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Et là, je fais ce que je n’aurais jamais pensé faire un jour. Je prends la bouteille de vin rouge qu’on a ouverte hier pour le dîner, et je m’en sers un verre. Puis j’attrape son ordinateur pour m’installer à la table de la cuisine, je l’allume et je commence à essayer de deviner le mot de passe.

C’est ce qu’elle faisait : boire seule et l’espionner. Ce qu’elle faisait et qu’il ne supportait pas. Mais récemment – ce matin, à vrai dire – tout a changé. S’il commence à me mentir, alors je vais commencer à fouiller. Ça me paraît équitable, et j’estime que je mérite de savoir. Alors j’essaie de trouver son mot de passe. J’essaie des noms avec des combinaisons différentes : le mien et le sien, le sien et celui d’Evie, le mien et celui d’Evie, les trois ensemble, à l’endroit, à l’envers. Les dates importantes : nos anniversaires dans tous les sens possibles, la première fois qu’on s’est vus. Trente-quatre, pour la maison de Cranham Road ; vingt-trois, pour celle-ci. J’essaie de me servir de mon imagination – la plupart des hommes prennent le nom de leur équipe de foot favorite en mot de passe, je crois, mais Tom n’est pas vraiment football ; par contre, il suit le cricket. Je tape Boycott, Botham, Ashes1, mais je ne vois pas quoi mettre d’autre. Je vide mon verre et m’en ressers un autre. Au final, je m’amuse bien à essayer de résoudre ma petite énigme. Je réfléchis aux groupes qu’il écoute, aux films qu’il regarde, aux actrices qu’il préfère. Je rentre « motdepasse », « 1234 ».

Un affreux crissement retentit dehors tandis que le train de Londres s’arrête au feu, comme des ongles sur un tableau noir. Je serre les dents et reprends une longue gorgée de vin, et c’est à ce moment-là que je remarque l’heure. Oh là là ! il est presque dix-neuf heures, Evie dort encore et il sera là d’une minute à l’autre, et c’est littéralement à la seconde où je me dis qu’il sera là d’une minute à l’autre que j’entends la clé tourner dans la serrure, et mon cœur s’arrête.

Je referme l’ordinateur d’un coup sec et je bondis sur mes pieds, mais, ce faisant, je fais tomber la chaise avec fracas. Evie se réveille et se met à pleurer. Je repose l’ordinateur sur la table basse avant qu’il soit entré dans la pièce, mais il se doute qu’il se passe quelque chose et me demande :

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

Je réponds :

— Rien, rien, j’ai fait tomber une chaise sans faire exprès.

Il sort Evie de son berceau pour la réconforter et j’aperçois mon reflet dans le miroir de l’entrée : je suis toute pâle et j’ai les lèvres rouge foncé, à cause du vin.

1. Geoffrey Boycott et Ian Botham sont deux joueurs de cricket légendaires en Angleterre. The Ashes (« Les Cendres ») est une série annuelle de cinq matchs disputés entre l’Australie et l’Angleterre. (N.d.T.)

RACHEL

Jeudi 15 août 2013

Matin

Cathy m’a dégoté un entretien d’embauche. Une de ses amies vient de monter sa boîte de relations publiques et elle a besoin d’une assistante. Concrètement, c’est un boulot de secrétaire avec un titre ronflant et la paie est minable, mais ça m’est égal. Cette femme a accepté de me recevoir sans recommandations (Cathy lui a raconté que j’avais fait une dépression nerveuse mais que tout allait mieux maintenant). L’entretien aura lieu demain après-midi, chez elle – elle tient son entreprise dans un bureau de jardin qu’elle a fait installer derrière sa maison –, et il se trouve qu’elle habite à Witney. J’étais censée passer la journée à peaufiner mon CV et à répéter. C’est ce qui était prévu, sauf que Scott m’a téléphoné.

— J’espérais pouvoir discuter, a-t-il commencé.

— Nous n’avons pas… je veux dire, tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit. C’était… nous savons tous les deux que c’était une erreur.

— Je sais, a-t-il dit.

Il avait l’air tellement triste, pas comme le Scott furieux de mes cauchemars, plutôt comme le Scott brisé qui s’était assis sur mon lit et m’avait parlé de son enfant mort.

— Mais j’ai vraiment envie de te parler.

— Bien sûr, ai-je dit. Bien sûr qu’on peut discuter.

— En personne ?

— Oh.

Retourner dans cette maison était la dernière chose dont j’avais envie.

— Je suis désolée, mais ce n’est pas possible aujourd’hui.

— S’il te plaît, Rachel ? C’est important.

Il semblait désespéré et, malgré moi, il me faisait de la peine. J’essayais de trouver une excuse quand il a répété :

— S’il te plaît ?

Alors j’ai dit oui, et je l’ai regretté dès l’instant où le mot a franchi mes lèvres.

Il y a eu un article sur l’enfant de Megan dans les journaux – son premier enfant, celle qui est morte. Enfin, c’était au sujet du père, en réalité. Ils l’ont retrouvé : il s’appelait Craig McKenzie et il est décédé il y a quatre ans d’une overdose d’héroïne en Espagne, ce qui l’exclut de la liste. De toute manière, ça ne m’a jamais semblé une piste très crédible : si quelqu’un avait voulu la punir pour ce qu’elle avait fait à cette époque, cette personne l’aurait fait il y a des années déjà.

Alors qui cela nous laisse-t-il ? Toujours les mêmes : le mari, l’amant. Scott, Kamal. Ou alors un homme venu de nulle part qui l’aurait enlevée en pleine rue, un tueur en série en début de carrière ? Est-ce que Megan n’était que la première d’une série, une Wilma McCann, une Pauline Reade2 ? Et puis, après tout, qui nous dit que l’assassin est forcément un homme ? Megan Hipwell n’était pas bien grande. Menue, un petit oiseau. On n’aurait pas eu besoin de beaucoup de force pour la maîtriser.

Après-midi

La première chose que je remarque lorsqu’il ouvre la porte, c’est l’odeur. La sueur et la bière, un mélange aigre, nauséabond, et, en dessous, quelque chose de pire. Une odeur de moisi. Il porte un pantalon de jogging et un T-shirt gris tout taché, il a les cheveux gras et la peau luisante, comme s’il avait de la fièvre.

— Ça va ? je lui demande.

Il me sourit. Il a bu.

— Oui, entre, entre.

Je n’en ai aucune envie, mais je m’exécute. Les rideaux des fenêtres côté rue sont fermés et cela plonge le salon dans une pénombre rougeâtre qui va avec la chaleur et l’odeur.

Scott se traîne jusqu’à la cuisine, ouvre le frigo et en sort une bière.

— Viens t’asseoir, dit-il. Bois un coup.

Il a un sourire figé, sans joie, macabre. Il y a une touche de cruauté dans son visage. Le mépris que j’y ai vu samedi, après que nous avons couché ensemble, ce mépris est toujours là.

— Je ne peux pas rester longtemps, dis-je. J’ai un entretien d’embauche demain, il faut que je me prépare.

— Ah oui ?

Il lève un sourcil, puis s’assoit et pousse une chaise vers moi d’un coup de pied.

— Assois-toi et bois un coup.

C’est un ordre, pas une invitation. Je m’assois en face de lui et il fait glisser la bouteille de bière devant moi. J’en prends une gorgée. Dehors, j’entends des cris – des enfants qui jouent dans un jardin – et, plus loin, le roulement familier du train.

— Ils ont eu les résultats des tests ADN, m’annonce Scott. L’inspectrice Riley est venue me voir hier soir.

Il attend ma réponse, mais j’ai trop peur de ne pas dire ce qu’il faut, alors je garde le silence.

— Ce n’est pas le mien. Ce n’était pas le mien. Mais, le plus drôle, c’est que ce n’était pas celui de Kamal non plus.

Il rit.

— Alors elle se tapait un troisième type. Tu y crois ?

Il a encore cet horrible sourire.

— Tu ne savais pas, pas vrai ? pour cet autre gars ? Elle ne t’a pas fait de confidences au sujet d’un autre homme, si ?