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— Je l’ai fait. J’ai envoyé Conti porter une lettre… que l’on a dédaignée.

— Ne jouez pas sur les mots ! Vous avez pris une échappatoire indigne de vous et surtout de celui à qui elle s’adressait. Mais vous avez choisi de servir l’Espagne au lieu d’associer votre gloire à l’aurore d’un grand règne. Pensez-y au moment où vous courberez l’échine pour saluer le vieux Philippe IV, votre nouveau maître !

— Je n’ai pas de maître ! Je traite de puissance à puissance ! Vous oubliez que je suis un Condé.

Isabelle le regarda avec accablement. L’orgueil de cet homme n’avait plus de limites et elle savait d’où cela venait. « Comme des dieux ! » C’était le nouveau code d’un homme asservi par une sœur diabolique et elle n’y pouvait plus rien ! Lasse, soudain, elle alla s’asseoir.

— Un détail manque à votre discours ! Vous avez oublié Bourbon ! De toute façon, cela ne vous donne pas plus de droits au trône de Saint Louis ! Allez-vous-en, Monseigneur ! Je crois que nous n’avons plus rien à nous dire !

Il reprit son chapeau posé sur un meuble et s’en recoiffa avec une arrogance qui était en fait un défi.

— Libre à vous d’y croire ! Moi, je peux vous prédire que vous n’avez pas fini d’entendre parler de moi !

— Je ne suis pas certaine qu’à présent cela ait de l’importance…

Raidie dans un effort de volonté, elle le regarda enjamber la fenêtre et ce fut seulement quand le galop de son cheval se fut éteint dans la campagne qu’elle donna libre cours à son chagrin et pleura longtemps pendant la nuit sur la blessure de cet amour qu’elle portait en elle depuis des années et qui ne voulait pas mourir…

Dans la matinée du lendemain, 10 septembre, Condé prenait la route du Midi, mais curieusement s’arrêtait à Angerville, puis à Bourges, comme s’il attendait quelque chose. Le 15 il rejoignait à Montrond sa femme et sa sœur – ou plutôt sa sœur et sa femme, car il n’accorda pas beaucoup d’attention à celle-ci qui cependant ne cessait de se dévouer pour lui. Peut-être un peu trop ! Il n’est jamais bon d’accabler de passion un époux de nouveau réticent !

Quoi qu’il en soit, ce que l’Histoire appellerait la Fronde des princes commençait. Condé trahissait ouvertement sa patrie en signant, le 6 novembre, un honteux traité d’alliance avec l’Espagne, concrétisé par un envoi de troupes et d’or. Auprès de lui, Anne-Geneviève faisant fi de son époux demeuré à Trie-Château, vivait ouvertement avec François de La Rochefoucauld, mais, pour la France, le contexte politique ne se présentait plus de la même façon. Le maréchal de Turenne, revenu assez vite de son erreur, commandait les troupes royales… et Mazarin n’allait plus tarder à rentrer en France, et en plein accord avec le Roi et sa mère, pour y prendre la tête d’une petite armée. Eh oui ! Le Cardinal n’était pas seulement un administrateur et un fin diplomate, il avait aussi révélé des qualités de chef de guerre au temps où, devant Casale, il avait rencontré Richelieu, il y avait déjà un certain nombre d’années.

Au commencement de l’hiver, Isabelle revint à Paris avec son fils qu’elle ne voulait pas laisser loin d’elle afin que l’idée d’en faire un otage ne vînt à l’esprit de personne. Non qu’elle redoutât un coup de main de Condé : même furieux, il n’était pas homme à faire la guerre aux enfants ! Mais elle craignait tout de sa rivale…

En outre, Paris avait retrouvé un visage plus aimable depuis la majorité royale. Les fêtes s’y succédaient, comme celle donnée le 16 novembre par l’ambassadeur de Venise.

Isabelle y fut, naturellement, en compagnie de Marie de Saint-Sauveur, et rencontra un vif succès car elle était sans doute la plus jolie femme de l’assemblée. Ses nombreux amoureux lui reprochaient une trop longue absence. Elle souriait à tous mais n’en encourageait aucun. Nemours lui manquait. On savait qu’il guerroyait quelque part dans le Nord en dépit de l’hiver, mais on ignorait où. Isabelle ressentit cette absence plus qu’elle ne l’aurait cru, mais, après la douloureuse rupture avec Condé, elle eût aimé retrouver le refuge de ses bras. Il savait si bien l’aimer qu’auprès de lui elle aurait oublié la petite flèche cuisante plantée dans son cœur et qui faisait si mal quand on l’effleurait. Au fond, elle venait à penser qu’elle aimait Nemours, autrement sans doute que son Prince à demi sauvage, mais de façon infiniment plus tendre. Et il n’était pas là !

Il y eut un intermède durant la visite en France du Roi Charles II d’Angleterre et de son frère, le duc d’York. Elle et lui avaient flirté ensemble quand, jeune prince errant à travers l’Europe avant l’exécution de son père, il cherchait de l’aide auprès des autres souverains pour chasser Cromwell. Il avait déjà un goût très affirmé pour les jolies femmes, à l’instar de son grand-père Henri IV le Béarnais, et la toute jeune Isabelle l’avait subjugué. En la retrouvant à une splendide fête donnée par Mademoiselle au palais du Luxembourg, le jeune Roi sans royaume sentit revenir l’attirance très vive qu’il avait eue pour elle et lui fit la cour ouvertement.

— Savez-vous que vous pourriez devenir Reine d’Angleterre ? lui dit Marie en rentrant du bal dont Mademoiselle espérait obtenir une demande en mariage qui l’eût comblée1 .

— La couronne me plairait assez, répondit Isabelle. Le prince aussi, mais c’est le pays qui ne me tente guère. A-t-on idée de vouloir régner sur des gens qui n’ont pas hésité à envoyer leur souverain au bourreau ?

Elle n’ajouta pas que, même si le Roi était séduisant, elle ne pourrait jamais renoncer, pour lui, à ses amours présentes… A son cher Nemours… A Condé même dont elle ne désespérait pas encore de le ramener dans le droit chemin…

Le droit chemin, Isabelle en vint peu à peu à se demander si les Parisiens réussiraient un jour à s’y tenir en dépit du choc réel éprouvé au soleil de la majorité royale. Incontestablement, ils s’étaient pris à admirer et à aimer leur jeune souverain, mais les bruits couraient sur un retour de Mazarin. Des mains invisibles placardaient des affiches accusant celui-ci de vouloir affamer le peuple, appuyant leurs dires sur la misère grandissante qui sévissait dans les campagnes et même dans les bas quartiers de la capitale. Cela laissait le champ libre à la racaille qui annexait le Pont-Neuf, alors la grande artère de Paris, et fouillait les carrosses sous prétexte que le Cardinal pouvait s’y cacher.

C’est ainsi qu’Isabelle tomba, un soir, sur une scène d’une rare violence. Des gens de mauvaise mine venaient de s’en prendre au duc de Brancas que le duc de Beaufort – chéri des Parisiens et que l’on surnommait le Roi des Halles – avait provoqué en duel. Le malheureux allait être jeté au fleuve quand, du haut de son propre carrosse, la jeune femme se lança dans un discours passionné, rappelant à ces gens qu’ils avaient à présent un Roi peu disposé à laisser son bon peuple faire n’importe quoi, y mêlant un appel à la charité chrétienne et en terminant par une espèce de déclaration d’amour à ce « beau peuple » qu’elle avait toujours connu et qui « se devait de rester fidèle à sa grandeur et à toutes ces belles qualités que le monde entier lui reconnaissait »…

Sans doute parce qu’elle était ravissante, on l’écoutait bouche bée quand Beaufort, qui n’était pas loin, se matérialisa soudain auprès d’elle et clama :

— Faites à la volonté de Mme la duchesse de Châtillon, car elle parle d’or, et rendez-lui un peu de tout cet amour qu’elle vous porte… et dont je la remercie, souligna-t-il en baisant la main d’Isabelle. Je n’aurais pas mieux dit qu’elle. Et d’autre part, l’honneur me commande à moi de régler mes comptes en personne ! Remettez M. de Brancas dans sa voiture et acclamons la plus belle des duchesses !