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Comprenant qu’il était battu, Gondi se résignait à quitter la place quand son regard accrocha Isabelle et Mme de Condé. Il s’immobilisa :

— L’hôtel de Condé est loin, dit-il, et les rues seront de moins en moins sûres ! Peut-être serait-il préférable de me confier Madame la Princesse et Mme la duchesse de Châtillon qui, avec son vaillant époux, a été acclamée ce tantôt ? Or l’atmosphère a changé, mais, sur mon honneur, je jure de les ramener chez elles en parfaite sécurité !

Monsieur, duc d’Orléans que l’on n’avait guère entendu jusque-là bien qu’il fût lieutenant général du royaume, se manifesta en haussant les épaules :

— Quelle sottise ! Chacun sait que l’hôtel de Condé est voisin de mon Luxembourg et je les ramènerai moi-même ! Que M. le coadjuteur le veuille ou non, elles pourraient devenir des otages ! Pensez ! La mère de Monsieur le Prince et l’épouse de son bras droit ! Quelle aubaine !

— Oh, mais quelle horreur ! protesta la « douairière ».

Comme elle ne trouvait rien d’autre à avancer, ce fut Isabelle qui la relaya :

— Monseigneur oublie que M. le coadjuteur est au service de Dieu avant d’être à celui du Roi ! Madame la Princesse et moi sommes persuadées qu’aucun mal ne peut advenir sous sa protection !

Cela dit, elle sourit à Gondi, offrit le bras à Charlotte et toutes deux, après avoir salué la compagnie, quittèrent le cabinet royal au milieu d’un silence pesant, et ce fut toujours en silence que l’on traversa le palais accompagnées par les gardes du corps. Dans la cour, on trouva la voiture qui avait amené Gondi et dans laquelle il les fit monter, en profitant pour baiser la main d’Isabelle au passage :

— Quelle joie vous me donnez, madame la duchesse ! Mais ce petit voyage vous montrera que vous avez eu raison de me faire confiance  !

Et il grimpa à côté du cocher, mais resta debout.

La place du Palais-Royal était plus qu’à demi pleine d’une foule hétéroclite qui grossissait d’instant en instant, mais, juché sur la voiture, le coadjuteur lui délivrait d’une voix de bronze – c’était l’un de ses rares charmes ! – une courte harangue expliquant qu’il reconduisait chez elles la mère du vainqueur de Lens, de Rocroi et de tant d’autres batailles, et l’épouse de son plus vaillant capitaine qui lui faisaient l’honneur de se fier à lui, leur ami… En rappelant qu’il était d’Eglise, son accoutrement, bien qu’il eût déjà subi des dommages, acheva de convaincre et on l’acclama en lui laissant le passage. Ce fut presque du délire quand il eut transmis la promesse de libérer Broussel devenu en quelques heures le père du peuple…

Le parcours, effectué si joyeusement le matin, prouva aux deux femmes à quelle vitesse les Parisiens pouvaient se retourner complètement contre leur gouvernement. Partout les boutiques s’étaient fermées. Le sympathique brouhaha du Pont-Neuf, qu’il fallait bien traverser, s’était mué en un silence hostile et l’on avait commencé à tendre les chaînes qu’en période d’agitation on tirait pour fermer les rues. Toujours debout, le coadjuteur bénissait à tour de bras en alternance avec les beaux morceaux d’éloquence que la lenteur du trajet lui laissait largement le temps de distribuer.

Enfin on fut à destination, mais comme leur voiture était suivie par une foule compacte, Charlotte et Isabelle descendirent devant le portail que l’on referma aussitôt sur elles tandis que, après les avoir saluées, Gondi, assis sur le marchepied, entreprenait de confesser deux ou trois agités qui l’en priaient instamment. Avant de les quitter, il leur avait conseillé de partir pour Chantilly dès l’aurore. Le chemin serait beaucoup plus long car il leur faudrait contourner Paris et passer la Seine à Charenton afin de rejoindre la route du nord. Mais que ne ferait-on pas pour échapper à une ville prise de folie ?

Si elles espéraient trouver le calme en rentrant au logis, elles se trompaient lourdement. La majeure partie des serviteurs menait grand tapage dans le vestibule autour de Guérin, le majordome, parlant tous à la fois, ce qui n’ajoutait rien à la compréhension. Monté sur un tabouret, celui-ci ne parvenait pas à se faire entendre…

— Oh non ! gémit la Princesse. Moi qui, au sortir de ce vacarme, ne souhaitais rien d’autre que goûter un peu de tranquillité dans cette maison ! Et regardez ce qui s’y passe ! On se croirait dans la rue !

— Remontez chez vous où je viendrai vous retrouver et laissez-moi m’en occuper ! conseilla Isabelle.

Perçant résolument la petite foule, elle rejoignit le candidat orateur, le fit descendre, grimpa à sa place, puis, profitant de la surprise créée par son apparition, alluma son plus beau sourire et demanda :

— Peut-on savoir ce qui ce passe ici ? Lorsque nous sommes partis tout à l’heure, Madame la Princesse, mon époux et moi, nous allions au Palais-Royal prendre notre belle place dans le cortège du Roi et de la Reine mère qui allaient à Notre-Dame rendre grâce à Dieu pour la formidable victoire remportée à Lens par votre glorieux maître, et tout le monde était content. Alors que vous arrive-t-il ?

— A nous, rien ! répliqua Marcelline, une forte commère qui veillait à la lingerie. Mais il paraît que, pendant la cérémonie, le Mazarin a fait jeter en prison tous ces messieurs du Parlement en grand péril d’être pendus et que…

— En admettant que ce soit vrai, cela vous regarde en quoi, Marcelline ?

— On est du peuple et ils sont les défenseurs du peuple ! On doit les aider !

— Vraiment ? Que sont-ils donc pour vous ?

— Ben, j’ l’ai dit : nos défenseurs !

— Contre qui ? Vous maltraiterait-on ici ?

— Oh non… On serait même plutôt bien si on compare à d’autres maisons !

— Eh bien, tâchez d’y rester ! Jouer les émeutiers n’a jamais nourri personne ! Quant à ce qui s’est passé, voici la vérité : après le Te Deum, sur le chemin duquel le jeune Roi et madame sa mère ont été acclamés, Sa Majesté s’est en effet assurée des personnes de deux parlementaires qui l’ont offensée, mais il n’a jamais été question de les envoyer au gibet ! Il s’agit seulement de leur demander quelques explications et il y a de fortes chances qu’ils soient remis en liberté sous peu, la Reine exerçant ainsi son droit absolu envers quiconque l’offense. M. le coadjuteur de Gondi, qui nous a raccompagnées Madame la Princesse et moi-même, se charge de leur défense. Maintenant vous êtes au courant ! Je pense que chacun et chacune peut retourner à sa tâche… et je vous signale que Madame la Princesse, tourmentée par cette agitation alors qu’il fait si chaud, a un urgent besoin de vos soins ! Je vous rends votre perchoir, Guérin ! ajouta-t-elle en sautant à bas de son tabouret.

— Merci, madame la duchesse ! Chacun va reprendre son ouvrage… Puis-je me permettre de donner un conseil  ? fit-il en baissant la voix tandis que les domestiques se dispersaient.

— Dites ! Vous m’avez toujours paru être un homme sage !

— Si Madame la Princesse se sent éprouvée, ne serait-il pas préférable qu’elle se rende à Chantilly ?

— Vous pourriez avoir raison, réfléchit Isabelle, hypocrite à souhait. Elle devrait y être, d’ailleurs, si n’avait été ce Te Deum… Il y fera sans doute plus frais qu’ici et je vais de ce pas lui en parler.

— Si je peux me permettre, c’est une vraie chance pour Madame la Princesse que madame la duchesse soit restée à ses côtés après son mariage alors que, pendant une année entière, Mme la duchesse de Longueville faisait ce long voyage.