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Le lendemain, Isabelle n’alla pas au bal de Monsieur.

Elle en était incapable, à la surprise de Mme de Brienne qui savait combien elle aimait danser, se parer pour attirer les hommages masculins. Comme elle s’en inquiétait, Isabelle répondit :

— Il ne me semble que, si j’y allais, je m’avancerais en pays inconnu !

— Vous connaissez tout le monde, cependant.

— Je le croyais. En fait il n’en est rien ! J’ai encore dans les oreilles le tonnerre des acclamations qui ont accueilli le Roi lors de sa majorité. Monsieur se pavanait dans le carrosse de la Reine mère. Mazarin exilé, le peuple était heureux, la France était heureuse, et voilà que la belle image de ce jour mémorable se fendille et s’effrite pour laisser apparaître une bien triste réalité : Monsieur s’est remis à conspirer…

— Cela est inhérent à sa nature ! Même à l’agonie, je vous parie qu’il trouvera un moyen de discuter avec Dieu. Je gage qu’il se débarrassera de ses péchés sur le dos de quelqu’un d’autre : sa femme par exemple qui, en bonne Lorraine, ne cesse de chanter la gloire des ducs de Guise et de leurs droits à la couronne ! Elle est stupide, mais elle en trouve de plus stupides qu’elle pour l’applaudir !

— Oh, je ne gardais pas beaucoup d’illusions sur lui, mais voir ceux que j’aime, à commencer par mon propre frère, ouvrir à l’ennemi les portes du royaume et demander son aide pour le ravager, voilà ce que je ne puis souffrir… et encore moins comprendre  !

— Les hommes sont difficiles à comprendre…

— Et à nous ils ne laissent que des larmes, le jour où leur tête roule sur un échafaud tendu de noir ! Dans notre famille, on finira par en prendre l’habitude… Quant au peuple qui se disposait à adorer le Roi, il a suffi de quelques affiches venimeuses pour qu’il recommence à gronder…

— Cela aussi est dans sa nature ! Savez-vous ce que vous devriez faire au lieu de vous ronger les sangs ? Venir de temps en temps avec moi chez la Reine. Vous savez combien elle aimait notre chère princesse Charlotte, nous en parlons souvent ! Venez donc ! Vous serez surprise !

Deux jours après, Isabelle gravissait les degrés du Palais-Royal encadrée par Mme de Brienne et Marie de Saint-Sauveur, qui, elle aussi, était une habituée et se montrait ravie d’emmener Isabelle.

— Vous verrez ! On y respire un air différent !

Et, de fait, la jeune femme eut peine à cacher sa surprise quand, introduite par Mme de Motteville – qui était la confidente dévouée d’Anne d’Autriche – et tenant la main de Mme de Brienne, elle entendit la Reine lui dire en la relevant de sa révérence :

— Je suis heureuse, duchesse, que vous ayez laissé Mme de Brienne vous amener ici, où vous veniez souvent jadis avec cette chère princesse ! Mais prenez place ! Vous connaissez tout le monde, je pense ?

Non sans surprise, la jeune femme reconnaissait en effet la duchesse de Vendôme née Vaudémont-Lorraine, dont la vie se partageait entre l’amour qu’elle portait à son époux César, fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées – qui d’ailleurs préférait les garçons –, et à son œuvre de rédemption des filles publiques qui la menait parfois dans les plus crasseux bourdeaux. Son César n’avait guère cessé de comploter. Quant à leur fils Beaufort, il était prêt à tout pour effacer Mazarin de la surface de la Terre, mais se contentait d’être l’idole du peuple et refusait l’alliance avec l’Espagne. Il y avait aussi la duchesse de Nemours, sa sœur, dont le sourire charmant fit rougir Isabelle : il n’était pas facile de se retrouver côte à côte avec l’épouse de son amant ! Pourtant Elisabeth se comporta comme si elles étaient amies de longue date… Elle vit aussi… Gondi ! A peine reconnaissable sous les moires cardinalices qu’il portait gonflé d’un orgueil proche de l’arrogance. Il sourit de toutes ses dents en offrant sa bague ornée d’un gros saphir aux lèvres des arrivantes :

— Monseigneur de Gondi ? ne put retenir Isabelle. Mais j’ignorais…

— Ma chère duchesse, sachez que je ne suis plus le même homme ! Ainsi de mon nom ! Je suis à présent le cardinal de Retz et tout au service de Leurs Majestés… et on ne peut plus ravi de vous revoir ! Nous parlions de vous hier encore avec le président Viole !

Dans cette atmosphère élégante et un peu feutrée, Isabelle passa un moment des plus agréables. La Reine se montrait charmante et, en outre, elle découvrit avec stupeur que son antichambre était le meilleur endroit pour se tenir au courant des opérations. Aussi y revint-elle plusieurs fois avec plaisir.

C’est ainsi qu’elle sut que les troupes royales commandées par les maréchaux de Turenne et d’Hocquincourt affrontaient celles des princes dans la région de Montargis. Il y aurait même eu bataille à Bléneau… Des nouvelles qui ne laissèrent pas d’inquiéter la jeune duchesse : son Châtillon en était à deux pas !

Mais elle n’eut même pas le temps d’en apprendre davantage. Le cardinal de Retz, après s’être entretenu un instant avec un de ses secrétaires, annonçait que le duc de Nemours, gravement blessé, avait été transporté à Montargis et réclamait un chirurgien.

Sa femme éclata en sanglots, gémissant et pleurant qu’elle voulait aller le rejoindre tout de suite !

— Dans l’état où elle est, c’est impossible, dit Mme de Brienne. Elle n’aura plus que le souffle en arrivant !

Aussitôt la décision d’Isabelle fut prise :

— Je vais l’emmener, moi. Depuis hier je pensais me rendre à Châtillon dont je n’ai aucune nouvelle. Je déposerai la duchesse à Montargis en passant ! Et quand je serai assurée que ma maison n’a pas subi de dommages, je reviendrai la chercher…

A l’aube du lendemain, le carrosse de voyage de Mme de Châtillon, que menait son cocher assisté de Bastille armé jusqu’aux dents, emmenait Mme de Nemours plus fébrile et larmoyante que la veille, qu’Isabelle s’efforçait de réconforter mais ce n’était pas facile : cette malheureuse adorait visiblement son volage époux et sa compagne ne pouvait se défendre d’un remords en pensant qu’à son dernier passage à Paris, Nemours n’avait sans doute accordé que peu d’instants à sa femme alors qu’il lui avait consacré une nuit entière. Et quelle nuit ! Même si elle s’était terminée par une rupture, elle laissait un souvenir trop brûlant pour qu’Isabelle pût l’effacer de sa mémoire. Dans une autre voiture suivaient Agathe de Ricous, la camériste de Mme de Nemours et le chirurgien que la duchesse de Vendôme envoyait à son gendre.

On fut à Montargis à la tombée de la nuit. La ville s’était transformée en camp retranché, mais l’officier qui veillait à la porte nord accueillit les voyageuses avec beaucoup d’égards et même se montra optimiste. L’état de Nemours, que l’on avait installé au château, n’avait pas empiré. Après quoi il les fit escorter jusqu’au poste de garde où l’on s’occupait d’allumer les feux. Mais à peine y fut-on que la pauvre éplorée parut ressusciter et, oubliant Isabelle, exigea d’être menée sur l’instant à son époux… et seule avec le chirurgien. Isabelle resta dans la salle voisine, où brûlait un bon feu et où M. de Pons, qui les avait reçues, s’occupait d’elle avec empressement après avoir mené Mme de Nemours au chevet du blessé. Il lui proposa du vin chaud pour la réconforter. Ce qu’elle accepta volontiers…

Il venait à peine de s’éclipser quand, à sa stupeur, elle vit Mme de Longueville sortir de la chambre et qui ne cacha pas sa surprise :

— Tiens ? Vous êtes là, vous ? On ne m’en a pas informée !

— Pourquoi l’aurait-on fait ? Commanderiez-vous ici ?