. Il aurait honte de vous !

— Je n’en suis pas sûre ! Hélas ! Je n’ai pas eu le temps de le connaître. En revanche, durant des années, j’ai vu pleurer ma mère. Et sans l’extrême bonté de Madame la Princesse, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de nous…

— Oh, en voilà assez ! Que l’on fasse taire cette péronnelle et qu’on la renvoie dans sa chambre ! Je n’ai aucune envie de souper en sa compagnie  !

Isabelle se tourna vers sa bienfaitrice.

— Ne prenez pas cette peine, Madame la Princesse, je connais le chemin. Mais je vous demande pardon si je vous ai causé de la peine. Je n’ai pas pu m’en empêcher…

Une révérence et elle était partie. Au pied de l’escalier, elle hésita un instant, tentée de se réfugier au jardin auprès de sa fontaine, mais il faisait vraiment froid ce soir et elle regagna sa chambre. Le feu où l’on venait de remettre des bûches flambait allègrement. Elle en aimait le spectacle et s’assit à terre sur un coussin, les jambes repliées et les bras autour des genoux pour mieux le contempler. La douce chaleur l’enveloppa, ainsi qu’un silence inattendu, inhabituel dans le vaste hôtel, fourmillant de monde et rempli d’agitation le plus souvent. Sans compter les courants d’air…

Elle n’était pas sûre de ne pas regretter une sortie qui n’avait en rien entamé l’assurance d’une ennemie – comment la qualifier autrement à présent ? – qui devait considérer le combat meurtrier du lendemain comme un hommage rendu à sa beauté plus encore qu’à une vertu sur laquelle mieux valait peut-être ne pas s’appesantir. Si Coligny l’emportait, elle en sortirait magnifiée et, s’il était vaincu, son auréole d’héroïne de roman n’en brillerait que davantage, surtout si le nœud de crêpe noir s’y posait ! De toute façon, la gloire lui reviendrait et les poètes de l’hôtel de Rambouillet n’en chanteraient que plus haut ! Surtout peut-être si l’ombre de l’échafaud l’accompagnait.

— Et dire qu’elle se veut bonne chrétienne, fille d’élection de l’Eglise à laquelle jadis elle songeait à se consacrer  ! En se faisant carmélite, même ! Quant à toi, ma fille, ajouta-t-elle pour elle-même, tu peux te préparer à réintégrer Précy demain matin !

La porte, en s’ouvrant sous la main de Mme de Condé, la remit debout, un peu gênée, prête à entendre sa condamnation. Mais, tout au contraire, elle eut droit à un sourire plein d’indulgence.

— C’est une manie, décidément, de vouloir retourner chez votre mère pour un oui ou pour un non ! En tout cas, je ne me rappelle pas vous y avoir autorisée.

— Je pensais que cela allait de soi après ce que je viens de me permettre !

— Vous êtes ici chez moi, pas chez ma fille ! Et, en plus, je vous donnerais volontiers raison. L’idée que le sang va encore couler, et pour une… peccadille, me fait frissonner !

Elle s’assit dans un fauteuil au coin de la cheminée et fit signe à Isabelle de reprendre son coussin.

— Cela doit vous paraître étrange de la part d’une femme telle que moi qui, à votre âge, était folle de fierté à la pensée qu’un Roi l’aimait au point de partir en guerre pour ses beaux yeux. Seulement, il y a longtemps et j’ai vieilli ! Non, ne dites rien ! Ceci n’est que pour vos jeunes oreilles. Surtout j’ai vu tomber la tête de mon frère bien-aimé, celle aussi de votre père qui ne rêvait que plaies et bosses sans y mettre la moindre méchanceté, simplement je crois parce que cela l’amusait. Ils devaient pourtant savoir l’un et l’autre que l’on ne plaisantait pas avec les édits du Roi au temps de Richelieu ! Par chance, celui qui le remplace ne lui ressemble en rien ! Selon l’issue du combat, je me rendrai aussitôt chez lui et chez la Reine. Et ne me prenez pas pour une buveuse de sang, ajouta-t-elle en posant sa main sur la tête d’Isabelle, si je vous confie que j’ai l’intention d’assister au duel derrière les fenêtres d’une amie et sans me faire voir afin d’agir aussi vite que possible ! Et non, je ne vous emmène pas ! Vous avez raison d’avoir horreur du sang versé pour des broutilles ! En attendant, prenez des forces, nous en aurons besoin toutes les deux.

Ayant dit, elle se releva, alla à la porte où l’on venait de gratter, découvrant une servante armée d’un plateau qui s’écarta en pliant brièvement le genou pour la laisser passer.

Mais elle s’était à peine éloignée de quelques pas qu’Isabelle la rejoignit.

— D’abord, pardonnez-moi de vous avoir causé un souci de plus et peut-être d’y rajouter, mais je voudrais vraiment vous accompagner demain.

La Princesse regarda un instant le visage juvénile, si tendu que ses fossettes s’effaçaient, puis passa délicatement un doigt sur sa joue.

— C’est entendu. Nous irons ensemble.

Le lendemain, en dépit du froid polaire, toutes les fenêtres de la place Royale étaient ouvertes et occupées, sauf deux : celle de l’hôtel de Rohan derrière laquelle se tenait Mme de Longueville, et celle de Mme de Blérancourt où étaient la princesse de Condé et Isabelle. Enghien était sur la place avec le jeune frère de Coligny, François de Bouteville et ses autres gentilshommes en face du duc de Guise, mais séparés par le terrain où le duel allait se dérouler.

Quand les combattants s’avancèrent pour la rencontre, Mme de Condé s’exclama :

— Mon Dieu ! Ce duel est encore plus insensé que je ne le pensais. Regardez Coligny ! Il est blême et semble avoir peine à se soutenir ! On pourrait croire qu’il a peur !

— Je crois surtout qu’il a froid ! Voyez son frère, près de Monsieur le Duc ! Il est l’image même de l’angoisse, alors que la réputation de bravoure de son aîné n’est plus à prouver.

— La température est la même pour tous…

— Sans doute, mais les autres sont en pleine santé, alors que Coligny donne l’impression d’être malade.

Elle voyait juste. Maurice de Coligny relevait à peine de ce que l’on appelait une fluxion de poitrine. Sans doute Enghien le savait-il, mais le point de tension entre les deux partis était tel qu’une demande de sursis eût été mal interprétée, comme le fut la suite…