— Où est votre sœur ? Je sais qu’elle a assisté à la rencontre derrière une fenêtre de l’hôtel de Rohan.
— A Saint-Maur où elle pleure toutes les larmes de son corps… et attend Bourdelot !
— Démontrant ainsi qu’elle aime Coligny, qu’elle est sa maîtresse, que Longueville est cocu et que l’on a versé le sang de trois gentilshommes pour des prunes ! J’espère qu’elle est contente. Encore heureux qu’il n’y ait pas de morts ! Mais il est permis de rêver !
Le médecin arrivait à cet instant, prêt à partir. En quelques mots, Enghien lui expliqua la situation tandis que son compagnon s’approchait des deux femmes.
— Puis-je espérer votre agrément, Madame la Princesse, si j’osais me présenter à vous un jour prochain ? J’aimerais beaucoup…
— … venir me saluer, j’en suis persuadée, mais surtout faire plus ample connaissance avec ma jeune cousine Isabelle ? Je n’y vois aucun inconvénient… Où vous étiez-vous rencontrés auparavant ?
— Chez Mme de Rambouillet…
— Naturellement ! Où avais-je la tête ! Qu’en pensez-vous, Isabelle ?
L’intéressée arbora soudain son plus radieux sourire. Elle venait de saisir, le temps d’un éclair, le froncement de sourcils de Louis d’Enghien quand le jeune homme avait formulé sa demande.
— Que je verrai M. de Coligny avec un vif plaisir !
— A merveille ! Retournez auprès de votre frère, marquis, et faites-nous tenir des nouvelles ! Nous irons lui faire visite un jour prochain !
Les trois hommes sortis, Isabelle les suivit, devinant à sa mine que Monsieur le Prince allait encore piquer une colère, mais avec la ferme intention de rester derrière la porte et, de fait, à peine le battant refermé, elle entendit :
— Vous n’êtes pas un peu folle d’encourager ce garçon à courtiser la jeune Isabelle ?
— Et pourquoi pas ? Il est superbe, il a un beau nom, une fortune et davantage encore si son pauvre frère vient à mourir puisque, à la mort de son père, il deviendra duc de Châtillon. Pour une fois, nous pourrions assister à un mariage vraiment réussi !
— Ah, vous trouvez ? Vous êtes bien une femme à ne pas voir plus loin que le bout de votre nez et surtout les fariboles dont vous et vos amies vous gargarisez à l’hôtel de Rambouillet – et ici d’ailleurs ! – la… « Carte de Tendre » !… Les vers de poètes fumeux ! Les « romances » de la Scudéry et que sais-je encore ! Vous n’oubliez que deux détails : Isabelle est catholique et Coligny protestant, comme il se doit quand on descend du grand Coligny massacré à la Saint-Barthélemy ! En outre, elle n’a pas de dot ! Jamais le vieux maréchal, qui est pingre à tondre une puce, ne consentira à demander sa main, en particulier à notre cousine Bouteville qui, elle, n’acceptera jamais un parpaillot dans sa famille !
— Vous l’étiez vous aussi quand vous m’avez épousée !
— Vous savez parfaitement que j’ai été contraint d’abjurer !
— Eh bien, le jeune Gaspard fera de même ! A condition évidemment qu’Isabelle l’aime ! Ils formeraient un si beau couple…
— Un si beau couple ! Je vous demande un peu !
L’écho de son pas sonnant sur le parquet précipita la curieuse vers l’escalier dont elle grimpa les marches quatre à quatre. Il était temps, ainsi que le lui confirma le claquement de la porte. Au surplus, elle avait besoin de réfléchir. Elle tisonna le feu qui avait faibli, ajouta une poignée de brindilles puis trois bûches. Enfin elle s’installa dans son fauteuil favori, les pieds sur les chenets et les bras croisés sur l’écharpe de laine qu’elle avait jetée sur ses épaules. Dans ce qu’elle venait d’entendre, il y avait en effet matière à réflexion !
Même si elle ne se livrait jamais à d’édifiantes démonstrations de piété à l’instar de la Longueville, ses croyances étaient solides et, que ce soit par contrainte ou par amour, elle n’accepterait pas d’abjurer. D’ailleurs, Condé avait raison en disant que sa mère refuserait de la donner à un parpaillot, aussi charmant soit-il !
Et soudain, elle en eut de la peine. Ce Gaspard lui plaisait, plus qu’aucun autre si l’on mettait Enghien à part. Et encore ! Si elle demeurait captive de son premier et inoubliable regard, ce qu’elle éprouvait pour Enghien ressemblait beaucoup plus à de la rancune et à un désir de revanche qu’à l’amour tel qu’il était lorsque la cruauté de la Longueville avait éteint la flamme brûlant au fond de son cœur d’adolescente. Un « chandelier » ! C’était sa beauté qui lui avait valu cette injure, parce qu’on ne pouvait décemment pas se détourner de la ravissante et douce Marthe du Vigean que pour une fille qui en valait la peine. Le contraire eût été invraisemblable !
Quoi qu’il en soit, l’offense demeurait. Isabelle se sentait humiliée que l’on eût osé faire si bon marché de son cœur et de ses sentiments parce qu’elle était une fille sans fortune… et sans un bras viril pour lui faire rendre raison ! François sans doute, mais pas avant quelques années, aussi fallait-il qu’il n’en sache rien car, si jeune fût-il, il n’hésiterait pas à réclamer : « Vengeance ! » D’ailleurs, ses armes à elle devraient être suffisantes pour mettre l’adversaire à genoux et lui faire implorer grâce !
Restait Gaspard de Coligny. Le mari idéal ! Beau comme un dieu, riche comme un puits et sûrement futur maréchal de France. Sa vaillance était citée en exemple et, de fait, maréchal de camp à vingt-trois ans, qui pourrait dire mieux ? Maintenant, savoir s’il l’aimerait assez pour accepter d’abjurer était la question…
Isabelle plongea si loin dans ses pensées profondes qu’elle finit par s’endormir…
Etabli sur une faible colline au-dessus d’une boucle de la Marne, le château de Saint-Maur, dont la construction avait été jadis ordonnée par la Reine Catherine de Médicis, aurait été sans doute l’un des plus grands et des plus beaux de France si celle-ci avait vécu une dizaine d’années de plus, car il restait inachevé. Tel qu’il se présentait, cependant, il ne manquait ni de majesté ni d’agréments, comme c’est toujours le cas pour les châteaux de femmes.
C’était alors la propriété de la princesse de Condé et non de son époux, et Enghien le savait en déclarant à son père que Maurice de Coligny était chez lui. Flatterie diplomatique destinée à faire passer la pilule ? Cela l’obligeait à respecter les lois de l’hospitalité jointes au droit d’asile. Quant au château lui-même, un voyageur hollandais devait plus tard en tracer un bref portrait : « La construction dans le goût italien est fort belle. Dans la première cour, il y a une façade avec des armoiries sculptées. De chaque côté sont les statues de la Géométrie et de l’Abondance. Sur les murs l’image de François Ier et, non loin, des Grâces en pierre blanche… »
Autour, naturellement, des jardins plutôt mal entretenus, Madame la Princesse s’étant surtout attachée à rendre vivable ce château que les Rois employaient pour la chasse et où ils se faisaient précéder de leur mobilier. Tel Louis XIII qui, retenu au couvent de la Visitation par un très violent orage alors qu’il venait à Saint-Maur, retourna se coucher au Louvre. Sur les supplications de celle qui avait été Mlle de La Fayette et son grand amour. Il lui fallut demander l’hospitalité de la Reine qu’il n’approchait plus. Louis XIV était né de cette unique nuit…