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— Je vais te faire conduire dans une cellote plus confortable, décidé-je.

Il se rembrunit, ce qui est un exploit, vu la teinte de ses crins.

— Parce que vous me conservez au mitard ?

— Ben alors, qu’est-ce que tu croyais, bonhomme ? Qu’on allait te faire reconduire chez toi dans une voiture de maître ?

— Si vous me bouclez, je veux un bavard !

— Demain on prendra les dispositions. Il est très tard, tu sais. Même les vrais barbeaux font dodo.

Je le fais driver à l’étage supérieur, dans la cage à poule. Là, au moins, il y a de la lumière, de la chaleur et un banc pour s’allonger.

— T’auras qu’à dire ce que tu prends au petit déjeuner, plaisanté-je, on est à ta disposition.

Mathias rentre avec des flocons de neige dans ses crins incandescents. On s’étonne que sa tignasse rousse ne les fasse pas fondre aussitôt.

— Saloperie de temps, rouspète-t-il. Le froid a cessé d’un seul coup et voilà qu’il s’est mis à en tomber des paquets !

— Comment va Pâquerette ?

— Pas mal. Il a repris connaissance à l’hosto et j’ai pu enregistrer une première déclaration.

Mathias s’ébroue, pose son imper doublé et tire de ses profondes un petit carnet à brochure spirale.

Il parcourt ses notes de son regard d’aigle.

— Voilà. Pâquerette surveillait l’autre voiture depuis la sienne. À un moment donné, il a vu une silhouette sortir d’un fourré. Il est formel, l’assassin n’était pas en auto, s’il en avait une il l’avait laissée autre part.

J’interromps Mathias.

— Lui as-tu demandé s’il avait remarqué une bagnole en train de draguer dans l’allée avant l’apparition du meurtrier ?

— Oui. Il m’a répondu qu’il y avait beaucoup d’autos rôdeuses dans ce coin. C’était l’heure des partouses. Il n’en a pas remarqué une spécialement.

— Continue.

— L’homme en question s’est approché une première fois de la 203 et a jeté un regard à l’intérieur.

« Il s’est éloigné, et Pâquerette a cru qu’il partait pour de bon. Mais quelques secondes plus tard, l’homme est revenu sur ses pas. Il a regardé autour de lui, puis, d’un bond il a ouvert la portière et s’est penché dans l’auto, sans y monter pourtant. »

Il raconte bien, le gars Mathias. Je parie qu’il devait avoir de bonnes notes en compo-fran au lycée.

— Tu me passionnes, ensuite ?

— Pâquerette est alors intervenu. Seulement, il n’a pas pris son revolver, car, affirme-t-il…

— Je sais, tranché-je, je l’ai enguirlandé à ce sujet ; passons.

— L’homme ne l’a pas entendu venir. Il était presque couché sur la fille et il l’étranglait. Il paraît que Pâquerette a eu toutes les peines du monde à lui faire lâcher prise.

L’autre se trouvait dans un état second, quoi !

« Tout à coup il s’est redressé et a fait front. Pâquerette affirme que l’autre avait une telle expression qu’il a eu peur. »

— Dieu soit loué ! m’écrié-je, enfin quelqu’un qui l’a vu de près. Son signalement ?

— Tout de suite, m’sieur le commissaire, je l’ai enregistré à part. Je suppose que…

— En effet, tu vas le faire diffuser partout. Dès demain, qu’un dessinateur du labo aille au chevet de Pâquerette pour faire de l’homme un portrait robot. Je t’écoute.

— Taille moyenne.

— Ça commence mal.

L’autre continue, avec la voix impersonnelle d’un huissier :

— Très brun. Le regard sombre. Il aurait une paupière un peu tombante, les lèvres minces, plusieurs dents en or. Il portait un pardessus assez léger.

Mathias cherche dans son gousset et dépose quelque chose sur mon bureau. Ce quelque chose est un bouton de corozo, beige, avec des moirures grisâtres.

— Dans la lutte il a arraché ce bouton à son agresseur. C’est l’interne de nuit qui l’a trouvé dans la main crispée de Pâquerette. Le pauvre vieux ne l’avait pas lâché !

— Merveilleux, assuré-je. Le hasard est vraiment étonnant, Mathias. Depuis des semaines, tous les flics de France et de Navarre traquent le sadique. On met sur pied un dispositif du feu de Dieu. Et c’est au moment où on dresse un piège pour un autre gibier que ce fauve vient bouffer l’appât !

— Oui, c’est curieux.

— La suite de la bagarre ?

— Oh ! ç’a été rapide. Pâquerette est un bon tireur, mais pour ce qui est des prises de catch il vaut mieux aller chercher Duranton. L’autre l’a mis K.O. d’un coup de tête, Ensuite il l’a chopé par les cheveux et lui a cogné la boule contre le montant de la portière afin de le finir. Puis, sans doute pour éviter que l’alarme ne fût donnée trop vite, l’agresseur l’a traîné dans les taillis où vous l’avez trouvé.

Je ne peux m’empêcher de sourire. On devient cynique dans la profession, surtout lorsqu’on a passé une journée pareille, aussi riche en émotions fortes et en coups fourrés.

— Pauvre Pâquerette ! On dirait un dessin de Peynet dans son genre. Il a beaucoup de bobo ?

— Le toubib pense qu’il a le nez cassé, mais il ne peut se prononcer avant de lui avoir fait une radio.

— Eh bien, attendons la suite. Je crois qu’on peut aller se coucher.

Je décroche le tubophone :

— Pas de nouvelles de Bérurier ?

— Aucune, m’sieur le commissaire. Il a dû prendre un train, non ?

— C’est probable, merci. S’il appelait, prévenez-moi à mon domicile.

— Entendu.

Je raccroche.

— Allons boire le dernier de la journée, proposé-je à Mathias, je crève de soif depuis le temps que je m’aiguise la menteuse sans mouiller la meule.

CHAPITRE IX

Et la fête continue !

— À votre santé, fait Mathias en levant son verre.

Il ne boit pas, car mon air hermétique le surprend. En effet, depuis quelques secondes une image se tortille dans la cocotte-minute où mijotent mes idées.

— Quelque chose de cassé, m’sieur le commissaire ?

— De cassé, non, réponds-je, sibyllin, mais peut-être bien d’arraché.

Il va pour questionner, mais déjà, le surprenant San-Antonio a vidé son godet, l’a posé sur le guéridon de marbre et s’est levé avec la promptitude d’un Anglais auquel on jouerait ce que Bérurier a baptisé « Le goût suave du singe »[2].

— Attends-moi un moment, fils, j’ai oublié quelque chose.

Je retraverse la chaussée et je pénètre comme un dingue dans la salle de garde où mijote ce vieil Alfredo des familles.

Le truand qui a l’habitude des tuiles et qui sait en prendre son parti est allongé sur une banquette rembourrée en cœur de châtaignier.

Les yeux clos, il essaie de roupiller, malgré la lumière et la conversation édifiante de deux intellectuels habillés en gardiens de la paix, lesquels se racontent une partie de pêche.

Je contemple un instant Alfredo. Ratatiné dans son pardessus, il me fait penser à un enfant. Il a ce je ne sais quoi de misérable et d’abandonné qu’ont certains mômes lorsqu’ils dorment. Quand il pionce, le dur se ramollit. Les années de crime s’abolissent et on retrouve l’être initial, celui qui ne savait pas encore que la vie était aussi salope mais qui le pressentait confusément.

Enfin, c’est plus la peine de s’attendrir. Les jeux sont faits.

— Alfredo ! appelé-je.

Il ouvre les yeux, me reconnaît et sa physionomie se durcit.

— Qu’est-ce que vous me voulez encore ?

— Lève-toi.

Il prend son temps, ne pigeant pas où je veux en venir. Néanmoins il obéit. Je l’examine à travers la grille. Il manque un bouton à son pardessus. Un bouton du haut qui n’était cousu là que pour faire pendant avec ceux qu’il boutonne. Voilà ce qui me travaillait le couvercle au troquet : je me suis souvenu brusquement qu’il manquait un bouton à Alfredo. Un rapide regard aux autres me renseigne. C’est bien le bouton absent qu’on a trouvé dans la main de Pâquerette.

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2

Les moins cornichons de mes lecteurs auront compris qu’il s’agit du « God save the King ». Provisoirement appelé outre-manche « God save the Queen ».