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Il n'y sera pas question, non plus, du petit bassin d'eau vive, dans le bois renaissant à tous les bruits de l'été.

De Tatiana, il n'avait reçu, durant la guerre, que deux lettres brèves. Elle écrivait à la fin de chacune d'elles: «Mes amies de guerre Lolia et Katia t'envoient un salut chaleureux.» Ces lettres, enveloppées dans un morceau de toile de tente, il les gardait au fond de son sac. De temps en temps il les relisait jusqu'à connaître par cœur leur contenu naïf. Ce qui le réjouissait, c'était d'abord l'écriture elle-même, la vision de ces triangles [5] de papier froissé.

La victoire le trouva en Tchécoslovaquie. Le 2 mai, le drapeau rouge fut planté sur le Reichstag. Le 8 mai, Keitel, l'œil rageur sous le monocle, signa l'acte de capitulation sans conditions de l'Allemagne. Le lendemain, l'air vibra des salves de la Victoire, et l'après-guerre commença.

Cependant le 10 mai, le Héros de l'Union soviétique, le sergent-chef de la Garde Ivan Demidov, cherchait toujours dans son viseur les silhouettes noires des chars et encourageait les soldats en hurlant ses ordres d'une voix cassée. En Tchécoslovaquie, les Allemands ne déposèrent pas les armes avant la fin du mois de mai. Et, comme des balles perdues, des «pokhoronka [6]» volaient vers la Russie qui avait pu croire qu'après le 9 mai personne ne mourrait plus.

Enfin cette guerre s'acheva à son tour.

Deux jours avant la démobilisation, Ivan reçut une lettre. Comme toutes les lettres rédigées à la demande de quelqu'un, elle était un peu sèche et embrouillée. En outre, elle avait mis plus d'un mois à le rejoindre. Il lut qu'en avril Tatiana avait été grièvement blessée, s'était remise de l'opération et se trouvait actuellement à l'hôpital de Lvov.

Ivan scruta longuement le feuillet écrit d'une main hâtive. «Grièvement blessée…», répétait-il, en sentant en lui quelque chose se crisper. «Le bras? La jambe? Pourquoi ne pas s'exprimer clairement?»

Mais à la pitié s'ajoutait un autre sentiment qu'il ne voulait pas s'avouer.

Il avait déjà changé les pièces d'or de cent shillings autrichiens contre des roubles, déjà respiré l'air de cette Europe détruite mais toujours policée et confortable. Sur sa vareuse brillait l'Étoile d'or, scintillait l'émail grenat de deux autres ordres et l'argent bleuté des médailles «Pour la bravoure». Et dans la traversée des villes libérées il sentait sur lui les regards admiratifs des jeunes filles qui lançaient des bouquets sur les chars.

Il rêvait déjà de se retrouver le plus vite possible dans un wagon de marchandises, parmi ses compagnons démobilisés, dans l'odeur aigre du tabac, de regarder par les parois grandes ouvertes la verdure éclatante de l'été, de courir aux arrêts pour chercher l'eau bouillante. Il avait en plus de son sac un petit coffre en bois renforcé par des coins d'acier. Dedans, un coupon d'une lourde étoffe moirée, une demi-douzaine de montres-bracelets trouvées dans une boutique dévastée, et surtout un grand rouleau d'excellent cuir pour faire des bottes. La seule odeur de ce cuir aux fines rayures lui tournait la tête. Et quand on imaginait les bottes crissantes qu'on mettrait pour se promener dans la rue du village en faisant tinter ses décorations… Et justement son camarade de régiment l'invitait à s'installer chez lui, en Ukraine. Mais avant? Ce serait une idée de rendre d'abord visite aux proches restés en vie, avant d'aller chercher fortune dans un endroit neuf. «Là-bas, je pourrais trouver une belle fille, et puis les gens y sont beaucoup plus riches et généreux…»

De nouveau il relisait cette lettre et la même voix lui soufflait: «J'ai promis… j'ai promis… Enfin quoi! On n'est pas marié à l'église! Bien sûr, je me suis un peu trop avancé… mais c'était la situation qui voulait ça! Et maintenant, quoi? il faudrait que je m'engage pour toute la vie? On n'y comprend rien à cette lettre. Que le diable la débrouille! "Grièvement blessée…" qu'est-ce que ça veut dire? En fin de compte, c'est une femme dont j'ai besoin, pas d'une invalide!»

Très profondément en lui perçait une autre voix: «Va donc, eh! Héros! Un minable, oui, un phraseur. Tu étais fichu sans elle. Tu serais en train de pourrir dans une fosse commune, à gauche un Fritz, à droite un Russe…»

Enfin Ivan décida: «Bon! On y va. De toute façon, c'est pratiquement sur mon chemin. Je serai correct, j'irai la voir. Je lui dirai merci une fois de plus. Je lui expliquerai "Voilà, c'est comme ça… "» Et il décida de réfléchir à ce «comme ça» en chemin.

Lorsqu'il entra dans la salle de l'hôpital, il ne la remarqua pas tout de suite. La sachant grièvement blessée, il l'imaginait couchée, pleine de pansements, immobile. Il n'avait pas pensé que la nouvelle remontait à deux mois.

– La voilà, votre Tatiana Averina, dit l'infirmière qui le guidait. Ne restez pas trop longtemps. Le repas est dans une demi-heure. Vous pouvez aller dans le petit jardin.

Tatiana était debout devant la fenêtre, laissant pendre la main dans laquelle elle tenait un livre.

– Bonjour, Tatiana, dit-il d'une voix un peu trop enjouée, en lui tendant la main.

Elle ne bougea pas. Puis posant le livre sur le rebord de la fenêtre, elle lui donna maladroitement la main gauche. Son bras droit était bandé. De tous les lits, des regards curieux les fixaient. Ils descendirent dans le petit jardin poussiéreux et s'assirent sur un banc à la peinture écaillée.

– Alors, ta santé? Comment vas-tu? Raconte, dit-il de la même voix trop joyeuse.

– Qu'est-ce que je peux te raconter? Tu vois. Juste à la fin, j'ai été touchée.

– Quoi, touchée, touchée… Tout cela ce n'est rien du tout. Et cette infirmière qui parlait d'une blessure grave! Moi je pensais que…

Il perdit contenance et se tut. Elle lui jeta un regard soutenu.

– J'ai un éclat sous la cinquième côte, Vania. Ils n'osent pas y toucher. Le médecin dit que cet éclat, c'est peu de chose – une pointe de cordonnier. Mais si on commence à trifouiller, ça risque d'être pire. Si on n'y touche pas, il restera peut-être tranquille.

Ivan sembla vouloir dire quelque chose, poussa seulement un soupir et commença à rouler une cigarette.

– Voilà… On peut donc dire que je suis une invalide. Le médecin m'a avertie: je ne pourrai plus rien soulever de lourd. Et plus question d'avoir des enfants…

Puis se rattrapant de peur qu'il y voie une allusion, elle parla très vite:

– J'ai le sein gauche tout couturé. Ce n'est pas beau à voir. Et à la main droite, j'ai trois doigts en moins.

Les lèvres serrées, il chassa la fumée de sa cigarette. Tous deux se taisaient. Enfin, ce qu'elle avait longuement mûri pendant de longues journées de convalescence, elle le laissa tomber avec un soulagement amer:

– Voilà, Ivan, c'est ainsi… Merci d'être venu. Mais ce qui est passé est passé. Quelle femme serais-je pour toi, maintenant? Tu en trouveras une en bonne santé. Parce que moi… Je n'ai même plus le droit de pleurer. Le médecin me l'a dit carrément, pour moi, les émotions, c'est encore pire que de porter trop lourd – le clou pique et le cœur est fichu…

Ivan la regardait du coin de l'œil. Elle était assise, tête baissée, sans détacher son regard du sable gris de l'allée. Son visage semblait si serein… Seule une petite veine bleutée battait sur sa tempe, à la naissance des cheveux coupés court. Ses traits s'étaient affinés et comme éclairés. Tellement différente des filles éclatantes aux joues roses qui jetaient des bouquets sur les chars.

«Elle est belle, pensa Ivan. Si ce n'est pas malheureux!»

– Mais non! Tu as tort de le prendre comme Ça! reprit-il. Qu'est-ce que tu as à te décourager? Tu vas te rétablir. Une belle robe, et des fiancés tu en trouveras autant que tu en voudras!

Elle lui jeta un regard rapide, se leva et lui tendit la main.

– Eh bien, Vania, c'est l'heure du repas. Encore une fois, merci d'être venu…

Il franchit les grilles de l'hôpital, descendit une rue, puis brusquement rebroussa chemin. «Je vais lui laisser mon adresse, pensa-t-il. Qu'elle puisse m'écrire. Ça sera moins dur pour elle.»

Il pénétra dans l'hôpital et commença à monter l'escalier.

– Vous avez oublié quelque chose? lui lança gentiment la gardienne.

– Oui, c'est ça, j'ai oublié quelque chose.

Tatiana n'était pas dans la salle, à la cantine non plus. Il voulut redescendre pour demander à la gardienne. Mais à ce moment-là, dans un recoin, derrière un pilier, il reconnut sa robe de chambre.

Elle pleurait silencieusement, par crainte de l'écho entre les étages. Derrière le pilier, une fenêtre étroite donnait sur le petit jardin et les grilles de l'hôpital. Il s'approcha, la prit par les épaules et dit d'une voix altérée:

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[5] La correspondance de guerre était pliée en forme de triangle.

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[6] Avis de décès venant du front.