Выбрать главу

La Reine leur distribua de bonnes paroles visant à les réconforter, leur fit servir par Motteville du vin d’Espagne et quelques craquelins, puis, attirant Mme de Condé à part :

— Je pense, ma cousine, que je ne dois pas me mettre en peine de punir le coupable. Il y a lieu de croire en effet que Mlle de Bouteville serait fâchée que l’on troublât sa joie et que Mme de Bouteville, tout éplorée qu’elle soit, ne voudrait pas qu’on lui ramenât Coligny sans être son gendre ?

Non sans peine, Charlotte retint un éclat de rire et chuchota :

— Pour l’amour de Dieu, Madame, ne me faites pas jouer ici un personnage ridicule ! J’ai déjà assez de mal à tenir mon rôle ! En réalité, c’est mon méchant fils qui a organisé cette affaire et tout le monde est content.

— Alors faisons en sorte d’apaiser ces dames. Au moins pour cette nuit. Demain j’en parlerai au cardinal Mazarin et nous verrons sur la conduite à tenir !

Un quart d’heure plus tard, mère et fille repartaient un peu remontées avec l’assurance que tout serait mis en œuvre pour leur donner satisfaction. On mit même une escorte à leur disposition pour rentrer chez elles… et la Reine put enfin aller se coucher.

Calmer les parents Châtillon fut une autre paire de manches et, finalement, on n’y arriva pas. Le vieux maréchal fit un tel tapage qu’en quelques heures l’aventure des deux amoureux fit le tour de Paris, et singulièrement des salons où, chez Mme de Rambouillet, Voiture composa une épître en vers adressée à Gaspard :

Que cette nuit fut claire et belle

Quand la triomphante pucelle

En qui la nature et les dieux

Ont mis tout ce qu’ils ont de mieux

Fut par votre adresse arrêtée

Et par vos armes conquestée

L’Olympe son front dévoila

Et tout ce soir étincela…

Il y en avait dix pages du même acabit. La Ménardière surenchérit en composant un rondeau assez leste, et il y en eut d’autres. Une véritable avalanche de plaisanteries plus ou moins graveleuses ou de compliments en vers ou en prose qui déclencha un scandale et réveilla la combativité de Mme de Bouteville. Elle fit représenter au Parlement requête afin d’obtenir la permission de poursuivre Gaspard de Coligny comme séducteur et ravisseur de sa fille, et le condamner à avoir la tête tranchée !

De son côté, le maréchal introduisait une instance en cassation et nullité du prétendu mariage contracté à Château-Thierry comme clandestin et illégal, son fils n’ayant pas atteint sa majorité de vingt-cinq ans et ne pouvant convoler sans sa permission.

Pendant ce temps-là, bien à l’abri des rudes murailles de Stenay et de son gouverneur M. de Chamilly, le jeune couple qu’on ne voyait pratiquement nulle part vivait des heures enchantées. Dans les bras de son époux, Isabelle avait découvert l’amour avec ravissement, et comme Gaspard ne cessait de s’émerveiller de la beauté de sa jeune épouse sans parvenir à apaiser un désir qu’il savait si savamment lui communiquer, tous deux passaient davantage de temps couchés que debout, ce qui provoquait l’étonnement rêveur de la garnison…

Il fallut tout de même revenir à la prosaïque réalité. Un peu plus souvent en tout cas !

A Paris, fort heureusement, Enghien veillait au grain et se faisait le défenseur de son ami. C’est ainsi qu’il lui écrivit demandant de lui envoyer un mémoire détaillé sur les circonstances de son mariage1 , et Gaspard se mit au travail.

Avec une astuce rare chez les foudres de guerre, et afin de se concilier les bonnes grâces de la Reine et du Cardinal, Gaspard, après avoir longuement protesté de son respect et de son affection pour ses parents, expliqua adroitement que ses sentiments dont il ne s’était jamais écarté ne pouvaient pourtant aller jusqu’à compromettre son salut éternel, proclamant, en outre, la grâce que Dieu lui avait faite en lui accordant de découvrir la vérité de la religion catholique. Puis petit couplet sur les vertus et la piété de Mme de Bouteville, ainsi que sur les illustres qualités de sa fille. Enfin, il terminait en rappelant la persécution dont il était victime de la part de ses parents qui lui interdisaient de se rendre à la messe à Châtillon, mais en excusant cette opposition et sa propre résistance. Pour un peu, il se serait posé en martyr de sa foi…

Quoi qu’il en soit, ce beau morceau de littérature n’impressionna pas beaucoup le Parlement auquel Monsieur le Duc le présenta. Il y répondit par un monitoire constatant la preuve de la clandestinité du mariage à Château-Thierry. En revanche, Mazarin, poussé par la Reine, écrivit une longue lettre au maréchal pour le détourner de poursuivre son procès et lui prêcher la réconciliation, en promettant de veiller personnellement, avec l’approbation de Sa Majesté, sur la carrière d’un soldat de cette valeur…

La réponse du père offensé ne fut guère encourageante. Après avoir remercié le Cardinal de ses promesses, il laissait entendre qu’il n’était pas disposé à renoncer au procès.

Cette fois, les deux amoureux s’inquiétèrent sérieusement. Gaspard écrivit à Enghien, l’adjurant de voir le nonce et ne demandant rien moins que l’intervention du pape, mais Monsieur le Duc avait trouvé la parade, ce dont le jeune homme dans son trouble ne s’était pas avisé : il venait d’avoir vingt-cinq ans. Donc il était libre de se marier sans autorisation. Restait la clandestinité du mariage…

En recevant les instructions de son chef et ami, Gaspard ne put s’empêcher de rire.

— Mon cher amour, dit-il à sa jeune femme. Il faut retourner à Château-Thierry !

— Pour quoi faire, mon Dieu ?

— Nous marier !

— Est-ce que nous ne le sommes pas déjà ?

— Pas tout à fait selon la loi. Notre mariage a eu lieu « en secret », donc à la sauvette. Ce qui ne sera pas le cas cette fois. Nous devons y être dans trois jours et Monsieur le Duc écrit que tout sera prêt !

Et en effet, lorsqu’ils arrivèrent, ils trouvèrent la petite ville pavoisée et fleurie où, après leur avoir laissé le temps de faire toilette, on les mena à l’église Saint-Crépin. Là, ils furent mariés en bonne et due forme par l’archiprêtre entouré de son clergé au complet, en présence de la noblesse, des notaires royaux et de tout ce que l’on avait pu trouver d’illustrations urbi et orbi. Ils étaient si beaux tous les deux que le peuple les acclama, leur lança des fleurs quand ils sortirent de l’église, et les accompagna jusqu’à l’hôtel de ville où un vrai repas de noces les attendait. Rayonnante dans une robe de satin blanc qu’elle avait trouvée en arrivant – menu cadeau de Madame la Princesse ! –, Isabelle séduisit l’assistance : les hommes par sa rayonnante beauté, les femmes par sa gentillesse et son esprit.

— C’est irréel ! confia-t-elle à son époux. Nous allons enfin pouvoir être heureux chez nous et à la face du monde ! Mais pourquoi donc faites-vous cette mine ?

— C’est que… euh… nous allons continuer encore un peu d’être heureux à Stenay ! fit Gaspard, mi-figue mi-raisin.

— Comment cela ? Nous sommes dûment mariés, il me semble.

— Sans doute, mais, avant que nous ne puissions rentrer à Paris, il faut que le Parlement enregistre les minutes de notre deuxième mariage et déboute monsieur mon père et madame votre mère de leurs plaintes.

— Oh, non !

— Eh si ! Allons ! Ne vous désolez pas ! Est-ce que je ne suis pas auprès de vous, entièrement à vous, ce qui ne pourra se faire quand nous reverrons Paris ? Nous allons tranquillement regagner notre logis de Stenay et nous aimer tout à loisir sans que personne vienne nous importuner !