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« Il est toujours possible de le faire incendier », souffla alors une voix intérieure qui réveilla Isabelle, soudain assise dans son lit et trempée de sueur.

Elle avait dû crier car Agathe apparut au même instant un chandelier à la main, un bonnet sur la tête et en robe de nuit. Et se précipita vers elle.

— Mon Dieu ! s’exclama-t-elle en la découvrant quasi hagarde. Madame la duchesse est souffrante ?

Sans attendre la réponse, elle déposait son bougeoir, cherchait un cordial que l’on refusa, puis, constatant que sa maîtresse était humide et glacée, lui arracha sa chemise trempée qu’elle remplaça par une autre après l’avoir frictionnée avec des serviettes aussi vigoureusement que si elle avait été un cheval. Isabelle ne disait rien, se laissait étriller. Ce fut seulement quand Agathe l’eut enveloppée d’une vaste écharpe de laine pour la conduire près du feu vivement rallumé qu’elle demanda :

— Quelle heure est-il ?

— Une heure du matin, mais que…

— J’ai fait un méchant rêve… Un affreux cauchemar ! balbutia-t-elle encore sous le coup de la terreur. J’ai rêvé que ce château flambait… Des flammes si hautes qu’il n’était pas possible de savoir si quelqu’un y respirait encore… Et puis je les ai vues s’approcher de moi… Et plus je reculais, plus elles avançaient en grondant. En même temps elles parlaient et je comprenais leur langage… Elles disaient…

— Non ! Ne le dites pas ! Ce n’est pas difficile à deviner… Elles avaient la voix de cette Longueville, j’en jurerais. Mais vous ne devez pas en avoir peur !

— Elle a juré de m’enlever tout ce qui m’était cher ! Tout, vous entendez ?

— Oh, j’ai entendu ! Ai-je déjà confessé à madame la duchesse que j’ai la mauvaise habitude d’écouter aux portes quand vient quelqu’un que je n’aime pas ? Je n’aurais eu garde de manquer à cette visite. On a peine à croire qu’une femme aussi odieuse soit la fille de Madame la Princesse ! Et, à ce propos, il se peut qu’elle ne dorme pas bien elle non plus, mais pas pour une idée fumeuse. Ce qu’elle a entendu de la bouche de Mme de Brienne donnait à penser à une malédiction ! A sa place, j’y prendrais garde !

— Elle se veut au-dessus du commun des mortels !

— Peut-être, mais plus dure sera la chute ! On y veillera !

— C’est surtout sur mon fils qu’il faut veiller. J’ai peut-être eu tort de le faire venir ici ? Derrière les murailles de Châtillon, il serait plus difficile sinon impossible de l’atteindre, mais j’avais tellement envie de l’avoir près de moi !

— C’est on ne peut plus naturel… Et il est si mignon !

A bavarder ainsi à bâtons rompus, Isabelle, réchauffée, réconfortée, reprit son équilibre et finit par regagner son lit où elle acheva la nuit assez paisiblement.

Le jour amena un beau soleil et lui rendit son optimisme habituel. Elle employa son temps de fort agréable façon à faire l’inventaire de son nouveau domaine et de tout ce qu’il contenait, et, à l’issue de l’inspection, en conclut que le cadeau était vraiment royal et que, additionné à ce qu’elle possédait déjà, elle pouvait se considérer comme une femme riche. Même s’il lui fallait faire le deuil des célèbres perles que, très certainement, on ne lui donnerait jamais en dépit des ordres du Prince. Elle était trop coquette pour ne pas les regretter, mais avait acquis suffisamment de sagesse pour ne pas s’y attacher.

Mme de Brienne repartit en début d’après-midi pour rentrer à Paris. Comme la défunte princesse Charlotte, elle était liée à la Reine par une réelle amitié et se souciait de la savoir à présent seule avec son jeune Roi pour affronter une situation des plus déplaisantes. Que l’on aimât ou non Mazarin, il la déchargeait du plus lourd du gouvernement de l’Etat, et que tous deux soient unis par de tendres liens – voire des liens conjugaux  ! – ne changeait rien au fait qu’elle n’avait plus personne sur qui s’appuyer pour faire face à un peuple qui, ayant goûté aux joies de l’agitation, ne semblait pas décidé à y renoncer de sitôt !

— J’ai toujours su qu’elle était courageuse, avait dit la comtesse avant de monter en voiture, mais je pense qu’un peu de chaleur d’amitié sera peut-être la bienvenue !

Isabelle avait alors répondu :

— Voulez-vous me mettre à ses pieds et lui dire que je suis tout à son service au cas où elle aurait besoin de moi ? Et sans rien demander en échange. Simplement en mémoire de notre chère princesse !

— Soyez sûre que je ne manquerai pas de le lui dire… et je crois qu’elle en sera contente…

La journée se passa donc paisiblement et s’acheva par une lente promenade dans les jardins – le château intérieur et extérieur avait toujours été soigneusement entretenu – avec le petit Louis-Gaspard qui commençait à marcher. Etayé d’un côté par sa mère et de l’autre par Agathe, il lançait ses petites jambes dans tous les sens en riant aux éclats et il ressemblait si fort à son père – blond comme lui et ses beaux yeux bleus ! – que sa mère se sentait fondre quand il la regardait en penchant sa tête de côté, et plus encore quand il lui entourait le cou de ses bras potelés pour entamer un discours totalement hermétique mais qui ne pouvait qu’être des plus tendres.

En rentrant, elle le remit à Jeannette, sa nourrice, et regagna son appartement où elle avait l’intention de se faire servir un souper léger et de se coucher tôt afin d’effacer par une nuit réparatrice les traces de la précédente.

Or elle trouva Bastille qui l’attendait dans ce qui devenait son cabinet d’écriture.

— Tu m’attendais ? Pourquoi ne pas m’avoir rejointe au jardin si tu avais quelque chose d’urgent à me communiquer  ?

— En vous portant cela ? Je ne pense pas que vous auriez apprécié.

Il désignait un coffre de bois précieux et de moyennes dimensions que l’on avait posé sur un siège. Un large ruban scellé d’un cachet rouge le mettait à l’abri des curiosités et le cœur d’Isabelle battit plus vite en reconnaissant les armes des Bourbons-Condés.

— Il vient de Chantilly, ajouta Bastille, imperturbable. J’ai aussi cette lettre…

L’écriture en était extravagante et, cette fois, la jeune femme sentit une chaleur lui monter au visage. Sans regarder son serviteur, elle prit un coupe-papier pour faire sauter le cachet, lut… et devint ponceau.

« Cette nuit je viendrai à onze heures. Veillez à écarter vos domestiques et à laisser votre fenêtre ouverte ! Surtout ne refusez pas ! Je pars demain… »

En levant les yeux, elle vit que Bastille regardait au-dehors, mais sans bouger d’une ligne.

— Eh bien, merci ! Qu’attends-tu ?

— De savoir s’il y a une réponse, fit-il calmement.

— Aucune. Tu as ton couteau ?

Il le tira de la gaine accrochée à sa ceinture et le lui tendit en le tenant par la lame, mais elle désigna le coffre.

— Coupe ce ruban !

Le couvercle se soulevant révéla le contenu qu’elle espérait. Les perles ! Les magnifiques perles de Charlotte avec la « grande boîte de diamants » ! De grosses perles rondes, légèrement rosées, pour le tour de cou et d’autres, énormes, en forme de poires, en une longue chaîne que l’on pouvait draper sur une robe selon la fantaisie du moment. Isabelle, les mains jointes, les contempla à satiété avec un immense plaisir. Elle avait été tellement certaine de ne jamais les revoir sinon sur celles en qui elle ne pouvait plus voir que des ennemies : la Longueville et la « petite dinde » qui, depuis son équipée de Bordeaux, éclatait d’orgueil ! Et maintenant ces splendeurs étaient là, devant elle, à elle…