Le lendemain, tout en faisant auprès de sa princesse office de dame d’atour après que les caméristes se furent retirées, elle entreprit de lui faire apprendre la leçon préparée pour elle et que l’on pouvait résumer en quelques mots : sous couleur de faire savoir aux amis restés à Paris, comme à la famille, que la « douairière » était arrivée à bon port, il s’agissait de jeter les bases d’une entente visant à soulever suffisamment de rébellions – parisiennes ou provinciales – pour inquiéter Mazarin et l’obliger à rendre leur liberté aux princes… Avec l’accord de Mme de Châtillon, qui proposait sa ville, solidement fortifiée et bien ravitaillée, comme centre nerveux de soulèvement.
Ce fut moins difficile qu’elle ne le craignait. Après une bonne nuit de repos, Charlotte avait repris du poil de la bête et la perspective de combattre pour ses fils l’enchantait… Ce fut d’une voix assurée qu’elle distribua les rôles, peu nombreux pour l’instant, mais Isabelle comptait sur l’effet boule de neige… Des lettres étaient déjà préparées.
En résumé, tandis que le duc de Nemours rentrerait à Paris pour s’entendre avec le président Viole, le coadjuteur et quelques autres, un messager partirait pour Montrond joindre Claire-Clémence et surtout Lenet, qui avait tenu à la suivre afin de veiller sur son fils, invitant la mère et l’enfant à rejoindre Châtillon pour y réunir la famille tandis que Montrond se situerait au centre des combats que l’on espérait efficaces. La place appartenant toujours à Charlotte, elle était parfaitement en droit d’en disposer comme elle l’entendait. Enfin, un troisième messager – ce serait Bastille qu’Isabelle savait capable de se tirer de n’importe quelle situation – se rendrait à Stenay où Mme de Longueville avait séduit – le mot était faible ! – le grand Turenne jusqu’à lui faire abandonner son devoir envers un Roi coupable d’avoir Mazarin comme ministre.
— C’est toi qui as le plus difficile, lui dit plus tard Isabelle, usant du tutoiement qu’il avait demandé en souvenir de Gaspard son maître. Mme de Longueville me hait, mais je veux espérer que sa mère représente encore quelque chose à ses yeux et que nous sommes avant tout au service de ses frères… et accessoirement de son époux. Voici, enfin, une dernière lettre que tu remettras au comte de Bouteville, mon frère, si tu parviens à savoir ce qu’il est devenu, mais qui devrait s’être mis au service de M. de Turenne. Il l’admirait presque autant que Condé !
Elle lui remit de l’argent en souhaitant que Dieu l’accompagne, puis s’en alla rejoindre Charlotte qui, après ce bel effort, se promenait sur la terrasse avec Mme de Brienne. Elle s’apprêtait à sortir du château quand Nemours se dressa devant elle, visiblement très mécontent :
— Je sais que vous avez dicté à Madame la Princesse douairière chacune des paroles qu’elle nous a fait entendre. Cela permet de supposer qu’il en va de même pour le supplément d’entretien que je viens d’avoir avec elle ?
— Ayant eu des ordres à donner, je ne comprends pas à quoi vous faites allusion. Je ne lui dicte tout de même pas chacune des paroles qu’elle prononce. Que vous a-t-elle dit ?
Son visage était un miracle d’innocence, mais le jeune homme ne se dérida pas :
— « Dit » me paraît faible ! Elle m’a presque supplié de partir aujourd’hui même, tant elle est anxieuse de recevoir des nouvelles de ses fils ! Et j’ai peine à croire que vous n’y soyez pour rien ! Si je vous insupporte à ce point, vous pouviez me l’apprendre vous-même !
— C’est ce que je n’aurais pas manqué de faire si c’était le cas, mais je ne suis pas à l’origine de la prière – bien normale – d’une mère angoissée.
— Vous le jureriez ?
— Oh, sans la moindre hésitation : je vous le jure !
Le plus fort est qu’elle ne mentait pas et que Charlotte avait agi de son propre chef, même si cela rendait service à son hôtesse. Afin d’atténuer sa déception, elle ajouta :
— Ne regrettez rien ! Je ne serais pas venue vous rejoindre… quelque envie que j’en aie !
— Pourquoi ? Mais pourquoi ?
— Peut-être parce que j’ai honte de m’être donnée à vous sous le même toit que mon fils et que cette mère crucifiée ! C’est… c’est offenser Dieu ! murmura-t-elle, découvrant avec stupeur qu’elle était sincère quand une larme lui monta aux yeux.
— Cela signifie que vous ne voulez plus de moi ?
Ce ton plaintif lui rendit une bienheureuse colère.
— Quand cesserez-vous de détourner les mots de leur signification ? Nous ne serons pas toujours ici et on ne renonce pas aisément aux délices que nous vivons ensemble ! Mais ne vous avisez plus de me tutoyer comme vous l’avez osé ce matin !
Il partit.
Les jours qui suivirent furent des jours de détente dont tous avaient besoin.
Le temps était délicieux et la jolie vallée du Loing dévoilait tous ses charmes au soleil. Le château lui-même, un rien rébarbatif quand Isabelle s’y était installée, offrait à présent un visage plus souriant par la grâce des plantations ordonnées par la jeune duchesse sur la terrasse et des coupes ainsi que des aménagements dans l’espèce de bois qui tenait lieu de parc. L’intérieur lui aussi présentait plus de confort et de gaieté et, même s’il ne pouvait se comparer à Chantilly, la princesse Charlotte et le très restreint groupe de personnes qui l’accompagnaient ne cachaient pas qu’elles l’appréciaient. D’autant mieux que Jeanne Bertin avait produit un sien neveu, repêché par son époux dans une auberge de Montargis où il venait d’être battu comme plâtre par son patron pour avoir osé rehausser une sauce, avant de la servir, d’un jaune d’œuf battu dans la valeur d’une cuillère à entremets de vin doux. Bertin s’était hâté de ramener la victime dans une région plus hospitalière – à savoir la cuisine de Châtillon ! –, où Jérémie avait toute latitude à laisser s’épanouir un talent qui apportait un plus de chaleur au cœur des « réfugiés ».
Un réconfort qui se révéla vite utile, car si le soleil continuait à briller, si l’air respiré restait aussi doux, les nouvelles que l’on reçut étaient franchement détestables.
Pas trop de Paris où le président Viole répondit à Isabelle, entre deux protestations de dévouement où l’obligeait l’amour grandissant qu’il lui portait, que le temps n’était pas venu de libérer Condé, le peuple – et le coadjuteur donc ! – n’ayant pas encore digéré ses colères et la rudesse de ses traitements quand il tenait la capitale.
Evidemment, Nemours écrivait aussi – dans un style beaucoup plus… lyrique –, jurant de sa ferme intention de préparer l’évasion du prince à défaut de sa libération et de mourir plutôt que de voir couler un pleur des beaux yeux de sa déesse…
— Il a dû rencontrer Mlle de Scudéry, Benserade ou Dieu sait quel thuriféraire des Précieuses, commenta Isabelle pour Agathe, son unique confidente. Je n’ai pas besoin qu’il meure ! Tout au contraire, je le veux bien vivant ! Et actif ! A quoi pourrait-il servir au fond d’un tombeau ?
Autrement dit : côté Paris, c’était le statu quo. Il n’en allait pas de même à Montrond. Lenet écrivait qu’il n’était pas question que Claire-Clémence et son fils se rendent à Châtillon. S’ils sortaient de leur abri, ce serait pour aller à Bordeaux y rencontrer don José Osorio qui devait arriver d’Espagne escorté de trois frégates, nanti d’un demi-million de livres. En outre, l’on s’apprêtait à renforcer les remparts de Montrond contre l’armée royale si elle s’y aventurait…