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Quand, au lendemain du duel, Madame la Princesse s’y rendit avec Isabelle afin de prendre des nouvelles de son hôte involontaire, elles purent constater que le blessé était fort convenablement installé dans une belle chambre où rien ne manquait… mais qu’il avait une mine épouvantable.

Elle se reflétait dans les sourcils froncés du médecin et les visages inquiets de ceux qui entouraient le lit. A l’un de ses chevets, Madame de Longueville retenait difficilement ses larmes en tenant une de ses mains, à l’instar d’ailleurs de celui qui tenait l’autre : le jeune prince de Marcillac, fils du duc de La Rochefoucauld. Au pied du lit, Bourdelot, les manches retroussées, venait de pratiquer une saignée dont un valet emportait le résultat. Auprès de lui, Gaspard de Coligny, Enghien et François. Personne ne parlait, ce qui permettait d’entendre la respiration difficile du blessé.

A l’entrée des deux femmes, les trois gentilshommes vinrent à leur rencontre.

— Il va si mal que cela ? s’inquiéta Mme de Condé, choquée parce qu’elle ne s’attendait pas à ce que les choses en fussent là.

— Je ne crois pas pouvoir le sauver, dit le médecin. Le bras ne cesse d’enfler et je crains la gangrène…

— Mon Dieu ! murmura la Princesse en se signant, imitée par Isabelle. Mourir pour une blessure au bras ? Cela n’a pas de sens !

— M. de Coligny souffrait déjà quand il est allé sur le terrain. Si l’on y ajoute le froid et le fait que la lame du duc de Guise était peut-être malpropre…

— Malpropre ? Une épée ?

C’était une notion nouvelle pour la Princesse comme pour Isabelle et qui ne laissait pas d’être choquant. L’épée, ce symbole de l’honneur, lacérait les chairs, mais qu’elle pût les empoisonner n’était même pas pensable. Cependant elle accordait confiance au praticien, ne fit aucun commentaire et alla s’asseoir dans le fauteuil que son fils lui avançait, Isabelle restant debout à son côté.

Après avoir répondu au salut de Gaspard de Coligny qui peinait à cacher sa joie de la revoir, celle-ci fixa son attention sur Mme de Longueville, qui n’avait pas bougé pour venir vers sa mère. Les larmes coulaient à présent sur son visage, et pourtant ce n’était pas l’agonisant qu’elle regardait mais l’homme qui, en face d’elle, tenait l’autre main et dont les yeux ne la quittaient pas. Comme Isabelle ne le connaissait pas, elle demanda tout bas à la Princesse :

— Qui est ce gentilhomme à la mine sombre en face de ma cousine ?

— Un revenant ! Le prince de Marcillac, François de La Rochefoucauld, le fils aîné du duc. Je ne le savais pas de retour.

— C’est un voyageur ?

— Non. L’un de ceux qui ont suscité la cabale des « Importants » et ont été exilés. Pour lui, la destination s’est traduite par le château familial de Verteuil. Il haïssait à la fois Richelieu et le feu Roi, et ce pour une excellente raison : il était amoureux de la Reine et ne se donnait même pas la peine de cacher ses sentiments. Il avait trop d’orgueil pour cela ! Il avait benoîtement formé le projet d’enlever Sa Majesté et de l’emmener à Bruxelles…

— Quelle idée !

— Oui, n’est-ce pas ? Il fut aussi l’amant de Mme de Chevreuse… Mais je vous en raconterai plus long quand nous rentrerons !

— Il est très beau, mais… comme un ange déchu !

— L’orgueil, toujours l’orgueil ! Pour l’heure présente, on croirait que ma fille et lui se plaisent. Retournons ! Nous sommes restées assez longtemps !

Charlotte de Condé se leva, aussitôt rejointe par son fils qui proposait de raccompagner les deux femmes à leur voiture, mais Gaspard s’interposa courtoisement :

— Accordez-moi ce privilège, Monseigneur ! Cette demeure est vôtre, mais c’est à mon frère que Madame la Princesse et Mlle de Bouteville ont fait la grâce de cette visite…

Ils arrivaient au perron quand un carrosse passablement boueux vint s’y arrêter. Une dame emmitouflée dont le visage était à demi dissimulé sous un échafaudage de coiffes en descendit avec difficulté, aidée de deux laquais que d’ailleurs elle morigénait et menaçait d’une canne. Gaspard émit un borborygme qui ressemblait à un gémissement :

— Seigneur ! Ma mère !

— Allez à son devant, décida la Princesse. La circonstance doit être affreuse pour elle et elle a besoin de toute votre attention !

— Je n’en suis pas certain ! En colère, oui… Mais c’est son état naturel ! Veuillez m’excuser !

Le carrosse crotté repartait déjà pour laisser place à la voiture aux armes des Bourbons-Condés. Ses occupantes commençaient à descendre les marches tandis que la dame les gravissait péniblement sans cesser de vociférer. Vint le moment inévitable du croisement. La Princesse armait déjà son visage de profonde compassion, imitée par Isabelle, quand elles entendirent, sortant de l’amas de tissus :

— Les Condés, hein ? Mauvaises gens !

— Mère ! s’écria Gaspard, épouvanté. Songez à qui vous parlez !

— Tu préfères renégats ? Leur père a abandonné la vraie foi pour s’enrichir et faire plaisir à ce vieux paillard d’Henri de Navarre ! Alors je dis…

— Rien du tout ! Pressons, vous autres ! ajouta-t-il à l’adresse des valets. Madame la Princesse, je viendrai vous offrir mes excuses…

Charlotte le rassura d’un sourire et se hâta de monter et de se glisser sous la couverture de fourrure qui gardait encore un peu de la chaleur dispensée auparavant par des chaufferettes déjà éteintes.

— Quel affreux caractère ! soupira-t-elle. Son fils aîné agonise et elle en est encore aux guerres de Religion !

— Est-ce qu’elle ne l’aime pas ?

— On pouvait supposer que si, mais en fait je m’interroge car il y a fort longtemps que je ne l’ai vue. Elle ne quitte jamais son château de Châtillon-sur-Loing où elle ne reçoit personne à cause de la dépense ! Elle et son époux sont aussi avares l’un que l’autre !

— Je n’ai pas vu son visage. Est-elle belle ?

— Elle l’a été jadis quand elle s’appelait Diane de Polignac. D’ailleurs, vous pouvez constater que ses fils sont également beaux ! De toute façon, elle a toujours eu ce caractère de teigne et, en vieillissant, ça ne s’améliore pas. Son époux et elle s’entendent comme chien et chat, ne se rencontrant que sur les biens terrestres… et leur croyance intransigeante.

— Que leurs fils partagent ?

— Vous voulez rire ? Les garçons n’ont hérité que de la bravoure et des qualités militaires du Maréchal, mais, pour ce qui est de leur manière de vivre, Enghien y a mis bon ordre ! Huguenots ou pas, on prend la vie comme elle vient, on court les filles, les tripots et l’on collectionne les belles amies. Tous deux ont fait leurs premières armes chez Marion de Lorme, la courtisane de la place Royale, et Gaspard aurait été le premier amant de la jeune Ninon de Lenclos dont on parle tant et qui est en passe de détrôner son aînée ! Ce qui ne l’empêche pas d’être épris de vous, et très sérieusement, j’en jurerais !

— C’est facile de l’aimer, soupira Isabelle soudain triste. Il est si beau, si charmant…

— Si vaillant aussi ! Maréchal de camp à vingt-trois ans ! Ce n’est pas négligeable. Il aura sûrement droit au bâton fleurdelisé…

— Malheureusement, rien n’est possible entre nous ! Même si je l’aimais passionnément, je n’abjurerais pas ma foi catholique ! J’aime trop Notre Dame des Cieux pour mettre en doute son immaculée conception  !

Charlotte tourna vers elle un regard surpris.

— On croirait entendre ma fille Longueville ! Je ne vous savais pas si au fait des dogmes de l’Eglise !