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— Et tu peux le prouver ?

— Ce n'est pas un secret. Le sujet est même loin d'être nouveau. Ce qui est nouveau, par contre, c'est que nous avons interrogé une douzaine de Lilya 4-ever. Pour la plupart, ce sont des filles de quinze à vingt ans, elles croupissent dans la misère sociale des pays de l'Est et on les fait venir ici en leur faisant miroiter diverses promesses de boulot, mais au bout du compte elles se retrouvent entre les mains d'une mafia du sexe totalement dénuée de scrupules. Certaines des expériences qu'ont eues ces filles-là font paraître Lilya 4-ever comme un divertissement familial. Et je ne dis pas ça pour dévaloriser le film de Moodysson — il est excellent. Ce que je veux dire, c'est que ces filles ont vécu des trucs qu'on ne peut simplement pas décrire dans un film.

— D'accord.

— C'est pour ainsi dire le noyau de la thèse de Mia. Mais pas de mon livre.

Un silence s'était installé autour de la table.

— Pendant que Mia interviewait les filles, de mon côté j'ai établi une cartographie des fournisseurs et de la clientèle.

Mikael n'avait jamais rencontré Dag Svensson auparavant, mais il sentit soudain que le gars était exactement le type de journaliste qu'il appréciait, de ceux qui savaient s'en tenir à l'essentiel. Pour Mikael, la règle d'or journalistique était qu'il existe toujours un responsable. Le méchant.

— Et tu as trouvé des faits intéressants ?

— Oui, je suis en mesure de prouver qu'un fonctionnaire au ministère de la Justice, qui a travaillé à l'élaboration de la loi sur le commerce du sexe, a exploité au moins deux filles qui sont arrivées ici par les soins de la mafia du sexe. L'une des filles avait quinze ans.

— Waouh !

— Je travaille sur cette histoire depuis trois ans. Le livre va présenter des études d'exemples de michetons. J'ai au moins trois flics, dont un travaille à la Säpo[1] et un aux Mœurs. J'ai cinq avocats, un procureur et un juge. J'épingle aussi trois journalistes dont un a écrit plusieurs textes sur le commerce du sexe. Dans le privé, il s'adonne à des délires de viol avec une prostituée adolescente de Tallinn... et dans ce cas il ne s'agit pas précisément de goût sexuel partagé. J'ai l'intention de donner les noms. Ma documentation est en béton.

Mikael Blomkvist sifflota. Puis il cessa de sourire.

— Comme je suis redevenu gérant responsable de la publication, je tiens à examiner la documentation à la loupe, dit-il. La dernière fois que j'ai négligé de contrôler mes sources, je me suis ramassé trois mois de taule.

— Si vous acceptez de publier mon histoire, je te donnerai toute la documentation que tu voudras. Mais je pose une condition à la vente du sujet à Millenium.

— Dag veut qu'on publie aussi le livre, dit Erika Berger.

— Effectivement — je veux que le livre soit publié. Je veux qu'il arrive comme une bombe, et pour l'instant Millenium est le journal le plus crédible et le plus impertinent de la ville. Je vois mal d'autres maisons d'édition oser publier un livre comme celui-ci.

— Donc, pas de livre, pas d'article, résuma Mikael.

— Pour ma part, je trouve que ça colle, dit Malou Eriksson.

— L'article et le livre sont deux choses distinctes. Dans le cas de l'article dans la revue, c'est Mikael le responsable de la publication. En ce qui concerne le livre, c'est l'auteur qui est le responsable.

— Je sais, dit Dag Svensson. Ça ne m'inquiète pas. Au moment même de la publication du livre, Mia portera plainte contre tous ceux que je nomme.

— Ça va faire du boucan, dit Henry Cortez.

— Ce n'est que la moitié de l'histoire, dit Dag Svensson. Je me suis aussi penché sur l'étude des réseaux qui se font du fric avec ce commerce. Parce qu'il est bien question de criminalité organisée.

— Et tu trouves qui ?

— C'est là que ça devient particulièrement tragique. La mafia du sexe n'est qu'une bande sordide d'individus minables. Je ne sais pas trop à quoi je m'attendais en commençant cette recherche mais quelque part on nous a fait croire — ou on m'a fait croire en tout cas — que la « mafia » est une bande de gens chic au sommet de la société, qui roulent en voitures de luxe. Je suppose que certains films américains traitant du sujet ont contribué à élaborer cette image. Ton sujet sur Wennerström — Dag jeta un coup d'œil sur Mikael — a bien montré que ça peut être le cas. Mais Wennerström faisait partie des exceptions. Ce que j'ai trouvé, c'est un ramassis de crétins brutaux et sadiques qui savent à peine lire et écrire, et qui sont de parfaits imbéciles quand il s'agit d'organisation et de stratégie. Ces mecs travaillent en liaison avec des groupes de bikers et autres cercles un peu mieux structurés, mais globalement c'est un troupeau d'ânes qui mène le commerce du sexe.

— Ça ressort nettement de ton article, dit Erika Berger. Nous avons des lois, un corps de police et une justice financés par des millions de couronnes sortis de la poche du contribuable et censés s'occuper de cette délinquance lucrative… et ils n'arrivent pas à coincer une bande d'imbéciles.

— Tout le commerce du sexe n'est qu'une seule grande violation des droits humains, et les filles concernées se trouvent tellement bas sur l'échelle sociale que juridiquement elles ne présentent aucun intérêt. Elles ne votent pas. A part le vocabulaire nécessaire pour conclure une affaire, elles parlent à peine le suédois. 99,99 % de tous les crimes liés au commerce du sexe ne sont jamais signalés à la police et parviennent encore moins devant les tribunaux. C'est probablement le plus gros iceberg dans le paysage de la criminalité suédoise. Imaginez que les hold-up soient traités avec autant de nonchalance, et que seule une partie microscopique soit poursuivie. J'en conclus que l'activité ne pourrait pas durer un jour de plus si la réalité n'était pas tout simplement que la justice ne tient pas à y mettre un terme. Les abus sexuels sur des adolescentes de Tallinn et de Riga ne sont tout simplement pas une question prioritaire. Une pute est une pute. Ça fait partie du système.

— Oui, triste réalité, dit Monika Nilsson.

— Alors, qu'est-ce que vous en dites ? demanda Erika Berger.

— L'idée me plaît, dit Mikael Blomkvist. On va se mouiller avec ce sujet, mais c'était le but quand on a démarré Millenium il y a un certain nombre d'années.

— C'est pour ça que je travaille encore ici. Le gérant est bon pour un saut périlleux de temps en temps, dit Monika Nilsson.

Tout le monde rit, sauf Mikael.

— Oui, Mikael était bien le seul à être assez bête pour devenir responsable de la publication, dit Erika Berger. On prend ce sujet pour mai. Et ton livre sortira dans la foulée.

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1

L'équivalent de la DST en Suède. (N.d.T.)