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— Vous devriez le lui dire vous-même ! Vous êtes si belle ! Autant que l’autre mais différente, et son amour pourrait se diriger vers vous. C’est moi qui, alors, en mourrais de douleur… Moi qui vous aime de toute mon âme, ajouta-t-il dans un souffle. Je… je voudrais tant que vous consentiez à m’épouser !

Le ton de leur aparté devenait trop grave. Isabelle s’aperçut que plusieurs convives les observaient. Elle arma son sourire de malice :

— J’ai peine à vous suivre ! Vous voulez que je séduise votre frère ou que je vous épouse ?

— Ne soyez pas cruelle, vous me feriez trop de mal !

— Alors quittez cet air tragique et dépêchez-vous de n’en rien laisser paraître si vous ne voulez pas qu’on s’intéresse à nous plus qu’aux mariés ! De toute façon, votre frère est trop profondément épris pour changer d’amour et, quant à vous, fit-elle en redevenant sérieuse, vous devriez savoir qu’un mariage entre nous n’est pas possible ! Fussé-je ravagée par une folle passion, je ne pourrais renoncer à ma foi catholique !

— Et de toute évidence vous n’êtes pas ravagée par cette passion. En ce cas… Mais il est temps que je retourne à Saint-Maur ! On va bientôt danser et j’avais prévenu Monsieur le Duc que je partirais à la fin du souper…

Elle comprit qu’elle l’avait blessé et voulut le retenir :

— Pardonnez-moi si je vous ai peiné ! J’ai la fâcheuse habitude de dire ce que je pense, et même un peu plus ! Serais-je absoute si je vous confie que ce n’est pas sans… regrets que je me suis exprimée comme je viens de le faire ?

Un instant, il la regarda au fond des yeux.

— Merci ! dit-il avant de prendre sa main pour la baiser, après quoi il alla prendre congé de ses hôtes.

Isabelle le regarda s’éloigner, puis rejoignit sa mère qui venait de s’asseoir auprès de la princesse Charlotte et lui faisait signe.

— Vous semblez émue, Isabelle. Que l’on vous ait placée au côté du marquis d’Andelot me souciait et, en vous observant tous les deux, il m’est venu quelque inquiétude. Vous m’avez parus troublés l’un et l’autre, et comme ce garçon est amoureux de vous, j’espère que vous ne bâtissiez pas des projets d’avenir. Je ne donnerai jamais mon autorisation à un mariage entre vous !

— J’en suis consciente, ma mère, mais, quand on a un frère gravement blessé qui, par amour, choisit la mort plutôt que de se laisser amputer d’un bras, il n’y a vraiment pas matière à franche gaieté. Je ne crois pas dévier de la droite ligne tracée par ma religion en accordant de la compassion à un protestant malheureux !

Elle s’apprêtait à partir, mais Mme de Condé la retint :

— Cela va si mal à Saint-Maur ?

— Plus encore, Madame la Princesse ! La gangrène gagne. Bourdelot estime qu’il pourrait l’endiguer en coupant le bras malade, mais Maurice de Coligny refuse d’être amoindri et de susciter la compassion là où régnait l’amour… La mort approche et rien, à présent, ne la fera reculer…

Avec ensemble, les deux dames se signèrent. Isabelle avait tourné les talons pour remonter chez elle. Bientôt, les nouveaux mariés seraient conduits en cortège à leur hôtel de la rue du Jour pour y commencer leur lune de miel au milieu de l’enthousiasme général, et Isabelle ne se sentait pas le courage d’y assister. Elle était trop honnête envers elle-même pour ne pas admettre qu’elle les enviait. Pas de passion dévastatrice de leur part, mais un bonheur tranquille passé à regarder grandir leurs enfants et s’embellir leur déjà superbe château.

Tout à l’heure, tandis qu’elle l’aidait à mettre en place les bijoux offerts par son époux, Marie-Louise l’avait attirée contre elle.

— Je voulais te dire que, si l’envie t’en prenait, tu pourrais vivre chez nous autant que tu le désireras. Tu ne perds pas ta sœur, tu acquiers un frère ! Nous aimerions tant, l’un et l’autre, que chez nous tu rencontres…

Isabelle l’avait empêchée d’aller plus loin en lui posant la main sur la bouche.

— Surtout n’en dis pas davantage ! Le seul homme que je souhaiterais épouser est séparé de moi par plus fort que la volonté des hommes ! On n’y peut rien, mais je te remercie. Pense d’abord à être heureuse ! Je prierai pour vous deux !

En dehors d’une véritable affection, elles n’avaient jamais été très proches, les deux sœurs, la vie rêvée de l’une étant à l’opposé de celle de l’autre, mais il était pour Isabelle doux de savoir, au moment où il fallait renoncer à ce qui aurait pu être le bonheur, que le lien fraternel tenait bon.

Quelques jours plus tard, Maurice de Coligny rendait son dernier soupir dans les bras de celle qu’il avait juré d’« aimer jusque par-delà la mort », et, à l’hôtel de Rambouillet ainsi que dans tous les lieux de Paris où fleurissait le bel esprit, il se fit un retournement complet : alors que l’on avait plus ou moins daubé sur son courage lors du duel avec Guise – sans aller toutefois jusqu’à le traiter ouvertement de lâche pour ne pas s’exposer à la vindicte redoutable de son frère et du maréchal de Châtillon son père ! –, le défunt se retrouva du jour au lendemain transformé en héros de roman. Ce beau gentilhomme se sacrifiant à l’honneur de sa belle n’était-il pas le personnage idéal des Précieuses ? Un illustre inconnu accoucha d’ailleurs d’une œuvre immortelle Histoire d’Agésilas et d’Isménie, au fil de laquelle, pour mieux faire pleurer dans les chaumières, du moins dans les salons, Isménie reste pure et sans taches (alors que Mme de Longueville venait d’accoucher d’une fille) et cet Agésilas meurt désespéré en disant : « Je ne pouvais être heureux ne vous possédant pas. Ma passion était trop forte pour rester content dans ce monde… J’ai à vous rendre grâce de la bonté que vous avez d’agréer que je vous dise que je meurs à vous et fort content de ne plus troubler votre repos. »

Mieux encore ! Le peuple lui-même ressentit l’émotion générée par cette triste histoire et se hâta de faire une idole de la blonde princesse pour laquelle de galants chevaliers périssaient sans se plaindre.

Pour sa part, Mme de Longueville s’installa avec délices dans ce rôle que, sans modestie excessive, elle estimait fait pour elle : une icône qu’il ne convenait d’approcher qu’à genoux. Ce qui ne l’empêcha pas de prendre Marcillac comme amant.

Isabelle pensa en mourir d’indignation jusqu’à ce que François, définitivement attaché à Enghien et qu’elle ne voyait plus qu’entre deux campagnes victorieuses, vînt lui expliquer que, selon lui, c’était plutôt à mourir de rire. Il grandissait et, en dépit de sa bosse, devenait un charmant cavalier qui semblait habité par une immense joie intérieure, ce qui lui valait ses premiers succès féminins. Déniaisé depuis belle lurette, il avait alors pour maîtresse une certaine Mme de Gouville avec laquelle il faisait de courts séjours à Précy quand sa mère était absente. S’il faisait beau, leur plus grand plaisir consistait à se baigner dans l’Oise et à faire l’amour au soleil !

— Rien de plus agaçant que ces femmes qui ne se laissent approcher que prosterné et n’accordent leurs faveurs qu’en menus morceaux : le bout du doigt, la main, l’avant-bras, le bras, l’épaule, etc., confia-t-il à sa sœur à propos de Mme de Longueville. Quand on arrive à ses fins, on doit se sentir épuisé comme après l’ascension d’une montagne, avec peut-être l’envie d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte !