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— Qu’est-ce là ? s’enquit l’enfant-roi. M. de Bouteville, voyez-vous quelque chose ?

— Rien pour l’instant, Votre Majesté, mais ce que nous entendons ne saurait tromper : le peuple, au lieu de s’être dispersé après le passage du Roi, se rameute au contraire. Je dirais dans la Cité !

— Que Votre Majesté ne se tourmente pas ! conseilla la voix nasillarde de Mazarin qui entrait à cet instant. Votre auguste mère et moi nous attendions à un peu de bruit. Le Roi sait combien sa capitale est prompte à s’émouvoir…

— Mon fils, plaida Anne d’Autriche sur un ton enjoué, vous êtes trop jeune pour vous soucier de ces détails…

— Détails ? Mon peuple qui s’assemble ? Je voudrais tout de même savoir !

— Bien ! Après la cérémonie consacrant une si fulgurante victoire, la Reine a donné l’ordre que l’on arrête plusieurs membres de ce maudit Parlement qui ne cesse d’agiter le peuple contre l’autorité royale. Le vieux Broussel, que ces gens considèrent comme un saint, en est le meneur. C’est lui et son collègue Blancmesnil que l’on vient d’appréhender dans la Cité où il habite, et cela n’aurait pas dû provoquer tant de bruit, mais, depuis que le duc de Beaufort s’est évadé à la dernière Pentecôte, les Parisiens qui voient en lui leur héros sont devenus nerveux…

— Mon fils, coupa la Reine visiblement mécontente, M. le Cardinal est bien bon de vous faire toutes ces explications alors qu’il se donne tant de mal à vous bien servir…

— Voilà M. le coadjuteur de Gondi qui nous arrive en voiture ! cria François toujours à sa fenêtre. Le maréchal de La Meilleraye l’escorte… Mais on dirait qu’il a été molesté…

— Nous allons le recevoir, rassura Mazarin. Pendant ce temps, il faudrait que M. le duc de Châtillon et ce jeune homme qui voit si clair quittent le palais plus discrètement que prévu et rejoignent au plus vite M. le prince de Condé qui doit être averti de tout ce tapage…

— Je pars sur-le-champ, répondit Gaspard. Puis-je auparavant demander que Mme la princesse douairière de Condé et mon épouse soient raccompagnées à l’hôtel de Condé d’où elles pourront, j’espère, regagner Chantilly sans difficulté ?

— C’est trop naturel ! Après les avoir tant acclamées, ce peuple impossible ne devrait pas y voir d’inconvénients…

Isabelle n’écoutait plus, surtout occupée à s’empêcher de rire devant la grimace que sa princesse ne pouvait retenir chaque fois qu’elle entendait ce qualificatif de douairière qu’elle jugeait offensant. Elle n’aimait déjà pas beaucoup l’épouse de son fils, mais à présent elle la détestait franchement.

En effet, à peine son irascible mari devenu Prince de Condé, Claire-Clémence s’était hâtée de lui faire observer que « Madame la Princesse », c’était elle à présent et, comme Charlotte lui répondait qu’il serait plus séant qu’elle se fasse appeler princesse de Condé-fille, la nièce de Richelieu s’était révoltée, arguant qu’elle n’avait aucune raison de s’affubler de ce titre ridicule et de consentir des cadeaux à une belle-mère qui l’avait toujours dédaignée. Enfin que, la tradition lui attribuant l’appellation « douairière », il faudrait bien qu’elle s’en accommodât !

Comme, heureusement, on ne les voyait pas souvent ensemble et que Claire-Clémence vivait plutôt retirée, il était rare qu’on l’employât en s’adressant à Charlotte, encore si belle et ne portant pas son âge ! Et voilà qu’aujourd’hui, jour de triomphe de la famille, l’étiquette déplaisante lui était appliquée par Gaspard qu’elle avait autant dire adopté dans son cœur puisqu’il était l’époux d’Isabelle. Mais comme on était à la Cour, elle remit à plus tard de lui en faire la remarque. Elle se contenta de l’embrasser en le chargeant de mille tendresses pour son fils et le regarda sortir suivi de François, visiblement déçu de partir à un moment aussi intéressant. Ils venaient juste de disparaître, conduits par M. de Guitaut, quand le coadjuteur effectua son entrée, en rochet et camail – il n’avait pas eu le temps d’ôter ses vêtements sacerdotaux avant de quitter Notre-Dame – et tout ébouriffé, ce qui ne le changeait pas beaucoup. C’était un petit homme laid, noir, mal fait, myope et maladroit en toutes choses, sauf pour ce qui était l’esprit qui, chez lui, était habité par le génie de l’intrigue et de la conspiration. Il devait dire un jour : « Je sais bien que je ne suis qu’un coquin ! »

Mais un coquin doué d’un grand courage, d’une ambition et d’une volonté forcenées jointes à une façon très personnelle de pratiquer ensemble la dévotion et la débauche, car il adorait les femmes, et le plus étonnant était qu’il comptait quelques conquêtes flatteuses. Par exemple l’épouse du maréchal de La Meilleraye qui l’accompagnait au Palais-Royal était sa maîtresse, mais il est évident que le digne homme n’en avait pas la moindre idée ! Enfin, pour ce qui est de l’ambition, c’était fort simple : hormis le trône de France, il voulait tout ! Le chapeau de cardinal, le pouvoir, le gouvernement de Paris pour commencer et la place de Mazarin pour finir. On pourrait même dire toutes les places ! L’idée de devenir l’amant de la Reine lui souriant assez.

Il la salua d’ailleurs avec un respect qui frisait la vénération et lui demanda humblement pourquoi elle avait jugé bon d’arrêter le « bonhomme Broussel » alors que le peuple fêtait la splendide victoire qui allait permettre à la France de parler en maîtresse aux préliminaires du traité de Westphalie, lequel devait mettre un terme à la guerre de Trente Ans.

— Il faut, commença-t-il, que Votre Majesté ait était mal conseillée ! Broussel est un vieil homme en qui le Parlement voit une sorte de symbole. En outre il habite à deux pas de Notre-Dame. Enfin, on ne peut pas dire que le jeune Comminges ait fait preuve de doigté. Le bonhomme sortait de table en pantoufles. La famille, tout de suite éplorée, a supplié M. de Comminges de laisser un peu de temps à Broussel qui venait de se purger afin qu’il pût se retirer quelques instants avant de se rendre où le Roi l’envoyait… Ce qui fut accordé. Pendant ce temps, la servante s’est mise à hurler par une fenêtre ameutant le quartier ! Et Paris est en train de s’y joindre !

— Allons donc ! fit Anne d’Autriche en haussant les épaules. Que voilà de l’émotion pour l’agitation d’une ou deux rues ! L’autorité du Roi y mettra ordre !

Aussitôt applaudie par ceux qui l’entouraient. Seul Mazarin ne se joignit pas à eux.

— Plût à Dieu, Madame, que tout le monde parlât avec la même sincérité que M. le coadjuteur. Il craint pour son troupeau, pour la ville et la prédominance de Votre Majesté. Je suis persuadé que le péril n’est pas si grand qu’il l’imagine, mais le scrupule dont il témoigne est fort louable…

— Vraiment ? Et que conseille M. le coadjuteur ?

— De rendre Broussel, Madame ! Tout rentrera dans l’ordre et nous pourrons continuer à fêter la victoire !

— Jamais ! s’écria Anne d’Autriche, pourpre de colère. Vous voulez que je rende la liberté à Broussel ? Je préférerais l’étrangler de mes propres mains ! ajouta-t-elle en crispant ses beaux doigts blancs sous le nez de Gondi.

Le Cardinal s’approcha d’elle, lui parla à l’oreille, et on put la voir s’apaiser peu à peu. Mazarin promit aussitôt que Broussel serait libéré dès que le peuple serait dispersé et il fallut bien que Gondi se satisfît de cette promesse, que l’on accepta même de mettre par écrit.

— La parole de la Reine vaut mieux que tous les écrits ! énonça doctement Mazarin tandis qu’Anne d’Autriche se retirait. Allez rendre le repos à l’Etat ! Nous vous faisons entière confiance  ! Et saurons vous remercier ! Que l’on raccompagne M. le coadjuteur avec tous les égards qui sont dus à un ministre plénipotentiaire.