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Après l’agréable étape à Nemours où Amédée tint à servir lui-même la Princesse comme il l’eût fait pour la Reine, la fin du voyage s’acheva dans une sorte d’apothéose. Quand les remparts de Châtillon apparurent au bout de la route, un guetteur perché sur une tour emboucha une trompe et la citadelle s’anima. Tandis que les cloches se mettaient à sonner, les portes s’ouvrirent devant une délégation de notables venus au-devant de leur duchesse sans doute, mais surtout souhaiter la bienvenue à Son Altesse Madame la Princesse de Condé.

Des jeunes filles lui offrirent des fleurs, et ce fut au milieu des acclamations et des souhaits que Charlotte, un sourire tremblant aux lèvres, traversa la ville et monta au château où Isabelle, prestement descendue de voiture, la remercia de l’honneur fait à sa maison en lui offrant sa plus belle révérence avant de lui présenter son fils qu’elle prit des mains de sa nourrice. Non sans fierté, car le petit Louis-Gaspard était magnifique.

— Encore un qui ne connaîtra jamais son père ! soupira la Princesse en caressant d’un doigt la joue soyeuse du bébé. Les hommes sont effrayants : quand ils ne sont pas en guerre, ils s’entretuent dans leurs duels stupides ! Vous en savez quelque chose, ma petite ! ajouta-t-elle pour Isabelle.

— Oui, pourtant, sans l’avoir connu, j’adore mon père… Mais rentrons ! Nous avons toutes besoin d’être réconfortées…

C’est ainsi que Charlotte entra chez Isabelle, qu’elle considérait comme sa propre fille – et même plus tendrement depuis que Mme de Longueville jouait les héroïnes de roman –, et s’y trouva bien ! Par le truchement de Nemours, Isabelle avait ordonné qu’on lui prépare sa propre chambre, parce que c’était de toutes la plus jolie et la plus confortable, elle-même s’installant dans la chambre voisine tandis que celle de l’autre côté allait à Mme de Brienne, sa dame d’honneur, afin que l’exilée se trouve environnée d’affection, ce dont la malheureuse avait le plus besoin…

Cette nuit-là, Nemours reçut une récompense qu’il n’aurait pas osé réclamer étant donné la promiscuité, mais Isabelle lui avait conseillé, au moyen d’un billet glissé discrètement, de ne pas fermer sa porte à clé…

— Qu’allez-vous faire à présent ? demanda-t-il alors qu’après l’amour ils reposaient tous deux sur les draps où s’attardait le parfum d’Isabelle. Eponger indéfiniment les larmes de cette pauvre femme ?

— Je ne supporte pas qu’on l’appelle ainsi, elle qui – il n’y a pas si longtemps ! – n’était qu’éclat et joie de vivre. Aussi vais-je faire en sorte, avec l’aide de Mme de Brienne qui est loin d’être sotte, qu’elle puisse se croire ici la source de toutes les décisions, comme je l’ai fait à Chantilly. Et vous allez m’aider.

Soudain redressé, il se pencha sur elle pour un long baiser. Auquel elle mit fin en le repoussant.

— Voulez-vous être un peu sérieux ?

— Rien n’est plus sérieux… ni plus tendre que mon amour pour vous… Mais rien n’est plus ardent que mon désir…

En dépit d’une défense vite amollie, il la soumit de nouveau. Et quand il se laissa retomber à côté d’elle en gardant un bras sous son cou, prêt à se laisser aller à la somnolence, il l’entendit rire.

— Nous n’en sortirons jamais !

— Comment l’entendez-vous ?

Avant de lui répondre, elle enfila sa robe de chambre, ses pantoufles, et se planta debout, une main accrochée à une colonne du lit dans lequel Nemours s’assit, l’air si mécontentent qu’elle rit de nouveau.

— Je ne vois pas ce que j’ai de si drôle ? marmotta-t-il.

— Vous avez surtout besoin de dormir ! Alors, en deux mots, voici ce que nous allons faire demain… ou plutôt tout à l’heure avant votre départ…

— Déjà ? protesta-t-il. Mais je n’ai aucune envie de partir si tôt ! Vous admettrez vous-même que j’ai fait du bel ouvrage, et vous ne m’accordez même pas quarante-huit heures de bonheur en récompense ?

— Quand je dis que nous n’en sortirons pas, je crains fort d’avoir raison, soupira-t-elle. Soit ! Je reprends : demain, après cette bonne nuit de repos, je vais tenir conseil sous la présidence de notre princesse. C’est elle qui prendra les décisions… que je lui soufflerai ! C’est important ! Et, à présent, monsieur le duc, dormez bien puisque vous en avez si grand besoin ! ironisa-t-elle.

Il lui rendit sourire pour sourire en s’étirant dans le lit.

— Merci, ma chère ! Ne faut-il pas, en effet, que je reprenne des forces… pour la nuit prochaine ?

— Que voulez-vous dire ? fit-elle, l’œil soudain orageux.

— C’est clair pourtant ! Cette porte restera ouverte…

— Inutile ! Je ne la franchirai pas.

— Non ? En ce cas, j’irai frapper à la vôtre !

— Vous ne ferez pas cela !

— Non ? Vous voulez parier ?

— Cela causerait un affreux scandale !

— Tant pis !

Pour un homme fatigué, il devait avoir encore de bonnes réserves, car il bondit sur elle, l’arracha à sa colonne tout en la dépouillant de son vêtement avant de l’enlacer étroitement.

— Tu me mets le sang en feu, murmura-t-il contre sa bouche. Il suffit que j’évoque ton corps pour que le désir s’empare de moi.

Le baiser qui suivit s’acheva comme le précédent, après quoi il dit, encore haletant :

— Imaginez un peu, madame la duchesse, que je laisse aller mon imagination en plein conseil. Le bel effet que ferait cet étalage d’instinct… bestial sur Mme de Brienne par exemple ! Alors ? Vous me rejoindrez la nuit prochaine ?

— Et moi qui vous prenais pour un romantique ! Un…

— Un esclave soumis ? C’est vrai, je suis tout à vous ! Mais vous me marchandez par trop les récompenses ! Ayez un peu pitié d’un adorateur affamé !

— Ce n’est pas ainsi que je vous imaginais…

— Et qu’imaginiez-vous ?

Elle ne répondit pas. Simplement parce qu’elle n’en savait rien et qu’elle avait besoin de réfléchir. Ce qui venait de se passer lui donnait une sensation de malaise en dépit de la bienheureuse lassitude où flottait son corps. Elle venait de découvrir un Nemours inattendu, voire inquiétant. Jusque-là, elle ne voyait en lui qu’un amant parfait doublé d’un ami dévoué, attentif à ses moindres désirs, un beau toutou de Cour, élégant et décoratif, mais s’il se mettait à parler en maître, il allait falloir se méfier… d’elle-même. Ce qui était grave ! Ne venait-elle pas de lui permettre d’imposer sa loi de mâle ? En outre, elle avait ressenti un plaisir violent à s’y abandonner, et c’est ce qui était inadmissible parce que cela pouvait la conduire à sa perte et qu’elle n’aimait pas assez le jeune homme pour lui laisser prendre barre sur elle. Elle n’accorderait jamais ce droit qu’à un seul… et celui-là avait besoin d’aide !