Pour seule réponse, Isabelle se jeta à son cou en riant.
— Comme vous avez raison ! Allons nous aimer, mon cœur !
Avant de quitter Château-Thierry, Gaspard écrivit à celui qui ne cessait de lui prouver son amitié une lettre de remerciement lui en promettant une plus longue une fois retournés « en la compagnie du bonhomme Chamilly ».
Le second séjour fut nettement plus court. Cette fois l’union des deux fugitifs ne présentait plus d’irrégularité. Le cardinal Mazarin et le nonce réussirent à faire entendre raison au maréchal de Châtillon qui se résigna enfin à ne pas donner suite à son procès. Cependant, têtu comme une bourrique, il y mit une condition que le jeune couple apprit de la princesse Charlotte quand il arriva enfin à l’hôtel de Condé :
— Il veut que votre mariage soit solennellement confirmé à Paris !
— Quoi ? Le grand déploiement de Château-Thierry ne lui suffit pas ? explosa Gaspard hors de lui. Que veut-il encore que nous fassions ? Que nous allions à Rome nous faire bénir par le pape ? Je suis un soldat, moi, et je voudrais bien rejoindre Monsieur le Duc !
— Ne vous tourmentez pas ! Cela ne va pas être long…
En effet, quelques jours plus tard, le 19 juin, ce mariage en trois actes était béni à Notre-Dame par l’archevêque de Paris, Mgr de Gondi, en présence de la Reine, du cardinal Mazarin, de la Cour et d’une partie du Parlement, mais en l’absence du maréchal de Châtillon et de Mme de Bouteville, avec laquelle cependant Isabelle était allée faire sa paix, ainsi d’ailleurs qu’avec sa sœur qui était sur le point de partir pour Valençay.
Lorsqu’ils sortirent de la cathédrale au son des cloches en se tenant par la main et en répondant de leur mieux aux acclamations, Isabelle dit à Gaspard sans le regarder :
— Sommes-nous vraiment assurés à présent d’être mariés pour de bon ?
— Il faut l’espérer, mon cœur, fit-il en riant et en posant un baiser rapide sur la main qu’il tenait. Puisque même Sa Sainteté le pape est d’accord, je pense qu’il faudrait alors monter jusqu’à Dieu pour trouver meilleure caution, mais cela exigerait de quitter la Terre que je trouve si belle depuis que vous êtes à moi !
— Nous voilà devenus héros de roman ! La vie ne va-t-elle pas nous sembler un brin monotone ?
— Monotone ? Je vais tenter de vous apporter la gloire conquise auprès de Monsieur le Duc cependant que vous brillerez à la Cour en attendant les heures sublimes que nous goûterons à mes retours… Et puis peut-être pourrions-nous songer à des enfants ?
« Des enfants ? », pensait Isabelle en remontant dans le carrosse qui allait les reconduire à l’hôtel de Condé d’où la Princesse l’emmènerait à Chantilly tandis que Gaspard partirait pour les armées. Elle n’y avait encore jamais pensé et, à la réflexion, n’était pas certaine d’en éprouver l’envie. Pour ce qu’elle avait pu constater des joies de la maternité, elles débouchaient peut-être sur un triomphe du mari, mais, pour la femme, cela voulait dire des mois de nausées et autres ennuis, tandis que sa taille – si fine et si souple ! – enflerait jusqu’à ce que le ventre ait atteint une laide circonférence dont, enfin, des heures de souffrance seraient nécessaires pour la délivrer ! C’était bien un homme pour évoquer cela !
Mme de Longueville n’avait pas assisté au mariage, elle non plus, n’ayant sans doute pas jugé utile de quitter le magnifique château de Coulommiers, où elle attirait une foule de monde, pour un événement qu’elle considérait légèrement ridicule.
Son absence enchanta Isabelle, peu désireuse de servir de cible aux quolibets souvent cruels de son ennemie. D’autre part, elle n’était pas mécontente de recevoir des échos de Coulommiers où jeune belle-mère et belle-fille s’entendaient comme chien et chat, au point que Longueville avait choisi de prendre la poudre d’escampette en direction de son gouvernement de Normandie, où, selon les courants d’air locaux, il se serait trouvé une consolatrice en la personne, déjà un peu sur l’âge mais fraîche comme une laitue, d’une accueillante et bonne fille immensément fière de surcroît d’avoir été distinguée par M. le duc, et aussi gourmande qu’il pouvait l’être. Il fallait bien cela à ce malheureux chassé de chez lui par deux mégères et, par-dessus le marché, plus ou moins abandonné par sa maîtresse en titre. Depuis l’arrestation du duc de Beaufort, Mme de Montbazon avait obtenu, Dieu sait comment – peut-être parce qu’elle était l’épouse du gouverneur de Paris –, la permission de lui rendre visite dans sa prison deux fois la semaine afin de lui porter les consolations d’une maîtresse aimante et, sur un autre plan, quelques apaisements aussi utiles pour la santé mentale que physique… Le peuple de Paris, ce successeur du chœur antique, chantait à ce propos :
Beaufort est dans le donjon
Du bois de Vincennes
Pour supporter sa prison
Avec moins de peine
Il aura sa Montbazon
Deux fois la semaine…
Lassée des criailleries, Mme de Longueville finit par rentrer à Paris. L’été y était pratiquement aussi chaud qu’à Coulommiers, mais son hôtel pourvu de jardins nettement plus silencieux. Tellement plus agréable aussi pour y recevoir François de La Rochefoucauld – prince de Marcillac –, qui lui vouait une ardente et sombre passion où elle finit par s’embraser elle-même…
En attendant que la fin de l’automne ramène les guerriers, vainqueurs – le duc d’Enghien ne cessant de récolter des lauriers de victoire ! –, Isabelle passa un délicieux été auprès de sa princesse. Sa sœur rentrée à Valençay et présentant un début de grossesse avait emmené leur mère, au soulagement inavoué – et peut-être inavouable – d’Isabelle, à qui Mme de Bouteville battait froid après la retentissante aventure qui avait nourri pendant des mois la chronique scandaleuse de la Cour et de la ville. Rien de tel auprès de Charlotte, qui, en matière de scandale, possédait une royale expérience et à qui la liait désormais cette véritable tendresse que la Princesse ne trouvait plus auprès de ses enfants, sauf peut-être du petit Conti, alors âgé de quatorze ans et qui, visiblement, adorait sa mère mais ne rêvait que de rejoindre son aîné dans ses champs de lauriers.
« Vous êtes ma seconde fille ! », disait-elle parfois tandis qu’au bras l’une de l’autre elles se promenaient dans le parc et au bord des étangs où traînaient toujours quelques poètes, les portes du beau domaine restant largement ouvertes à tous ceux et toutes celles qui hantaient, en hiver, l’hôtel de Condé et celui de Rambouillet. Et le temps coulait léger et insouciant…
A la surprise d’Isabelle, elle n’éprouvait aucune inquiétude sur le sort de son époux que, cependant, elle aimait… ou croyait aimer. En revanche elle se tourmenta quand un courrier apprit aux dames de Chantilly que Louis d’Enghien avait subi une rechute du mal dont il avait si péniblement souffert au lendemain de son mariage. Et s’interrogea sur cette anomalie.
A force de réfléchir, elle finit par toucher du doigt l’explication. Gaspard était beau, charmant et surtout il était un merveilleux amant. Elle avait connu, dans leur petite chambre de Stenay, des heures divines, pleines de gaieté en outre, Gaspard étant toujours un joyeux compagnon. Mais, à mesure que le temps s’écoulait, elle s’étonnait qu’il ne lui manquât pas davantage. Elle se surprit même, une nuit, à rêver justement d’une nuit à Stenay, sauf que le visage penché sur elle n’était pas celui de son époux mais un autre, âpre et tourmenté, celui d’Enghien, et elle en éprouva un bonheur infini.