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Partout on réclamait le renvoi de Mazarin en allant jusqu’à vilipender Anne d’Autriche. Au point que ni l’un ni l’autre n’osait sortir. Le peuple avait trop goûté aux joies de l’émeute pour y renoncer si facilement. En outre, l’hiver était là avec son cortège de misère et de souffrances.

Condé comprit que discuter ne servirait plus à rien. Une seule solution – affreuse ! – restait : réduire Paris par la force en l’assiégeant et en lui coupant les vivres. Mais, avant, en extraire le Roi, la Reine, Mazarin inévitablement ainsi que ceux de leur entourage. Et cette fois dans le plus grand secret. Pendant ce temps, l’armée prendrait position autour de la capitale.

Pour le départ clandestin, on choisit la nuit des Rois, celle du 5 au 6 janvier, et le secret en fut bien gardé. La soirée se passa selon la tradition : galettes, fèves et bonne humeur, après quoi, au Palais-Royal, on se coucha comme d’habitude. Pourtant, à trois heures du matin, carrosses et cavaliers se groupaient au Cours-la-Reine. Anne d’Autriche, ses deux fils et Mazarin venaient de franchir la porte de la Conférence. Derrière eux on vit arriver la princesse Charlotte, sa belle-fille, le petit duc d’Enghien porté par sa nourrice et Mme de Châtillon. La Reine accueillit son amie avec joie et la fit asseoir auprès d’elle.

— Mme de Longueville ne vous accompagne pas ?

— Elle a préféré rester. Sa grossesse l’incommode et il ne faut surtout pas qu’elle prenne froid. Mais mon gendre et mon fils Conti sont présents. Ainsi que Mme de Châtillon.

— Je l’en remercie. Bienvenue, duchesse ! ajouta-t-elle en tendant à Isabelle une main que celle-ci baisa avant de reprendre place auprès de Claire-Clémence. Ce qui n’enchantait ni l’une ni l’autre, mais à la guerre comme à la guerre, et son instinct lui soufflait que cette espèce de folie dont était saisi Paris pourrait en débuter une…

Le chancelier et les secrétaires d’Etat venaient se joindre à eux et l’on allait se mettre en marche quand Gaston d’Orléans (Monsieur) apparut en compagnie de sa fille visiblement fort mécontente et qui, invitée à monter dans le carrosse de la Reine, revendiqua la place du fond occupée par Mme de Condé. Agacée, Sa Majesté la rembarra. Obligée de s’incliner, Mademoiselle répliqua :

— Il est vrai que les jeunes gens doivent les bonnes places aux vieux…

Enfin on partit pour le château de Saint-Germain, la plus proche des résidences royales hors les murs. Quand on y parvint plus de deux heures après, ce fut pour constater que rien n’y était préparé pour recevoir les réfugiés… à l’exception de quatre lits de camp envoyés discrètement par Mazarin : un pour le Roi, un pour la Reine, un pour Monsieur et le dernier… pour lui ! En dehors de cela, le château était à peu près vide, l’habitude étant alors de le remeubler quand la Cour était annoncée. On se hâta donc de faire allumer les feux dans les cheminées et de se procurer à prix d’or des bottes de paille dans lesquelles les fuyards purent prendre quelque repos. Seuls les Condés s’en tirèrent facilement : la famille possédait en effet un hôtel proche du château et il leur fut possible de s’y installer une fois le jour revenu. Condé, lui, s’était déjà mis à l’ouvrage selon un plan préparé à l’avance : établir un réseau de postes fixes et de colonnes mobiles soutenus par sa cavalerie que commandait Gaspard de Châtillon, afin de fermer l’une après l’autre autour de Paris les routes par lesquelles on acheminait les vivres. Il se lança même dans cette tâche avec fureur quand, deux jours après l’arrivée à Saint-Germain, sa mère, éplorée, vint aux genoux de la Reine demandant à être envoyée en prison sur l’heure.

— Pourquoi, mon Dieu ?

— Pour avoir mis au monde des enfants misérables, et avoir pris un gendre qui ne vaut guère mieux. Cette nuit, mon fils Conti et le duc de Longueville se sont enfuis pour rentrer à Paris et se ranger aux côtés de leur sœur et épouse qui non seulement n’est pas souffrante, mais s’est déclarée pour les rebelles dont elle se veut l’égérie ! Je suis… déshonorée !

— Ce n’est pas votre faute et vous ne devez pas vous accuser. Ne nous avez-vous pas donné le héros de Rocroi et de tant d’autres batailles ? Cette poignée d’insurgés ne tiendra pas longtemps contre lui !

En apprenant la nouvelle, Condé entra dans une fureur telle que personne n’osait l’approcher. Après avoir brisé tout ce qui se trouvait à portée de sa main, il se précipita chez le Roi où il trouva Mazarin. Mais, quand il l’eut salué, il avisa un petit singe qui se tenait sur le dossier d’un fauteuil et, s’inclinant bien bas, il ricana :

— Salut au généralissime des Parisiens ! cracha-t-il, raillant la difformité de son frère.

Et retourna à son ouvrage…

Fin janvier, le blocus de Paris était quasi complet. Ne restait plus que Charenton, dont le pont était d’une extrême importance, la seule position extérieure encore aux mains des assiégés. Condé décida l’attaque.

Conscients du danger, les Parisiens réunirent vingt mille hommes place Royale, mais ils n’étaient plus que douze mille quand ils atteignirent le village de Picpus. Encore les braves qui arrivèrent jusque-là prirent-ils la fuite en apercevant l’armée royale. Pendant ce temps, M. de Clanleu, gouverneur de Charenton, s’efforçait, épaulé par une troupe de déserteurs, de contenir l’attaque furieuse menée par Gaspard de Châtillon. Sans grand espoir : Clanleu était un ancien soldat de Condé et il savait à qui il avait affaire. Il succomba et le dernier cordon ombilical de Paris fut emporté…

Condé accourait de Vincennes pour gérer la victoire quand il vit venir quelques hommes portant un brancard sur lequel gisait Châtillon, la vessie perforée et la colonne vertébrale brisée, mais toujours vivant. Bouleversé, les larmes aux yeux, il ordonna qu’on le ramène aussi doucement que possible à Vincennes, et pour s’en assurer tint à remplacer l’un de ceux qui portaient la civière. En même temps, il envoyait un messager prévenir sa femme à Saint-Germain.

Quand Isabelle arriva, à cheval – elle avait refusé un carrosse trop lent –, elle trouva son mari couché dans un lit dans l’une des chambres basses du château et, secouée de sanglots, s’agenouilla près de lui.

— Mon cœur ! murmura-t-elle en s’emparant d’une de ses mains… celle dont le bras portait toujours la jarretière bleue.

A cet instant, le mourant ouvrit les yeux, la reconnut et une larme roula sur son visage que la douleur crispait.

— Que vous êtes belle, ma mie ! Comment ai-je pu… même un instant… préférer d’autres liens… aux vôtres ? Je vous en demande… bien pardon !

Il fit alors un effort terrible pour tenter d’ôter les malencontreux rubans quand une main armée d’un couteau s’interposa, les trancha et les jeta à terre. Isabelle vit que son frère était près d’elle.

Comme Gaspard fermait les yeux, François la releva doucement, la prit dans ses bras et la berça, attendant que ses sanglots s’apaisent.

— Je suis là, Isabelle, et serai à vos côtés chaque fois que vous en aurez besoin. Venez vous reposer un peu ! Vous tremblez !