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Rentrée à l’hôtel de Valençay, elle passa sa journée à tenter d’user sa colère à laquelle se mêlait une amère douleur en pensant à son frère ! Celui-là s’apprêtait à sacrifier sa vie encore à son aurore pour attacher sa fortune à celle de celui qui n’était plus qu’un ancien héros ! Si seulement, au lieu d’envoyer Conti, il était venu lui-même ! S’il avait pu voir ce jeune homme si manifestement royal, elle était certaine qu’il aurait suivi les autres… tous les autres ! Tomber à genoux ! A condition, évidemment, de ne pas se croire « l’égal des dieux » !

La suite lui apprit qu’elle avait raison. Le lendemain même, Condé, comme si de rien n’était, prétendit s’opposer à la formation d’un nouveau ministère et Monsieur, toujours fidèle à lui-même, voulut l’appuyer. Mal leur en prit. Le Roi demanda les sceaux au chancelier Séguier et signa la nomination des trois hommes qui devaient entrer au Conseil. Il y avait vraiment quelque chose de changé au royaume de France. Encore fallait-il le comprendre  !

Monsieur se hâta de faire patte de velours en se présentant dès le lendemain au lever de son neveu. Au même moment, Condé, furieux, partait pour Chantilly afin d’y mettre à exécution les plans prévus tandis qu’il rongeait son frein à Saint-Maur. Il renvoya sa femme et son fils à Montrond, confia à François de Bouteville le commandement de la place de Bellegarde puissamment armée, chargea sa sœur de « recruter des soldats » – ce qui peut paraître étrange –, mais aussi de se concerter avec l’Espagne. Après un ultime conseil de guerre, il donna ses derniers ordres dont le principal était la levée des troupes. Lui-même devait quitter Chantilly dès le lendemain pour se diriger vers le Midi.

Depuis la veille, Isabelle, prévenue par les quelques mots d’adieu que lui avait fait tenir son frère, était revenue à Mello où elle s’était hâtée d’ordonner de hisser ses couleurs signalant sa présence. Après avoir assisté à la remise de la fameuse lettre par Conti, elle redoutait le pire et le court billet griffonné par François n’était pas pour la rassurer. Ne restait-il qu’une toute petite chance de retenir les deux hommes qu’elle aimait le plus au monde sur la pente de la haute trahison, il fallait qu’elle la tente. Aussi, pour être certaine que Condé saurait sa présence, envoyat-elle Agathe bavarder avec son mari. Puis elle attendit après avoir pris les mêmes dispositions qu’à leur dernière entrevue nocturne. Mais cette fois sa robe était d’épaisse soie blanche sans autre ornement qu’un piquet de roses tardives au creux de son décolleté. Quant à son corps, elle en avait pris un soin aussi méticuleux que pour une nuit nuptiale – bain, massages, etc. – et elle embaumait la rose fraîche. Cependant elle avait passé, sur sa robe, un peu trop échancrée peut-être, un mantelet en faille verte à manches courtes. Puis elle attendit, à l’endroit de leur dernière entrevue.

Il était minuit juste quand il s’encadra dans le chambranle de la porte, plus sombre encore que d’habitude.

— Quelque chose me fait supposer que vous m’attendiez ! dit-il.

— Ce quelque chose avait raison. J’ai appris que vous partiez… pour longtemps sans doute ?

La voix était dure, le ton amer et, dans les yeux fauves, brillait une lueur qu’Isabelle n’y avait jamais vue. Cependant elle esquissa un sourire en versant du vin dans un verre.

— Pour atteindre quel but ? Ravager un peu plus qu’il ne l’est déjà le beau royaume de France ? Jeter son jeune Roi à bas de son trône ? Pour mettre qui à sa place ? Ce pleutre de Monsieur qui tourne à tous vents ? Mauvais marché pour la France ! Ses ambitions brouillonnes ont laissé derrière lui la trace sanglante de ceux qui ont fini sur l’échafaud pour avoir servi ses délires pendant qu’il comptait les pièces d’or qu’avaient coûtées au Trésor ses « scrupules » de dernière minute ?

— Pourquoi pas moi ? Je suis un Bourbon, moi aussi, et mon sang vaut celui de Monsieur !

— Pas tout à fait… Et je dirais même que la balance pencherait plutôt de votre côté. Vous êtes né de la femme la plus merveilleuse que j’aie eu le bonheur de connaître. Lui d’une des plus néfastes de nos Reines : la grosse Marie de Médicis qui aimait tant le pouvoir qu’après avoir laissé assassiner son époux, elle livra le royaume à un misérable Florentin. Mais le décor change quand il s’agit du Roi. Il est fils d’une infante…

— … qui ne vaut pas plus cher que la Médicis. Elle aussi a son Italien sorti de rien ! Jeu égal !

— Vraiment ? Je n’ai pas l’impression qu’Henri IV eût été votre grand-père et, voyez-vous, Monsieur le Prince, c’est en France ce qui compte pour porter la couronne ! Et moi, Isabelle de Montmorency, je vous reproche d’entraîner le dernier de ma race, mon cher petit frère, dans votre trahison !

— C’est un homme à présent, et des meilleurs ! Un chef… et que ses soldats adorent, ce qui est une rareté ! Quant à vous, cessez de jouer les nourrices !

— Alors écoutez bien ceci : si par malheur il perdait la vie dans l’un de vos injustes combats, prenez garde à la vôtre car je vous tuerai ! Cela étant, et puisque votre décision est irréversible, il ne me reste qu’à vous dire adieu !

Elle prit le verre qu’elle avait servi et y trempa ses lèvres, mais il le lui arracha et l’envoya se briser contre le marbre de la cheminée.

— Oh, mais non ! grinça-t-il. Je suis venu pour vous faire mienne et, par tous les diables de l’enfer, je vous aurai !

Il bondit sur elle, l’enleva de terre, la déposa sur le lit et voulut l’enlacer, mais, glissant telle une anguille, elle lui échappa et se replia vers la fenêtre.

— Jamais, vous entendez ? Jamais je ne serai à un traître ! Mazarin n’est plus là qui nous obligeait à bonne conscience  ! A présent Louis XIV règne et je suis sa fidèle sujette ! Approchez si vous l’osez !

Il constata alors qu’elle le menaçait d’une petite dague, prise sans doute dans un pli de sa robe, et dont la pointe était dirigée vers lui. Cela le fit rire, mais d’un rire qu’elle n’apprécia pas du tout.

— Si tu crois m’impressionner… A nous deux, ma belle !

La peur soudaine qui vint à Isabelle lui arracha un cri, mais il l’immobilisait déjà et lui tordait le bras afin de lui faire lâcher prise. L’arme lui échappa. Comprenant qu’il allait la violer, elle hurla :

— A l’aide !

Presque instantanément, Bastille jaillit de la fenêtre. Il ramassa la dague… et mit un genou en terre.

— Par pitié, Monseigneur, ne m’obligez pas à m’en servir ! J’ai juré à mon maître mourant de veiller sur Mme la duchesse tant qu’il me resterait un souffle de vie. Elle a appelé au secours… Il faudra me tuer avant de vous en prendre à elle…

La colère de Condé tomba d’un seul coup.

— Je te connais, toi. Tu étais le serviteur du duc Gaspard ?

— C’est bien moi. En trépassant, il m’a confié son épouse et l’enfant qu’elle portait !

— Il savait ce qu’il faisait ! Je donnerais cher pour avoir un homme tel que toi auprès de moi, mais un serment ne se reprend pas, n’est-il pas vrai ? Tu peux te retirer ! Je vais partir…

Le regard de Bastille interrogea celui d’Isabelle et elle répondit par un sourire.

— Je n’ai plus rien à craindre. Merci, Bastille !

Rendant le poignard à la jeune femme, il s’inclina et disparut aussi vite qu’il était apparu… Isabelle et Condé restèrent face à face :

— Vous m’avez joué, madame !

— Je ne vois pas en quoi, car je ne vous ai jamais menti. Je serais venue à vous les bras ouverts si vous aviez fait votre devoir de prince français…