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— Comment ? Vous n’êtes pas subjugué par tant de beauté ? fit Isabelle en riant. Vous seriez bien le seul !

— Que non pas ! J’en connais des tas ! En outre, il existe des femmes pour lesquelles on livre des combats beaucoup plus rudes que se traîner sur le ventre à qui arrivera le plus vite ! Vous par exemple !

— Moi ? A quoi pensez-vous ?

— A ce cher Gaspard de Coligny qui vient d’abjurer le protestantisme pour vos beaux yeux et parce qu’il veut vous épouser, déchaînant ainsi les foudres paternelles.

Le rire de la jeune fille s’arrêta net.

— Tout de bon ?

— Tout de bon ! Le vieux maréchal, plus rat qu’il n’est permis, lui a interdit de « rechercher une fille sans dot ». Après quoi, comme il s’obstinait, il lui a coupé les vivres ! Voilà de l’amour, ma chère !

— Mon Dieu ! Mais comment va-t-il pouvoir subsister ? Et je ne parle même pas de tenir son rang !

— Monsieur le Duc y a pourvu en assurant que son ami n’aurait aucune peine à lui rendre tout cela quand son auguste père serait passé de vie à trépas. Gaspard étant son unique héritier, il ne peut qu’essayer de durer aussi longtemps que possible en espérant qu’à la longue Gaspard finira par accepter la riche héritière – Mlle de La Force ! – qu’il souhaitait pour belle-fille.

— Notre mère a-t-elle eu écho de cette histoire ?

— Bien sûr et, comme elle se sent humiliée, elle a déclaré que, même si Châtillon donnait son autorisation, elle refuserait.

La déception suivant de si près une belle joie coupa les jambes d’Isabelle qui se laissa tomber sur son siège, au bord des larmes.

— Pauvre Gaspard ! Avoir consenti un si lourd sacrifice pour rien ! J’aurais pu être heureuse avec lui ! Mais que ce dernier coup vienne de notre mère, c’est le plus insupportable. Gaspard a fait ce que nous voulions toutes les deux, et ce n’était pas facile ! Alors pourquoi veut-elle s’opposer à notre bonheur ?

— On ne peut pas lui donner tout à fait tort ! Vous savez sa fierté, et qu’une Montmorency se voie dédaigner de la sorte lui est insupportable ! Mais ne désespérez pas, Isabelle ! Nous sommes quelques-uns qui travaillons pour vous !

Il était écrit cependant que, ce jour-là, le mauvais sort s’acharnerait sur son joli roman. Et par la bouche de Mme de Longueville, en outre, ce qui rendait l’égratignure encore plus cuisante !

Venue souper chez sa mère, Anne-Geneviève, qui bavardait à bâtons rompus, lâcha soudain :

— La conversion de M. de Coligny est le grand événement chez les cancanières de la place Royale comme dans les salons. On connaîtrait le fin mot, d’un racontar, peut-être, mais qui a surpris tant de monde. Ce serait Marion de Lorme, que notre héros voit toujours beaucoup, qui aurait obtenu ce résultat ! Incroyable, n’est-ce pas ? fit-elle en adressant à Isabelle, devenue soudain blême, un sourire narquois.

Un silence suivit. Déjà, la jeune fille se levait et, priant Madame la Princesse de bien vouloir l’excuser, elle quitta la table si vite qu’elle eut juste le temps d’entendre Charlotte de Condé protester avec indignation :

— Je sais que vous n’aimez pas les plaisirs innocents, ma fille, mais j’ignorais que vous goûtiez la cruauté gratuite.

Pour ces quelques mots, elle sut qu’elle aimerait toujours sa princesse.

Qui d’ailleurs ne s’en tint pas là. Profitant de ce qu’Isabelle était partie passer quelques jours à l’hôtel de Valençay afin d’aider sa sœur à emménager dans cette demeure inconnue, elle convoqua Coligny pour apprendre de lui ce qu’il en était. Or non seulement il ne parut gêné en aucune façon, mais en plus il se mit à rire de bon cœur.

— Naturellement j’ai consulté Marion ! Elle est ma plus vieille amie et aussi la plus sûre ! Je lui dois énormément et c’est une véritable femme connaissant à merveille les mécanismes du cœur humain. Pour ce qui me tourmentait, elle ne m’a donné qu’un conseil, mais formel : abjurer. « S’il n’y a pas d’autres moyens de conquérir celle que vous aimez, n’hésitez pas à lui sacrifier votre religion. A laquelle, entre nous, vous ne semblez pas fort attaché. Certains l’ont fait au bénéfice de causes moins nobles, et si vous aimez réellement… » En la quittant, je suis allé droit à l’église Saint-Paul… et mon père est fou furieux. Quant à ma mère, elle se serait évanouie, ne reprenant connaissance que pour me maudire ! Reste Mme de Bouteville que j’espérais gagner au projet de notre mariage…

— Je sais cela ! Et aussi qu’Isabelle se désole. Qu’allez-vous faire à présent ?

— C’est ce que j’aimerais savoir….

En fait, il le savait parfaitement. Il y avait plusieurs jours déjà qu’il en discutait les modalités avec Enghien, lequel d’ailleurs en avait exprimé l’idée le premier, en ajoutant qu’il se mettait entièrement à son service pour en assurer la réalisation. Mais non sans l’avoir mis en garde :

— Tu sais que tu vas jouer ta tête ?

— Richelieu n’est plus là !

— Certes, mais la Reine, qui cependant le haïssait, semble prendre un malin plaisir à faire observer à la lettre ses anciens édits. Si ton malheureux frère n’a pas eu à supporter les conséquences de sa colère, c’est parce qu’il était en trop mauvais état. Toi, tu te portes comme un charme !

— Je n’en marcherai à l’échafaud que d’un pas plus ferme. J’aime Isabelle au point d’être prêt à donner ma vie pour une seule nuit d’amour…

— Dans ce cas, il ne nous reste plus qu’à tout mettre en place, et sans tarder. Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud !

Ce soir-là, Mme de Rambouillet donnait à souper à toutes les amies de sa fille Julie qui se décidait enfin à épouser son Montausier. Un enterrement de vie de jeune fille en quelque sorte. Pas d’hommes à l’exception des musiciens dissimulés derrière une tenture. La fête était réussie et l’on s’était bien amusées. Seule manquait Mme de Longueville qui se disait mal remise de ses couches, mais, chose étrange dans une maison où on l’encensait toujours copieusement, elle n’avait l’air de manquer à personne…

Aussi était-il tard quand la nouvelle marquise de Valençay et sa sœur reprirent le carrosse qui allait les ramener rue du Jour où l’époux attendait placidement en pensant que, dès le lendemain, Marie-Louise et lui reprendraient le chemin de leur château où il faisait si bon vivre loin des agitations et de la boue parisiennes.

Le carrosse tourna le coin de la rue en ralentissant l’allure comme s’il cherchait à éviter de faire trop de bruit et finalement s’arrêta devant le portail de l’hôtel de Valençay. A l’intérieur, Isabelle retenait son souffle, mais s’accorda un soupir de soulagement quand des hommes masqués surgirent de l’obscurité. Deux d’entre eux sautèrent à la tête des chevaux tandis que les autres maîtrisaient sans peine le cocher et les laquais accrochés aux ressorts. Cela fait, un homme de haute taille, sorte de colosse, ouvrait la portière et, sans trop de ménagement, en extirpait Isabelle en dépit de ses cris et des coups de pied qu’elle lui décochait généreusement. Marie-Louise, de son côté, s’était contentée de s’évanouir.

Chargé de son fardeau toujours criant et gigotant, l’homme courut vers un renfoncement de la rue au fond duquel attendait un carrosse de voyage attelé de six chevaux, portière ouverte. L’homme transféra son fardeau dans la voiture entre des mains nettement plus douces.

— La voici, monsieur le marquis ! Bien content de vous la remettre, elle m’a griffé ! Une vraie chatte en colère !

— Allons, Bastille ! Un peu de respect ! Il te faudra bientôt dire madame la marquise !