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— Quel enthousiasme ! Vous avez pris à tâche de me démolir le moral ? Et puis tout ce noir ! Vous êtes en deuil ou quoi ?

— Oui. Et vous devriez l’être aussi ! Je viens de ramener aux Grandes Carmélites le corps de notre princesse Charlotte…

— Elle est morte ?! Oh, non ! réagit-il, envahi par le chagrin. Et je n’y étais pas !

— Ni vous, ni ses fils, ni sa fille, ni sa belle-fille, ni son petit-fils qu’on ne lui a pas accordé la joie d’embrasser une dernière fois… Rien que Mme de Brienne, moi et les gens de Châtillon que sa bonté avait conquis  ! Quant à vous, je considère comme une chance qu’elle ne vous ait pas vu et, surtout, qu’elle ait ignoré, ainsi que notre famille, que le dernier des Montmorency va bientôt laisser sa tête sur l’échafaud !

— L’échafaud ? Perdriez-vous le sens ? Je suis prisonnier de guerre…

— On ne met pas des prisonniers de guerre à la Bastille ! Mais des traîtres, oui ! Comme le fut, hélas, notre cousin Henri ! Il avait fait pacte avec les Espagnols, tout comme vous…

— J’ai suivi mon chef, c’est le devoir d’un bon soldat. M. de Turenne ne s’est employé qu’à chercher les moyens de libérer le royaume du pire fléau qu’il ait jamais connu.

— Non ! D’imposer votre loi à vous ! La France entière, je pense, déteste Mazarin au même degré qu’elle a détesté Richelieu dont chacun s’accorde à présent pour reconnaître qu’il fut grand…

— Mais il était français ! Vous entendez, ma sœur ? Français !!! Et il ne couchait pas avec la Reine qui, entre parenthèses, est espagnole !

— Elle a cessé de l’être en épousant Louis XIII ! Et vous n’oubliez qu’un détail, messieurs les mutins ! Qu’elle est la mère du Roi et que Mazarin en est le ministre !

— Un ministre dont il sera ravi d’être débarrassé…

— Qu’en savez-vous ? Vous aurait-il fait l’honneur de vous le confier  ? Vous ne l’avez pas vu depuis longtemps, n’est-ce pas ? A votre place, je prendrais garde.

— A quoi ? Il nous remerciera, vous dis-je !

— De mettre son royaume à feu et à sang, et, pour réaliser cette belle prouesse, de faire appel à l’ennemi héréditaire. Dans quelques mois seulement, il atteindra la majorité royale et sera sacré à Reims. Dès à présent je me méfierais de lui ! En ce qui me concerne, je n’oublierai jamais le regard qu’il a posé sur le coadjuteur de Gondi au premier soir de la Fronde. Louis XIV sera un maître omnipotent… A moins que vous ne laissiez vos chers Espagnols l’assassiner ?

— Etes-vous folle ? Pour qui nous prenez-vous ? Nous sommes tous fidèles sujets de Sa Majesté…

— Allons donc ! Vous n’êtes même pas capables de vous en remettre à l’avis du plus grand d’entre vous ! Jamais, vous m’entendez, jamais le vainqueur de Rocroi ne se vendra au Roi d’Espagne auquel il a si glorieusement fait mordre la poussière ! Parce que lui n’est pas un traître ! Pensez-y quand vous vous agenouillerez devant l’épée du bourreau, François de Montmorency-Bouteville ! Qu’importe, après tout, si votre mère et vos sœurs en meurent de chagrin et de honte ! Geôlier !

Saisissant sa mante au passage, elle courut à la porte que l’homme ouvrit et s’élança dans l’escalier au risque de se rompre le cou. Aveuglée par ses larmes, elle se fût abattue au seuil de la tour si l’un des gardes ne l’avait saisie à temps et remise à Agathe qui l’attendait dans la voiture.

— Nous rentrons ! cria celle-ci au cocher.

1 Un an plus tard, les troupes royales durent en faire le siège.

2 L’usage voulait qu’une femme signe toujours de son nom de jeune fille. Lettre tirée des papiers de Lenet à la Bibliothèque nationale.

3 Aujourd’hui église Saint-Paul-Saint-Louis.

4 Bien des années plus tard, elle devait écrire dans son testament : « […] quelque lieu que je meure, je veux que l’on prenne mon cœur sans m’ouvrir tout à fait et qu’on le porte au couvent des Carmélites, près du corps de Madame la Princesse qui m’a tendrement aimée et qui m’a fait du bien dont je conserverai la reconnaissance jusqu’au tombeau… On mettra un marbre dessus qui en fera mention et l’on donnera deux mille livres aux religieuses pour qu’elles aient la bonté de le permettre… »

5 Les trois domaines forment en effet un triangle rectangle dont Chantilly et Précy forment la base et Mello le sommet.

6 Elle portait toujours celui de la Princesse.

11

La châtelaine de Mello

En reprenant contact avec la vie parisienne, Isabelle, semblable à une lectrice de roman-feuilleton à la feuille qui a manqué quelques publications, s’aperçut qu’à l’abri feutré des salons on n’avait pas cessé de comploter contre Mazarin.

Ainsi une amie de Mme de Longueville, Anne de Gonzague, princesse Palatine1, s’était efforcée de réunir autour d’elle ceux des mécontents qui pouvaient avoir une quelconque importance dans cette histoire de fous : frondeurs comme Beaufort et le coadjuteur de Gondi, amis de Condé comme Nemours et La Rochefoucauld, ambitieux de tous poils avec en tête Monsieur, duc d’Orléans, le pire de tous, sans oublier les parlementaires tirés de l’obscurité comme Broussel devenu plus enragé que les autres. Agissant dans divers milieux, ceux-là poursuivaient un unique objectif : Mazarin, dont ils avaient juré la perte à l’unanimité ! Or la bataille de Rethel, en écrasant Turenne et en envoyant Bouteville blessé à la Bastille, représentait un éclatant triomphe pour le ministre exécré et presque une injure personnelle envers le duc d’Orléans qui se voyait assez bien Régent, même si la majorité royale n’était plus très éloignée.

Ce fut ce qu’expliqua Nemours à Mme de Châtillon au lendemain de sa visite à François, quand elle put constater que la populace se remettait à crier : « Sus au Mazarin ! » et que Paris reprenait le visage menaçant d’autrefois.

— En ce moment même, le Parlement envoie une députation à la Reine pour lui demander la liberté des princes. Une forte députation, précisa-t-il. Il se pourrait que dès ce soir nous soyons débarrassés de cet Italien de malheur…

— C’est seulement maintenant que vous me racontez cela ? coupa-t-elle l’œil orageux.

— Moi qui pensais vous faire plaisir… Ne croyez-vous pas qu’avec ce que vous viviez à Châtillon il aurait été du dernier mauvais goût de vous rebattre les oreilles des problèmes que nous suscitons à ce faquin ? Vous connaissez Mme de Gonzague, il me semble ?

— C’est de Mme de Longueville qu’elle est l’amie. Cependant j’aurai plaisir à la revoir. Ne fût-ce que pour la remercier d’être venue prier aux Grandes Carmélites au jour des funérailles…

— Permettez-moi de vous conduire chez elle !

— Ma foi, non ! Allons, ne faites pas cette tête ! Vous m’y conduirez plus tard. Pour le moment, je vous l’avoue, j’ai besoin d’un temps de réflexion.

— Vous n’allez tout de même pas rentrer à Chantilly alors que nous sommes à la veille de renvoyer ce parvenu ?

— Croirait-on que c’est au bout du monde ? Non, je ne vais pas là-bas. Je reste ici pour dormir encore un peu ! C’est aussi bête que cela ! Dormir ! Vous n’imaginez pas à quel point j’y aspire ! Tant de nuits sans sommeil à veiller ma Princesse !

— Vous me surprenez ! Je pensais, au contraire, qu’après cette entrevue avec votre frère vous cracheriez feu et flammes pour le sortir de là.

— Eh bien, non ! Pendant qu’il est « neutralisé », au moins, il ne commet pas de sottises supplémentaires… Il ne jure que par l’Espagne ! Je vous demande un peu !