— Très spirituel. J’ai pas de place retenue et comme bagage j’ai juste le France-Soir d’hier. J’suis en costume et en souliers de ville.
« Tu me vois radiner dans une station de sports d’hiver ? »
Je considère le problème, puis, avec ma pertinence coutumière, je tranche la question.
— Écoute, bonhomme. Tu vas aller à Courchevel et tu te pointeras à l’Hôtel des Grandes Alpes. Les patrons sont des amis à moi. Je vais leur téléphoner pour leur dire de t’accueillir avec des cris de liesse et de te préparer une chambre. En arrivant tu prendras un bon bain, ça te reposera.
— Dis pas de c…, proteste Bérurier. Y a aut’chose : je suis raide comme une barre fixe. J’avais juste assez d’artiche pour mon bif. Et encore j’ai dû puiser dans ma réserve personnelle, celle que je mets dans ma chaussette.
— Je n’aurais pas voulu être à la place du zouave qui t’a fait la monnaie !
— Si tu ne me drives pas des fonds, je serai obligé de me faire rapatrier par le consulat de France en Savoie.
— Tu vas avoir des fonds. Un mandat télégraphique en urgent partira à l’ouverture des postes. Tiens-moi au courant de la suite.
— Allez, je te quitte, faut que j’aille finir mon petit déjeuner : j’ai mon bol de vin chaud qui refroidit.
Et il raccroche.
— Rien de cassé ? s’inquiète Félicie.
— Non. Béru est à Moutiers. L’associé de Boilevent est parti faire du ski à Courchevel.
— Tu crois que c’est une bonne piste ?
— Je ne crois rien, m’man, mais je prends les précautions d’usage…
Là-dessus, je remonte prendre mon bain.
Une heure plus tard, je suis sur le pied de guerre. Fringué comme un mylord, bichonné, parfumé, j’attaque ma journée par le bon bout. Le cas bérurien est réglé : on l’attend aux Grandes Alpes et des fonds lui seront expédiés d’ici une heure. Je décide de passer à l’hôpital pour prendre des nouvelles de Pâquerette.
Le roi de la pharmacie au détail ressemble à la momie de Ramsès II, en moins frais. Ce qu’on voit de lui à travers ses bandelettes est d’un joli vert. Il me regarde arriver et son regard s’humidifie.
— Ah ! commissaire, quelle aventure !
L’infirmière qui m’a convoyé me chuchote :
— Ne le faites pas trop parler, il a été médiciné.
— Pâquerette, dis-je, votre gars d’hier était plutôt petit, paraît-il.
— Oui.
— Avait-il le type méditerranéen ?
Il hésite.
— Vous savez, dans le noir… Et puis tout s’est passé si vite.
— Vous avez parlé à Mathias de dents en or.
C’est là que le bât me blesse, comprenez-vous, tas d’immondices ? Car Alfredo, lui, n’a pas de chailles-bidon. Ses tabourets sont garantis d’origine et ils luisent comme ceux d’un carnassier (merci, Colgate !).
— Oui, murmure Pâquerette. Je les voyais briller dans sa bouche.
Du coup ça peut très bien être le gars Fredo. Je vous le répète : il a les ratiches tellement étincelantes que lorsqu’il rit on a l’impression qu’un garnement vous balance un rayon de soleil dans la vitrine à l’aide d’un miroir.
— Mathias m’a dit aussi qu’il avait une paupière tombante ?
— Oui. Il fermait un œil en me molestant.
— Vous reconnaîtriez le type sur photo ?
— Je crois.
— Alors, dans un instant je vais vous en montrer une, j’ai téléphoné à Pinaud pour lui demander de l’apporter ici.
— Vous êtes sur une piste ? demande l’amoché.
— Peut-être bien.
Réapparition de l’infirmière : une petite blonde haute comme ça, mais avec des compartiments étanches sur l’avant et des amortisseurs sur l’arrière. Elle annonce l’arrivée du révérend Pinaud. Je dis d’introduire le messager et Pinuchet inscrit sa silhouette hivernale dans la chambre.
Il ressemble plus que jamais à un parapluie à la renverse dessiné par Bernard Buffet. Il pend du haut en bas : son nez enrichi d’une stalactite, sa moustache, son mégot, les bords de son bitos, son pardingue trop grand, son cache-nez de laine pendent.
— Alors, du bobo ? demande-t-il à Pâquerette en serrant mollement sa dextre fluide.
— Assez, oui, assure Pâquerette. J’ai envie de demander ma mise à la retraite anticipée, nous annonce-t-il. Ce métier, faut savoir le feu sacré. Je suis de tempérament trop délicat, et après une agression comme celle-ci… J’espère que l’assurance ne se fera pas trop tirer l’oreille. Je compte bien obtenir une forte indemnité pour incapacité permanente.
Pinaud dit qu’avec les assureurs on n’est sûr de rien. Puis il annonce qu’il a une bronchite, ce qui paraît épouvanter Pâquerette.
— N’approchez pas de mon lit, supplie le blessé. Si mon cas se compliquait d’une affection pulmonaire. Je pourrais y rester.
Pinaud est un peu vexé. Il prétend qu’il n’est malade que pour son usage personnel et qu’il n’a pas pour habitude de distribuer ses maladies à tout un chacun, comme d’autres distribuent des prospectus.
San-A. qui commence à s’impatienter réclame la photo de M. Alfredo Buisetti.
— Tiens, dit Pinuche.
Il s’explore les bas-fonds, en retire une photo qu’il me tend. Je bigle l’image et j’y vois un gros bébé assis sur un coussin. Il suce son pouce d’un air stupide.
— Dis, fais-je, mon client s’est rétréci au lavage ou bien il s’est déshydraté ?
Pinaud reconnaît sa bévue.
— C’est la photo de mon petit-neveu. Le fils au fils de ma sœur, celle qui est mariée à un boulanger dans l’Yonne. Il s’appelle Jean-Loup. Pas le boulanger, le bébé. Il a dix mois. Un beau petit, hein ?
Mon regard glacial le fait taire. Il se racle la gorge et me propose la photo d’Alfredo.
Je la tends à Pâquerette.
— Vous reconnaissez ?
L’inspecteur fixe l’image à travers ses bandages. Puis il a un signe d’acquiescement.
— C’est oui à 8 sur 10, dit-il. Mais je veux laisser une part de doute car, je vous le répète, l’endroit était obscur.
— Merci du tuyau, dis-je, ça peut être utile.
Je congratule le pauvre Pâquerette.
— La prochaine fois que je viendrai vous voir, je vous apporterai des friandises.
Nous quittons l’hosto, le Très Honorable Pinuche et moi. Une fois dans la rue je lui commande de rallier le bureau et de faire boucler à nouveau Alfredo au secret.
S’il est coupable, je le confondrai ! Seulement, s’il ne l’est pas, je veux éviter de le confondre avec l’assassin, vous mordez la beauté de la langue française (la plus agile et la plus aventureuse du monde) ?
Le gars moi-même monte dans sa trottinette personnelle et privée et se conduit jusqu’au domicile du sieur Bergeron, skieur d’élite.
Il a tout un étage dans un immeuble fait avec des pierres de taille qui sont vraiment de taille. Et de taille imposante.
Je fais drelin-drelin sur la sonnette. Une bonne pas encore loquée en femme de chambre, because l’heure indues, vient me demander ce que je veux. Je débloque des crédits pour lui offrir un sourire large comme le postère d’une dactylo et la charmante petite personne consent à m’honorer d’un regard intéressé. Elle est accorte, blonde avec un nez retroussé et des yeux à rayures vertes et mauves. Mon vice, c’est les nanas qui ont des yeux à rayures. Je n’aime pas les yeux à pois et très peu les yeux écossais.
— Je voudrais parler à M. Bergeron, affirmé-je, suave comme le coucher de soleil fulgurant sur votre calendrier des P.T.T.
Certains d’entre vous qui font dans leur matière grise l’élevage du charançon, doivent se dire : « Pourquoi diantre ce San-Antonio demande-t-il après Bergeron, puisqu’il sait pertinemment, étant pertinent de nature, que celui-ci se trouve à Courchevel ? »