Il essaya de se débarrasser de son malaise en écoutant des disques. Ne tenant pas en place, il chercha quelque chose à lire sur les étagères de Lundin. Malheureusement, la veine intellectuelle de Lundin laissait pas mal à désirer, et il dut se contenter d'une collection de vieilles revues de moto, de magazines pour hommes et de polars malmenés du genre qui ne l'avait jamais fasciné. Son isolement tourna de plus en plus à la claustrophobie. Il passa un moment à nettoyer et à huiler l'arme à feu qu'il gardait dans son sac, ce qui eut pour effet de le calmer temporairement.
Finalement, incapable de rester davantage dans la maison, il sortit faire un petit tour dehors dans la cour pour prendre l'air. Il resta hors de vue des voisins, mais s'arrêta de façon à pouvoir voir les fenêtres éclairées où il y avait des gens. En restant complètement immobile, il pouvait entendre de la musique au loin.
Quand il s'apprêta à rentrer dans la baraque de Lundin, son malaise était terrifiant et il resta longuement sur le perron, son cœur battant la chamade, avant de se secouer et d'ouvrir résolument la porte.
A 19 heures, il descendit dans le séjour et alluma la télé pour regarder les informations sur Tv4. Stupéfait, il écouta les titres puis la description des incidents à la maison de campagne à Stallarholmen. C'était le premier sujet du journal.
Il grimpa l'escalier quatre à quatre jusqu'à la chambre d'amis à l'étage et fourra ses affaires dans un sac. Deux minutes plus tard, il sortit par la porte et démarra en trombe la Volvo blanche.
Il était parti au dernier moment. A un kilomètre seulement de Svavelsjö, il croisa deux voitures de police, les gyrophares bleus allumés, qui entraient dans le village.
APRÈS BIEN DES EFFORTS, Mikael Blomkvist put rencontrer Holger Palmgren vers 18 heures le mercredi. Des efforts parce qu'il lui avait fallu convaincre le personnel de le laisser entrer. Il insista avec tant de vigueur qu'une infirmière appela un certain Dr A. Sivarnandan, qui habitait apparemment tout près de la maison de santé. Sivarnandan arriva au bout d'un quart d'heure et prit en main le problème de ce journaliste tenace. Pour commencer, il fut intraitable. Au cours des deux dernières semaines, plusieurs journalistes avaient réussi à localiser Holger Palmgren et avaient déployé des méthodes quasi désespérées pour obtenir un commentaire. Holger Palmgren lui-même s'était obstiné à refuser de telles visites et le personnel avait reçu l'ordre de ne laisser entrer personne.
Sivarnandan avait aussi suivi l'évolution avec une grande inquiétude. Il était effaré des titres qu'avait causés Lisbeth Salander dans les médias et il avait noté que son patient avait sombré dans une profonde dépression qui selon lui découlait de l'incapacité de Palmgren d'agir en quoi que ce soit. Il avait interrompu sa rééducation et passait ses journées à lire les journaux et à suivre la chasse à Lisbeth Salander à la télé. Le reste du temps, il ruminait dans sa chambre.
Mikael resta avec obstination devant le bureau du Dr Sivarnandan et expliqua qu'il n'avait aucunement l'intention d'exposer Holger Palmgren à quoi que ce soit de désagréable, et que son but n'était pas d'obtenir un commentaire. Il expliqua qu'il était un ami de Lisbeth Salander, qu'il mettait en doute sa culpabilité et qu'il cherchait désespérément des informations qui pourraient jeter une lumière sur certains détails dans son passé.
Le Dr Sivarnandan ne se laissait pas facilement séduire. Mikael fut obligé de s'asseoir et d'expliquer longuement son rôle dans le drame. Sivarnandan ne céda qu'au bout de plus d'une demi-heure de discussion. Il demanda à Mikael d'attendre qu'il monte dans la chambre de Holger Palmgren lui demander s'il acceptait de le recevoir.
Sivarnandan revint au bout de dix minutes.
— Il accepte de vous voir. Si vous ne lui plaisez pas, il vous jettera dehors. Vous n'avez pas le droit de l'interviewer ni de parler de cette visite dans les médias.
— Je vous assure que je n'écrirai pas une ligne là-dessus.
Holger Palmgren avait une petite chambre avec un lit, une commode, une table et quelques chaises. L'homme était un épouvantail maigre aux cheveux blancs, avec des problèmes d'équilibre manifestes, mais il se leva quand même quand Mikael entra. Il ne tendit pas la main, mais indiqua une des chaises à côté de la petite table. Mikael s'assit. Sivarnandan resta dans la chambre. Au début, Mikael eut du mal à comprendre les paroles bafouillées par Holger Palmgren.
— Qui êtes-vous pour vous dire l'ami de Lisbeth Salander et qu'est-ce que vous voulez ?
Mikael se pencha en arrière. Il réfléchit un court moment.
— Holger, vous n'êtes pas obligé de me parler. Mais je vous demande d'écouter ce que j'ai à dire avant de décider de me mettre à la porte.
Palmgren hocha brièvement la tête et se traîna jusqu'à la chaise en face de Mikael.
— J'ai rencontré Lisbeth Salander la première fois il y a environ deux ans. Je l'ai engagée pour faire une recherche pour moi sur un sujet que je préfère ne pas aborder ni évoquer. Elle est venue me voir dans un lieu où je vivais temporairement et nous avons travaillé ensemble pendant plusieurs semaines.
Il se demanda jusqu'à quel point il devait expliquer à Palmgren. Il décida de rester aussi proche de la vérité que possible.
— En cours de route, deux choses se sont passées. L'une est que Lisbeth m'a sauvé la vie. L'autre est que nous avons été très proches pendant une période. J'ai appris à la connaître et je l'aimais énormément.
Sans entrer dans le détail, Mikael parla de sa relation avec Lisbeth et de la fin brutale de celle-ci après les fêtes de Noël un an auparavant quand Lisbeth était partie à l'étranger.
Ensuite il parla de son travail à Millenium et des meurtres de Dag Svensson et de Mia Bergman, et il expliqua comment il avait soudain été mêlé à la chasse à un meurtrier.
— J'ai compris que vous avez été importuné par des journalistes ces derniers temps et que les journaux ont publié des bêtises à n'en plus finir. Tout ce que je peux faire maintenant, c'est vous assurer que je ne suis pas ici pour obtenir du matériel pour un énième article. Je suis probablement l'une des très rares personnes de ce pays en ce moment qui sans hésitation et sans arrière-pensées sont dans le camp de Lisbeth. Je crois qu'elle est innocente. Je crois que c'est un homme qui s'appelle Zalachenko qui est derrière les meurtres.
Mikael fit une pause. Quelque chose avait scintillé dans les yeux de Palmgren quand il avait prononcé le nom de Zalachenko.
— Si vous pouvez contribuer avec quoi que ce soit qui pourrait éclairer son passé, alors c'est le moment. Si vous ne voulez pas l'aider, alors je gaspille mon temps, et je saurai aussi quelle est votre position.
Holger Palmgren n'avait pas dit un mot pendant son discours. Au dernier commentaire, il y eut de nouveau un scintillement dans ses yeux. Mais il sourit. Il parla aussi lentement et distinctement qu'il put.