Elle avait essayé de tuer Zalachenko en 1991. Maintenant celui-ci venait de riposter, des années plus tard.
Holger Palmgren avait fait une analyse correcte de Lisbeth Salander. Elle avait acquis une expérience pratique solide de l'inutilité de parler avec les autorités.
Mikael jeta un coup d'œil sur la sacoche de son ordinateur. Il avait emporté le Colt trouvé dans le tiroir de Lisbeth. Il ne savait pas très bien pourquoi il avait pris l'arme, mais son instinct lui disait de ne pas la laisser dans l'appartement. Il reconnaissait que ce n'était pas un raisonnement très logique.
Le train passait sur le pont d'Årsta quand il ouvrit son portable et appela Bublanski.
— Qu'est-ce que tu veux ? demanda Bublanski irrité.
— Terminer, dit Mikael.
— Terminer quoi ?
— Tout ce merdier. Est-ce que tu veux savoir qui a tué Dag et Mia et Bjurman ?
— Si tu détiens des informations, j'aimerais les connaître.
— Le tueur s'appelle Ronald Niedermann. C'est ce géant blond qui s'est battu avec Paolo Roberto. Il est citoyen allemand, il a trente-cinq ans et il travaille pour un salopard qui s'appelle Alexander Zalachenko, également connu sous le nom de Zala.
Bublanski resta sans rien dire un long moment. Ensuite il soupira bruyamment. Mikael entendit un bruit de papier, puis le cliquetis d'un stylo à bille.
— Et tu es sûr de tout ça ?
— Oui.
— Bon. Et où se trouvent Niedermann et ce Zalachenko ?
— Je ne le sais pas encore. Mais dès que je le trouve, je te le dirai. D'ici peu, Erika Berger va te faire parvenir un rapport de police datant de 1991. Dès qu'elle en aura fait une copie. Tu y trouveras toutes sortes d'informations sur Zalachenko et Lisbeth Salander.
— Comment ça ?
— Zalachenko est le père de Lisbeth. C'est un barbouze russe dissident de la guerre froide, un assassin.
— Un barbouze russe ! répéta Bublanski, la voix remplie de doute.
— Un petit clan à la Säpo l'a couvert et a occulté chacun de ses crimes.
Mikael entendit Bublanski tirer une chaise pour s'asseoir.
— Je crois qu'il vaut mieux que tu passes déposer un témoignage formel.
— Désolé. Je n'ai pas le temps.
— Pardon ?
— Je ne me trouve pas à Stockholm en ce moment. Mais je te fais signe dès que j'ai trouvé Zalachenko.
— Blomkvist... Tu n'as pas besoin de prouver quoi que ce soit. Moi aussi je doute de la culpabilité de Salander.
— Puis-je te rappeler que je ne suis qu'un simple investigateur privé qui ne connaît rien au travail de la police ?
Il savait que c'était puéril, mais il coupa la conversation sans autre forme de procès. Ensuite il appela Annika Giannini.
— Salut frangine.
— Salut. Du nouveau ?
— On peut le dire. Je vais sans doute avoir besoin d'un bon avocat demain.
Elle soupira.
— Qu'est-ce que tu as fait ?
— Rien de grave encore, mais je pourrais être arrêté pour entrave à enquête de police ou un truc comme ça. Mais ce n'est pas pour ça que je t'appelle. Tu ne pourras pas me représenter.
— Pourquoi pas ?
— Parce que je veux que tu te charges de la défense de Lisbeth Salander et tu ne peux pas nous défendre tous les deux.
Mikael raconta brièvement de quoi il retournait. Annika Giannini garda un silence funeste.
— Et tu as des documents pour étayer ça..., finit-elle par dire.
— Oui.
— Il faut que j'y réfléchisse. Lisbeth a besoin d'un avocat d'assises...
— Tu seras parfaite.
— Mikael...
— Dis-moi, frangine, ce n'était pas toi qui m'en voulais parce que je n'avais pas demandé de l'aide quand j'en avais besoin ?
Leur conversation terminée, Mikael réfléchit un moment. Puis il prit le téléphone et appela Holger Palmgren. Il n'avait aucune raison particulière pour le faire, mais il estimait que le vieil homme dans son centre de rééducation devait malgré tout être informé des pistes que Mikael suivait et de son espoir que l'histoire serait terminée dans les heures à venir.
Le problème était évidemment que Lisbeth Salander aussi suivait des pistes.
LISBETH SALANDER SE PENCHA pour attraper une pomme dans son sac à dos, sans quitter la ferme du regard. Elle était étendue en bordure d'un bosquet, sur le tapis de sol de la Corolla en guise de protection. Elle s'était changée et portait un pantalon vert en grosse toile avec des poches sur les jambes, un pull épais et une courte veste chaude doublée.
Le lieu-dit Gosseberga était situé à environ quatre cents mètres de la route départementale et comportait deux groupes de bâtiments. Le principal se trouvait à environ cent vingt mètres devant elle. C'était une maison en bois ordinaire, peinte en blanc et avec un étage. Il y avait une remise et une étable soixante-dix mètres plus loin. Le portail de l'étable encadrait l'avant d'une voiture blanche. Elle aurait parié pour une Volvo, mais la distance était trop grande pour qu'elle soit entièrement sûre.
A sa droite, entre elle et la maison d'habitation, un champ s'étendait sur un peu plus de deux cents mètres jusqu'à une petite mare. Le chemin d'accès coupait le champ en deux et disparaissait dans une partie boisée en direction de la route. A l'entrée de la propriété se trouvait un autre bâtiment qui avait tout d'une fermette abandonnée ; les fenêtres étaient couvertes de tissus clairs. Au nord de ce bâtiment, une partie boisée servait d'écran du côté du voisin le plus proche, un groupe de maisons près de six cents mètres plus loin. La ferme devant elle était donc relativement isolée.
Elle se trouvait à proximité du lac Anten, dans un paysage vallonné où les champs étaient interrompus par de petits villages et des zones de forêt dense. La carte routière ne donnait aucune information détaillée sur le secteur, mais elle avait suivi la Renault noire de Göteborg sur l'E20 et tourné vers l'ouest et Sollebrunn à Alingsås. Trois quarts d'heure plus tard environ, la voiture avait subitement bifurqué sur une piste forestière avec un panneau indiquant Gosseberga. Elle s'était garée derrière une grange dans un bosquet à une centaine de mètres au nord de la bifurcation et était revenue à pied.
Elle n'avait jamais entendu parler de Gosseberga, mais autant qu'elle pouvait en juger, le nom s'appliquait à la maison d'habitation et à Pétable devant elle. Elle était passée devant la boîte aux lettres installée au bord de la route. La plaque indiquait 612 — K. A. Bodin. Le nom ne lui évoquait rien.
Elle avait décrit un demi-cercle autour du bâtiment pour choisir son point d'observation avec soin. Elle avait le soleil du soir dans le dos. Depuis son arrivée vers 15 h 30, il ne s'était pratiquement passé qu'une seule chose. A 16 heures, le conducteur de la Renault était sorti de la maison. A la porte, il avait échangé quelques mots avec une personne qu'elle n'avait pas pu voir. Puis il était parti au volant de la voiture et n'était pas revenu. Pour le reste, rien n'avait bougé dans la ferme. Elle attendit patiemment et contempla le bâtiment à travers de petites jumelles Minolta à grossissement 8.
IRRITÉ, MIKAEL BLOMKVIST tambourina avec les doigts sur la table dans le wagon-restaurant. Le X2000 était immobilisé à Katrineholm. Le train était arrêté depuis bientôt une heure avec un problème technique mystérieux qu'il fallait réparer, au dire des haut-parleurs. La compagnie présentait ses excuses pour le retard.