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Il se retourne vers moi.

— Megan ! Bordel de…

Son visage n’est que fureur, mais il me fait signe d’approcher.

— Viens, me dit-il une fois que je suis près de lui. On ne peut pas discuter ici. J’ai ma voiture juste là.

— Il faut que…

— On ne peut pas discuter ici ! répète-t-il, agacé. Viens.

Il me tire par le bras, puis reprend, plus calmement :

— On va aller dans un endroit calme, d’accord ? Un endroit où on pourra parler.

Tandis que j’entre dans la voiture, je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, dans la direction d’où il est venu. Le passage souterrain est plongé dans l’obscurité, mais j’ai l’impression qu’il y a quelqu’un, dans les ténèbres. Quelqu’un qui nous regarde partir.

RACHEL

Dimanche 18 août 2013

Après-midi

À la seconde où elle l’aperçoit, Anna tourne les talons et se précipite dans la maison. Avec le cœur qui cogne, je la suis prudemment et je m’arrête juste avant la porte coulissante. À l’intérieur, ils s’étreignent, il l’enveloppe de ses bras, l’enfant entre eux. Anna a la tête baissée et les épaules qui tremblent. Il lui embrasse les cheveux mais garde les yeux rivés sur moi.

— Qu’est-ce qui se passe ici ? demande-t-il, un demi-sourire aux lèvres. Je dois dire que je ne m’attendais pas en rentrant à vous trouver toutes les deux en train de papoter dans le jardin.

Il parle d’un ton léger, mais je ne m’y laisse pas prendre. Je ne m’y laisserai plus prendre. J’ouvre la bouche, mais je m’aperçois que je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas par où commencer.

— Rachel ? tu comptes me dire ce qui se passe ?

Il libère Anna de son étreinte et s’avance vers moi. Je fais un pas en arrière et il s’esclaffe.

— Qu’est-ce qui t’arrive, cette fois ? Tu es saoule ?

Malgré sa question, je vois dans ses yeux qu’il sait que je suis sobre et, pour une fois, je parie qu’il préférerait que ce ne soit pas le cas. Je glisse une main dans la poche arrière de mon jean pour toucher mon téléphone – il est là, compact et solide, réconfortant, mais je regrette de ne pas avoir eu le bon sens d’appeler à l’aide plus tôt. Qu’on me croie ou non n’a aucune importance : si j’avais dit à la police que j’étais avec Anna et son enfant, des agents auraient accouru.

Tom n’est plus qu’à quelques dizaines de centimètres de moi – nous sommes chacun d’un côté de la porte, lui dedans et moi dehors.

— Je t’ai vu, dis-je.

Prononcer ces mots à voix haute libère alors en moi une satisfaction éphémère mais réelle.

— Tu crois que je ne me souviens de rien, mais tu as tort. Je t’ai vu. Après que tu m’as frappée, tu m’as abandonnée là, dans le passage souterrain, et…

Il commence à rire mais, désormais, je vois tout, et je me demande comment j’ai pu ne pas réussir à lire si clairement en lui auparavant. C’est de la panique qui est apparue dans ses yeux. Il se tourne vers Anna, mais elle ne croise pas son regard.

— De quoi est-ce que tu parles ?

— Dans le passage souterrain. Le soir où Megan Hipwell a disparu…

— Oh, et puis quoi encore ? m’interrompt-il en agitant la main avec lassitude. Je ne t’ai pas frappée. Tu es tombée.

Il prend la main d’Anna et l’attire vers lui.

— Ma chérie, c’est pour ça que tu es fâchée ? Ne l’écoute pas, elle raconte n’importe quoi. Je ne l’ai pas frappée. Je n’ai jamais levé la main sur elle de toute ma vie.

Il passe un bras autour des épaules d’Anna et l’attire plus près encore.

— Allons. Je t’ai prévenue qu’elle était comme ça. Elle ne sait pas ce qui se passe quand elle boit, alors elle invente la plupart de…

— Tu es monté dans la voiture avec elle. Je vous ai vus partir.

Il sourit toujours, mais sans la moindre conviction désormais, et je ne sais pas si c’est mon imagination, mais il me paraît plus pâle. Il serre Anna moins fort et la libère une nouvelle fois. Elle s’assoit à la table, dos à son mari, avec sa fille qui se tortille sur ses genoux.

Tom passe une main sur sa bouche et s’appuie contre le plan de travail de la cuisine, les bras croisés sur la poitrine.

— Tu m’as vu monter en voiture avec qui ?

— Avec Megan.

— Ah, d’accord !

Il recommence à rire, un rire sonore, forcé.

— La dernière fois qu’on en a discuté, tu m’as dit que tu m’avais vu monter en voiture avec Anna. Maintenant c’est Megan, c’est ça ? Et la semaine prochaine, ce sera qui ? Lady Di ?

Anna lève les yeux vers moi. Sur son visage, le doute laisse place à l’espoir.

— Tu n’en es pas sûre ? me demande-t-elle.

Tom se laisse tomber à genoux à côté d’elle.

— Mais évidemment qu’elle n’en est pas sûre ! Elle a tout inventé, c’est ce qu’elle fait en permanence. Ma chérie, s’il te plaît. Tu ne veux pas monter un moment à l’étage ? Je vais discuter avec Rachel. Et, cette fois…

Il me lance un regard avant de conclure :

— … je te promets que je vais faire en sorte qu’elle ne nous embête plus.

Anna hésite, je le vois bien à sa façon d’étudier le visage de Tom à la recherche de la vérité, tandis qu’il garde les yeux rivés sur elle.

— Anna ! je m’écrie pour essayer de la ramener dans mon camp. Tu sais. Tu sais qu’il ment ! Tu sais qu’il couchait avec elle.

L’espace d’une seconde, personne ne dit rien. Anna passe de Tom à moi puis de moi à Tom. Elle ouvre la bouche, mais aucun mot n’en sort.

— Anna ! de quoi elle parle ? Il… il n’y avait rien entre Megan Hipwell et moi.

— J’ai trouvé le téléphone, Tom, dit-elle d’une voix si étouffée qu’elle en est presque inaudible. Alors arrête, s’il te plaît. Ne mens pas. Ne me mens pas.

La fillette se met à pleurnicher. Très délicatement, Tom la prend des bras d’Anna. Il marche jusqu’à la fenêtre en la berçant et en lui murmurant des paroles que je n’entends pas. La tête baissée, Anna laisse couler ses larmes, qui dégoulinent de son menton pour s’écraser sur la table de la cuisine.

— Où est-il ? demande Tom en se retournant vers nous, sans plus aucune trace d’amusement sur le visage. Le téléphone, Anna. Tu le lui as donné ?

Il se tourne vivement vers moi.

— C’est toi qui l’as ?

— Je ne sais pas de quel téléphone vous parlez, je réponds, tout en regrettant qu’Anna ne l’ait pas mentionné plus tôt.

Tom m’ignore.

— Anna ? est-ce que tu le lui as donné ?

Anna secoue la tête.

— Où est-il ?

— Je l’ai jeté. Par-dessus le grillage. Près de la voie ferrée.

— C’est bien, très bien, commente-t-il distraitement.

Il essaie de comprendre, de trouver le moyen de se sortir de là, et il me jette un regard. Un instant, il semble abattu.

Enfin, il se tourne vers Anna.

— Tu étais tout le temps trop fatiguée, dit-il. Plus rien ne t’intéressait. Il n’y en avait que pour le bébé. Hein, c’est vrai ? Hein, qu’il n’y en avait que pour toi ? Que pour toi !

Et le revoilà maître de la situation, revigoré, qui fait des grimaces à sa fille en lui chatouillant le ventre pour la faire sourire.

— Quant à Megan, elle était tellement… Elle était disponible. Les premières fois, on est allés chez elle. Mais elle était parano, elle avait peur que Scott nous surprenne. Alors on a commencé à se retrouver au Swan. C’était… eh bien, tu te souviens de comment c’était, n’est-ce pas, Anna ? Au début, quand on allait dans la maison de Cranham Road. Tu comprends.

Par-dessus son épaule, il me fait un clin d’œil.

— C’est là qu’Anna et moi on se donnait rendez-vous, à l’époque.

Il déplace sa fille sur son autre bras pour la laisser poser sa tête sur son épaule.

— Tu dois me trouver cruel, mais ce n’est pas ça. Je dis simplement la vérité. C’est ce que tu veux, non, Anna ? Tu m’as demandé de ne pas mentir.

Anna ne relève pas la tête. Elle agrippe le rebord de la table, le corps tendu. Tom pousse un profond soupir.