— Et tu n'as évidemment pas raconté ça à la police, dit-il.
— Non. Pas exactement.
— Officiellement tu ne me l'as pas raconté non plus. Mais elle s'y connaît assez bien en informatique.
Tu es loin d'imaginer à quel point.
— J'ai une grande confiance en sa capacité de retomber sur ses pieds. Elle vit peut-être chichement, mais c'est une battante.
Pas tout à fait chichement. Elle a volé près de 3 milliards de couronnes. Elle ne crèvera pas de faim. Tout comme Fifi Brindacier, elle a un coffre plein de pièces d'or.
— Ce que je ne comprends pas, dit Mikael, c'est pourquoi tu n'as pas agi pendant toutes ces années.
Holger Palmgren soupira de nouveau. Il se sentit incommensurablement triste.
— J'ai échoué, dit-il. Quand j'ai été désigné comme son administrateur ad hoc, elle n'était qu'une parmi toute une flopée de jeunes à problèmes. J'en ai eu à la douzaine. C'est Bengt Brådhensjö qui m'a confié cette mission quand il était chef des services sociaux. Lisbeth se trouvait déjà à Sankt Stefan à cette époque et je ne l'ai même pas rencontrée durant la première année. J'ai parlé avec Teleborian une paire de fois et il a expliqué qu'elle était psychotique et qu'elle recevait tous les soins qu'on pouvait imaginer. Je l'ai cru, naturellement. Mais j'ai aussi parlé avec Jonas Beringer, qui à l'époque était chef de service. Je ne pense pas qu'il soit mêlé en quoi que ce soit à cette histoire. Il a fait une évaluation à ma demande et on s'est mis d'accord pour essayer de la réintroduire dans la société via une famille d'accueil. Elle avait quinze ans.
— Et tu as été derrière elle depuis, tout au long des années ?
— Pas suffisamment. Je me suis battu pour elle après l'épisode dans le métro. J'avais appris à la connaître et je l'aimais beaucoup. Elle avait du caractère. J'ai réussi à éviter qu'elle ne soit internée. Le compromis qu'on a trouvé avec les autorités était qu'elle soit déclarée incapable et que je devienne son tuteur.
— On ne peut tout de même pas envisager que Björck ait pu déterminer ce que le tribunal devait décider. Cela aurait attiré l'attention. Il voulait qu'elle soit enfermée et, pour arriver à ses fins, il a tenté de dresser un portrait d'elle bien noir à travers des appréciations psychiatriques, entre autres grâce à Teleborian, en espérant que le tribunal prenne la décision logique. Au lieu de quoi ils ont adopté ton point de vue.
— Je n'ai jamais estimé qu'elle devait être placée sous tutelle. Mais pour être absolument franc, je dois avouer que je ne me suis pas beaucoup remué pour lever la décision. J'aurais dû agir plus vigoureusement et plus tôt. Mais j'aimais beaucoup Lisbeth et... je remettais ça tout le temps à plus tard. J'avais trop d'affaires sur les bras. Et ensuite je suis tombé malade.
Mikael hocha la tête.
— Je ne trouve pas qu'il y ait de quoi te faire des reproches. Tu es une des rares personnes à l'avoir soutenue au fil des ans.
— Mais le problème a tout le temps été que je ne savais pas que je devais intervenir. Lisbeth était ma cliente, mais elle n'a jamais mentionné Zalachenko. Quand elle est sortie de Sankt Stefan, il a fallu plusieurs années pour qu'elle me témoigne des bribes de confiance. Ce n'est qu'après le procès que j'ai senti qu'elle commençait lentement à communiquer avec moi autrement que pour des formalités nécessaires.
— Comment ça se fait qu'elle ait commencé à parler de Zalachenko ?
— Je suppose que malgré tout elle avait commencé à me faire confiance. De plus, j'avais plusieurs fois commencé à discuter de la possibilité de faire lever la tutelle. Elle a réfléchi là-dessus pendant quelques mois. Ensuite elle a appelé un jour pour me rencontrer. Elle avait fini de réfléchir. Et elle a raconté toute l'histoire de Zalachenko et son interprétation de ce qui s'était passé.
— Je vois.
— Alors tu vois peut-être aussi que pour moi c'était un gros morceau à digérer. C'est alors que je me suis mis à fouiller dans l'histoire. Et je n'ai même pas trouvé Zalachenko dans un registre suédois. Par moments, c'était difficile de savoir si elle inventait ou pas.
— Quand tu as eu ton attaque, Bjurman est devenu son tuteur. Ça n'était certainement pas un hasard.
— Non. Je ne sais pas si un jour on pourra le prouver, mais je me dis que si on creuse suffisamment profond, on trouvera... l'individu quel qu'il soit qui a succédé à Björck et qui supervise le ménage derrière l'affaire Zalachenko.
— Je n'ai aucun problème pour comprendre le refus total de Lisbeth de parler avec des psychologues ou des autorités, dit Mikael. Chaque fois qu'elle a essayé, ça n'a fait qu'empirer les choses. Elle a essayé d'expliquer ce qui s'était passé à des dizaines d'adultes et personne ne l'a écoutée. Toute seule, elle a essayé de sauver la vie de sa mère et de la défendre contre un psychopathe. Elle a fini par faire la seule chose qu'elle pouvait faire. Et au lieu de s'entendre dire « Tu as bien fait » et « Tu es une bonne petite », elle a été enfermée à l'asile de fous.
— Ce n'est pas aussi simple que ça. J'espère que tu comprends bien que Lisbeth a quelque chose qui cloche, dit Palmgren sévèrement.
— Qu'est-ce que tu entends par là ?
— Tu dois savoir qu'elle a eu pas mal de problèmes au cours de sa jeunesse, des difficultés à l'école et tout ça.
— Tous les journaux ont ressassé ça. Moi aussi, j'aurais sans doute eu une scolarité difficile si j'avais eu son enfance.
— Les problèmes de Lisbeth dépassent de loin les problèmes qu'il y avait dans son milieu familial. J'ai lu toutes les évaluations psychiatriques sur elle et il n'y a même pas de diagnostic. Mais je crois qu'on peut être d'accord pour dire que Lisbeth Salander n'est pas comme les gens normaux. Est-ce que tu as jamais joué aux échecs avec elle ?
— Non.
— Elle a une mémoire photographique.
— Je le sais. Je l'ai compris à force de la fréquenter.
— D'accord. Elle adore les énigmes. Une fois, quand elle est venue me voir pour Noël, je lui ai donné à résoudre quelques problèmes d'un test d'intelligence de Mensa. C'était un test du genre où on vous montre cinq symboles similaires et on doit déterminer comment doit être le sixième.
— Ah oui.
— J'avais moi-même essayé de faire ce test et j'avais eu environ la moitié juste. Et j'ai bûché pendant deux soirs là-dessus. Elle a jeté un regard sur le papier et répondu correctement à toutes les questions.
— D'accord, dit Mikael. Lisbeth est une fille très spéciale.
— Elle a énormément de mal à communiquer avec autrui. J'ai avancé une forme du syndrome d'Asperger ou quelque chose comme ça. Si tu lis les descriptions cliniques des patients atteints du syndrome d'Asperger, il y a certaines choses qui collent parfaitement avec Lisbeth, mais il y en a autant qui ne collent pas du tout.
Il se tut un bref instant.
— Elle n'est absolument pas dangereuse pour ceux qui la laissent tranquille et la traitent avec respect.