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— De chandelier ? De qui le tenez-vous ?

— Mais de celle qui vous connaît le mieux ! Votre propre sœur ! Comment mettre en doute une telle source ?

— Plus que toute autre au contraire  ! Elle vous hait !

— Si vous pensez m’apprendre quelque chose ! Mais je le lui rends au centuple.

— Essayez de ne pas trop lui en vouloir ! Elle ferait l’impossible pour me protéger parce qu’elle m’aime profondément… et qu’elle vous trouve dangereuse pour ma paix intérieure !

— Le suis-je ?

— Je viens de vous le dire ! Isabelle ! Me laisserez-vous partir…

— Oh, c’est vrai ! J’allais oublier ! Où donc allez-vous ?

— A Paris ! Et ne riez pas ! Ce n’est pas loin, je le sais, mais tout y va de travers…

En effet, en dépit des fêtes, ballets et divertissements qui se succédaient depuis la libération des princes, la brouille s’insinuait entre les frondeurs, le duc d’Orléans et Condé lui-même, chacun se plaignant de l’inexécution des fameuses conventions secrètes de janvier dernier. Le mariage du jeune Conti avec la fille de la duchesse de Chevreuse était brisé, cependant que Monsieur qui, du rang de lieutenant général du royaume se voyait bien passer à celui de Roi, supportait de plus en plus mal de se voir barrer le passage par Condé ; quant au coadjuteur de Gondi, furieux de ne pas avoir encore coiffé le chapeau de cardinal qu’il croyait tenir, il n’avait pas hésité à offrir ses services à Mazarin toujours en exil. Ainsi d’ailleurs – à ce que l’on chuchotait – d’Anne de Gonzague, qui s’était offerte comme correspondante secrète de celui dont la Reine déplorait tant l’absence et qu’elle aidait de tout son pouvoir.

Tout cela, Isabelle n’en ignorait pas grand-chose, même si elle entendait prolonger son séjour à Mello, mais le rapide tableau qu’en traça son visiteur l’inquiéta sérieusement.

— C’est pourquoi je répète ma question : qu’allez-vous chercher là-bas sinon un surplus de soucis ? Laissez donc Monsieur, le Parlement, Gondi et la Reine s’affronter à fleurets plus ou moins mouchetés et attendez à Chantilly que l’on vienne vous soumettre des problèmes dont je me demande qui pourrait en venir à bout ! C’est vous que l’on a porté en triomphe lors de votre retour de Normandie. Vous pourriez devenir le dernier recours.

— Ou la première victime. Savez-vous qu’en fait de recours on pourrait m’appréhender de nouveau, voire me faire assassiner ?

— Quelle horreur ! Mais d’où tenez-vous cela ?

— Des nombreux agents que les miens entretiennent dans Paris, ainsi que des amis que j’y conserve. Leurs rapports sont inquiétants et, autour de moi…

— Oui, au fait ! Que dit-on autour de vous ?

— Que je ne dois pas attendre d’être pris au piège et qu’il faut se battre dès à présent.

— Déclencher une nouvelle Fronde à peine éteinte la première ? Avec le soutien de quelles forces ?

— Tous mes partisans – et j’espère que vous en êtes – m’adjurent d’accepter l’aide non négligeable que propose le Roi d’…

— Espagne ? Qui ose vous présenter comme un bienfait les armes de l’ennemi… Celui-là même que vous avez écrasé à Rocroi ?

— Qui ? Mais tous ceux qui m’aiment : ma sœur, mon jeune frère… le vôtre qui est des plus ardents…

— François ? Je le croyais à la Bastille…

— Il en est sorti et il se soigne à Chantilly !

— Et il n’est même pas venu jusqu’ici ?

L’esquisse d’un sourire vint éclairer le sombre visage du prince.

— Il a bien trop peur de vous ! Vous êtes, j’en suis certain, le seul être au monde qu’il redoute !

— Quelle sottise ! Nous avons toujours été complices, mais il sait que, chez nous, la fidélité au Roi ne se marchande pas !

— A condition d’en avoir un. Celle qui règne est espagnole…

— Elle est sa mère !

— Acoquinée à un aventurier italien…

— Il est son ministre et, dans quatre mois, le Roi sera majeur. Oserez-vous encore lever les yeux sur lui quand vous aurez fait déchirer son bien par l’ennemi héréditaire ?

— S’il est intelligent, il nous dira merci !

— Ou il signera votre arrêt de mort ! Faut-il que vous soyez aveugles, vous et mon étourneau de frère ?

— … et toute la haute noblesse de France alors ? Beaufort, La Rochefoucauld, Nemours, Bouillon, Conti mon frère, Longueville mon beau-frère…

— Dites sa femme et vous serez plus près de la vérité ! Ce dont je suis sûre, en tout cas, c’est que jamais vous n’auriez pu impliquer Gaspard de Châtillon-Coligny dans ces menées ! Il s’est fait tuer en combattant pour vous, mais jamais il n’aurait accepté pour maître l’Espagnol ! Jamais, vous m’entendez ? Jamais !

Emportée par une émotion plus forte que sa volonté, elle eut un sanglot, cacha son visage dans ses mains et se laissa tomber à genoux.

— Je vous en supplie, ne vous laissez pas entraîner à franchir le seuil infâme de la trahison ! Ne ternissez pas la gloire si pure qui a fait de vous l’idole de tout un peuple ! Chassez Mazarin si vous le voulez, mais en vous servant de vos propres armes, vos propres forces ! Songez à vos victoires passées !

Il s’était précipité vers elle, la relevait et refermait ses bras autour de ses épaules.

— Isabelle ! murmura-t-il, les lèvres dans ses cheveux. J’étais venu vous prier d’amour, tout simplement ! Il y a si longtemps que je rêve de vous faire mienne, et voyez où nous en sommes ? Par pitié…

— Pitié ? Pour vous ?

— Pour nous deux ! Vous savez que je vous aime et je crois que vous m’aimez aussi ! Le temps s’écoule et viendra bientôt l’heure de nous quitter.

A ce moment, quelqu’un fit entendre au-dehors un sifflement modulé qui lui arracha un grondement de colère.

— Pas déjà ! On ne peut pas me demander de vous quitter si vite, quand je vous tiens dans mes bras, que je sens battre votre cœur et que me torture le désir que j’ai de vous…

Il se mit à l’embrasser avec une sorte de fureur, passant de son cou à sa gorge… Mais le sifflement reprit, se fit plus insistant. Isabelle se ressaisit.

— Il va réveiller tout le château ! Il faut voir ce qu’il en est !

— Pas avant de t’avoir possédée !

Il ne voulait rien entendre et cherchait à déchirer sa robe, mais elle rassembla toute son énergie pour le repousser.

— Non ! Il faut savoir de quoi il retourne !

Et, glissant de ses mains, elle courut à la fenêtre d’où pendait toujours l’échelle. En bas, elle distingua une silhouette tenant deux chevaux par la bride. Une silhouette qu’elle reconnut aussitôt.

— François ? Que venez-vous faire ici ?

— Désolé de troubler votre… entretien, ma sœur, mais il faut que Monseigneur rentre immédiatement ! Un courrier est arrivé et…

— S’il vient d’Espagne, vous pouvez le renvoyer d’où il vient !

— Non. Il vient de Paris et c’est urgent. Sinon vous devez bien penser que je ne me serais pas permis…

— Au revoir, ma belle…

Posant un rapide baiser sur les lèvres d’Isabelle, Condé enjamba l’appui de la fenêtre et précisa :

— Je serai bientôt de retour et vous dirai la suite, mon amour ! Je vous veux tout à moi !

Elle retrouva assez de lucidité pour répondre :

— Il en sera selon le choix que vous ferez !

— C’est ce que nous verrons…

Déjà il avait sauté à terre, enfourchait son cheval. Les deux cavaliers disparurent aussitôt dans la nuit. Isabelle remonta l’échelle qu’elle mit dans un coffre et referma la fenêtre, mais ne se coucha pas.