Выбрать главу

Pourtant les événements se succédaient. Un mois après la naissance de Louis-Gaspard, Condé ramenait enfin le Roi dans sa capitale. Le 18 août, il était dans le carrosse royal, au côté de celui-ci, de la Régente et du cardinal Mazarin, mais, à l’exception du jeune Louis XIV, c’était à lui que s’adressaient les acclamations. C’était lui le héros du jour, la Reine et son ministre jouant un peu les comparses. Durant tout le parcours jusqu’au Palais-Royal, il fut porté par un véritable délire qui, comparé aux rares ovations qu’obtenait la Reine – même Mazarin eut droit à quelques vivats ! –, donnait la juste mesure d’un pouvoir qu’il savourait sans pudeur… et sans remarquer l’attitude figée et hautaine de l’adolescent de treize ans qui, deux ans plus tard, atteindrait sa majorité et dont le regard froid enregistrait tout cela et ne l’oublierait plus !

La concorde entre les passagers du carrosse ne dura pas longtemps. Monsieur le Prince, porté aux nues dans toute la France comme le sauveur de la royauté, vainqueur des ennemis du dedans comme du dehors, voulut agir en maître, disposer à son gré des honneurs et des places. Mazarin, soutenu par la Reine, s’opposa à lui et il en fut exaspéré. De là une haine implacable entre les deux hommes et une guerre sourde qui se traduisit, dès le retour, par divers incidents…

Ce fut d’abord l’affaire du marquis de Jarsay, un fat qui s’était mis en tête de devenir l’amant de la Reine et, ayant été traité par elle selon son mérite, l’insulta et fut ouvertement protégé contre la colère légitime de Sa Majesté par Condé, qui osa traiter cette atteinte à la majesté royale en plaisanterie et obtint – pour ne pas dire exigea ! – le pardon de l’insolent et son retour à la Cour… Puis il y eut celle des tabourets suscitée par Mme de Longueville, réconciliée avec son frère bien-aimé et qui voulait obtenir le tabouret de duchesse pour la femme de son amant Marcillac et pour Mme de Pons2 . La Reine et le cardinal durent accepter, mais il s’éleva parmi la noblesse un tel tollé que l’on révoqua les nominations. Mme de Longueville alla bouder à Chantilly. Condé s’en mêla et la Reine dut la rappeler…

D’autres exemples, il y en eut beaucoup. Condé prétendait gouverner, ses amis menaient grand tapage, marchaient sur les pieds de tout le monde, les injures contre Mazarin pleuvaient et même les pires insultes contre la Régente que les pamphlétaires ne cessaient d’attaquer dans sa vie privée, intime, en des termes à faire rougir une compagnie de mousquetaires et qui inondaient Paris de leurs libelles infâmes. A la fin la coupe déborda : le 18 janvier 1650, M. de Comminges, lieutenant aux gardes en place de M. de Guitaut, malade, arrêtait le prince de Condé, son jeune frère le prince de Conti et son beau-frère le duc de Longueville et les escortait jusqu’au donjon de Vincennes où ils furent incarcérés sans avoir compris ce leur arrivait.

Un autre ordre visait la duchesse de Longueville, mais, prévenue à temps par son amie Anne de Gonzague, qui la cacha dans la nuit dans une petite maison du faubourg Saint-Germain, elle réussit, déguisée, à s’enfuir en Normandie, le gouvernement de son époux, en compagnie de son amant Marcillac devenu La Rochefoucauld par la mort de son père. Leur intention était de soulever la province. Ce à quoi ils ne purent réussir… La duchesse dut partir se réfugier en Angleterre après une odyssée frisant le ridicule.

Le 21 janvier, la neige fit son apparition vers la fin de la matinée pour la plus grande joie des gamins de Châtillon, mais le cavalier couvert de mouchetures blanches qui arriva au château à la nuit close semblait à moitié gelé et commença par éternuer à plusieurs reprises, ce qui apporta une modification sensible à son élocution. Bertin, qui le reçut, finit par comprendre qu’il s’agissait du duc de Nemours, le salua bien bas et, le laissant devant le feu crépitant qui réchauffait la salle principale, courut prévenir sa maîtresse qui descendit aussitôt.

— Vous, mon ami ? s’exclama-t-elle avec un sourire radieux en lui tendant les deux mains. Mais quelle charmante surprise !

— Vous la devez tout entière à une catastrophe… dont je ne serai jamais assez reconnaissant à Mazarin. Dieu que vous êtes belle ! Plus belle encore que la dernière fois…

— La dernière fois remontant à près d’un an, cela prouve seulement que vous m’aviez un peu oubliée ! fit-elle en riant tandis qu’il couvrait ses mains de baisers légèrement mouillés. On va vous préparer une chambre et puis, en soupant, vous me raconterez cette catastrophe qui semble vous faire tellement plaisir !

Une demi-heure plus tard, en lui offrant son bras pour passer à table, débarrassé de son aspect de barbet trempé, le jeune duc était redevenu le fringant Nemours que tant de femmes rêvaient de s’attacher, et Isabelle se demandait s’il ne serait pas temps pour elle de récompenser une aussi longue patience. Il lui paraissait d’autant plus séduisant qu’il apportait avec lui l’atmosphère de la Cour et de la vie brillante et mouvementée de la capitale…

Pourtant son sourire s’effaça quand elle prit connaissance de la catastrophe en question : les princes emprisonnés peut-être pour longtemps, voire menacés de mort par la vindicte d’un ministre sans doute trop maltraité mais qui ne pouvait pas supporter les insultes à une Reine dont on clamait qu’il était l’amant et peut-être même l’époux !

— Madame la Princesse vous appelle à son secours, duchesse, ajouta Nemours en lui offrant un billet cacheté dont elle prit connaissance rapidement. Elle n’a auprès d’elle, continua-t-il, que sa belle-fille, qui lui porte sur les nerfs, et son petit-fils que Mme de Bouteville votre mère lui a ramené après l’avoir enlevé et gardé par-devers elle à Précy quand Paris est devenu dangereux. Et vous savez quelle attention elle vous porte. Je crois qu’elle n’a confiance qu’en vous….

— Et mon frère, où se trouve-t-il ?

— A Chantilly justement où il s’efforce de mettre de l’ordre dans tous ces gens qui s’y sont précipités sans trop savoir pourquoi. C’est lui qui m’a convoqué pour m’envoyer vous voir ! Et j’allais oublier que lui aussi m’a remis un message pour vous ! Le voici !

Ledit message était court et si bien dans la manière de François qu’il ramena le sourire sur les lèvres d’Isabelle.

« J’ai choisi Nemours pour vous porter ces quelques mots, ma sœur ! Il m’est apparu en effet que dix mois de solitude sous les crêpes du deuil étaient plus que suffisants ! Et cet homme-là est tout à vous… François. »

Un peu rougissante mais ravie au fond d’elle-même, Isabelle glissa l’aimable bénédiction fraternelle dans son corsage et, au cœur de la nuit, laissa son visiteur la rejoindre dans son lit et lui prouver, avec une ardeur passionnée, qu’il avait l’art de faire l’amour aussi expertement que son défunt époux et qu’être adorée comme une déesse avant de se soumettre comme n’importe quelle femme était fort agréable…

Le lendemain matin, à l’aube, Isabelle quittait Châtillon où elle laissait son fils de quelques mois solidement entouré, n’emmenant qu’Agathe de Ricous et Bastille qui menait en longe le cheval du duc de Nemours, invité à partager son carrosse pour une raison tout à fait terre à terre : il tombait de sommeil ! Même pour un homme jeune, une nuit de folie suivant une longue et fatigante chevauchée pouvait être éprouvante, et le bel Amédée, une fois dans le carrosse, s’y installa avec une évidente satisfaction, se roula en boule dans son coin et se rendormit aussitôt sous l’œil amusé des deux femmes. Isabelle se sentait, certes, un peu lasse, mais l’excitation de l’aventure qui allait venir lui donnait toute son énergie et tous les courages.

Elle comprit qu’elle en aurait besoin quand, arrivée à Chantilly, elle s’aperçut que le côté paradisiaque du sublime domaine s’était changé en une incroyable pagaille composée principalement de femmes plus ou moins affolées, parmi lesquelles son frère François, devenu cependant un véritable meneur d’hommes, se déclarait incapable de ramener le calme, lui-même ne songeant qu’à diriger un coup de force contre Paris afin d’en extraire l’infâme Mazarin qu’il voulait pendre en place de Grève à la même potence que le coadjuteur avant d’aller chercher son chef vénéré au donjon de Vincennes.