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Il bombe vers un bois de sapins, décrit deux ou trois christianias et pique en direction d’un abri de berger lové contre un rocher au creux de la combe.

Parvenu au seuil du chalet il déchausse ses skis, les plante dans la neige et entre, toujours avec les autres sur son épaule.

Le San-Antonio bien-aimé n’hésite pas. Dans le grand silence blanc qui l’environne, il ne fait pas plus de bruit qu’une chenille sur un édredon, votre commissaire bien-aimé. Il pose ses étagères à son tour, prend son ami Tu-Tues dans la poche ventrale de son anorak et pousse lentement la porte du refuge.

Il fait clair-obscur à l’intérieur. Ça renifle la vache et ses sous-produits dans le secteur. Du toit aux grosses poutres noueuses pendent des toiles d’araignée. Je me penche et j’ai le vif plaisir d’apercevoir le sieur Bergeron en plein effort. Le « scieur » Bergeron, devrais-je plutôt écrire. Car il fait du bois, le digne homme. Et savez-vous avec quoi il en fait ? Avec sa paire de skis. Ça vous la coupe, hein, comme disait un rabbin de mes amis. Avouez que vous êtes sidérés, mes crêpes ? Ce monsieur qui reçoit deux paires de skis par jour et qui s’isole pour en faire du petit bois à allumer le feu. Voilà qui est raide. (Ça c’est une starlett de mes amies qui me le disait, mais elle ne vous le dirait jamais à vous autres, tas d’empêchés.)

Immobile dans l’encadrement de la porte, je n’en perds pas une écharde. Il s’active vilain, le Bergeron. Un vrai petit sadique dans son genre. Oui, exactement : un tourmenté du bulbe qui prendrait son fade en brisant des skis. Pourquoi pas ?

Lorsqu’il a obtenu un gentil fagot, il le jette dans la vieille cheminée démantelée, craque une allumette, enflamme un journal qui traîne là et met le feu aux skis. Ah ! mes princes, cette flambée ! Si vous voulez avoir de la belle combustion dans vos cheminées, un conseil : brûlez-y des skis. Les flammes joyeuses montent dans l’âtre noirci. Tel un démon, Bergeron regarde flamber son étrange fagot.

— C’est joli, hein ? dis-je gentiment en achevant d’entrer.

On dirait qu’il vient de prendre une ruche pour un pouf et de s’asseoir dessus. Drôle de sursaut, le boursier !

Il est semblable à une bête traquée. Faut le comprendre : la cambuse ne comporte en fait d’issue qu’une porte basse et San-Antonio se tient devant avec un zizi-panpan à la main.

— Qui êtes-vous ? demande-t-il.

Il ne peut me reconnaître because mes lunettes et le serre-tronche et because aussi je me trouve à contre-jour.

— On ne reconnaît plus ses petits copains, Bergeron ?

Ma voix doit lui faire quelque chose. Il est vrai qu’elle est inimitable : si chaude (40 °C) si bien timbrée. Quel organe ! Depuis Caruso je crois bien que… mais passons, je ne suis pas là pour m’éventer, comme disait le bey de Tunis.

Il croasse :

— Qui êtes-vous ?

Je fais un pas en avant de manière à offrir mon altier visage aux flammes de l’âtre (de Tassigny) ; puis j’abaisse mes lunettes panoramiques. Nouveau hoquet du boursier. Vu notre attitude à tous les deux c’est presque du hoquet sur glace.

— Commissaire, bredouille-t-il.

— Eh bien, je jubile, hilare, on joue les Bernard Palissy à c’t’heure, m’sieur Bergeron ?

— Je…

— Vous ?

— C’étaient de vieux skis…

— De vieux skis tout neufs comme vous en recevez deux fois par jour !

Je l’entends blêmir. Il fait un bruit pareil à celui d’un centenaire qui voudrait casser des noisettes avec ses dents.

— Voyez-vous, fais-je, je crois que le plus simple, c’est de vous mettre à table. L’endroit n’est pas très confortable, mais le pique-nique a ses charmes. Et puis au moins on y est tranquille !

— Mais je… Je vous jure que je…

Sans cesser de le braquer avec mon dénoyauteur de quetsches, je me baisse pour ramasser quelque chose à terre. Il s’agit des fixations de ski que Bergeron a dévissées avant de brûler les planches.

J’en cueille une. Le boursier a un élan vite refréné par un léger déplacement de mon pétard.

— Du calme, mon cher ami. Du calme !

Je saisis la hachette avec laquelle il a brisé les skis et je flanque de grands coups dans les fixations. Après quoi je recule vers le jour pour examiner les entailles.

— Bravo, fais-je, je m’en doutais. De l’or qu’on a chromé ! D’habitude, on plaque or les bijoux en toc, chez vous, c’est le contraire !

Je n’en dis pas plus. Un brandon enflammé m’atterrit sur le coin du portrait. La brûlure me fouaille la joue droite. Cette douleur est si intense que je suis incapable de réagir pendant plusieurs secondes. Je porte mes mains à mon visage. Je me sens bousculé. On m’arrache mon pétard des mains. C’est facile, car je le tenais d’un seul doigt, les autres étant pressés sur ma chair brûlée.

— Ne faites pas un geste ou je tire ! lance Bergeron.

Il a la voix d’un homme capable de faire ce qu’il dit. Je laisse tomber mes mains le long de mon corps et je regarde le boursier. Il a déjà ramassé les fixations et les a glissées dans la poche de poitrine de son anorak. Cela lui fait une énorme bosse de Polichinelle, très lourde, qui tire le vêtement en avant.

Maintenant il chausse ses skis, bouclant ses sangles d’une main, à tâtons, car il me regarde en conservant le revolver pointé sur moi.

Lorsqu’il a fini de fixer ses planches, il prend un de mes skis et le lance sur la pente. Puis il empoche le feu et assure ses bâtons dans ses mains.

— Vous avez tort, fais-je, assez penaud. C’est le genre de western qui n’arrangera pas vos affaires, mon vieux.

Il ne répond pas et fonce.

Alors, les gars, je vais vous parler un peu de San-Antonio. Je vais vous raconter comment s’y prend le joli commissaire pour jouer les supermen en pleine action.

Oubliant ma cruelle brûlure à la face, je bondis sur le ski restant. Je le chausse en un tournepied et, sur une seule guibolle, je m’élance à la conquête de celui que l’affreux Bergeron à propulsé dans la vallée.

Par un bol monumental, ma seconde planche est allée se piquer dans un monticule de neige, à cent mètres de là. La récupérer et la rechausser est une aimable plaisanterie.

Je n’ai, ce faisant, pas perdu Bergeron des yeux. D’ailleurs, j’ai illico pigé la manœuvre. Au lieu de foncer sur Courchevel, il fonce vers le remonte-pente de Pralong. Il y arrive avec une éternité d’avance sur le gars moi-même. Des gens font queue, mais il bouscule tout le monde et s’empare d’autorité d’une canne.

J’ignore ce qu’il a dit au préposé, mais ça a l’air de bien se passer pour sa pomme. La canne l’arrache et le voilà qui remonte la pente comme une mouche sur une bouteille de lait.

À moi de jouer !

J’arrive. Des skieurs qui comprennent mon intention veulent s’interposer. Ils brament avec un ensemble touchant « À la queue », paroles et musique de Nairedebeu. Mais moi, San-Antonio, vous me connaissez ? D’un coup d’épaule, je propulse dans la neige un vieux chnock du Jockey-Club qui fait du ski comme on joue au bridge chez la baronne de Vatfaire-Voyre. Le mylord paume son dentier Renaissance dans la neige et attend la fonte de printemps pour le récupérer, tandis que San-Antonio est happé par le treuil.

Je me détranche pour apercevoir Bergeron. Il se trouve à cinq ou six pèlerins de moi. C’est pas terrible. Pendant l’ascension, je reprends mon souffle et mes esprits. De toute façon, le type est râpé. Seulement je n’aime pas ces actes désespérés. C’est bon pour les vrais trafiquants de son acabit, ça finit toujours clochement.

Parvenu au sommet du tire-fesses, Bergeron s’élance à nouveau. Il coupe en direction de Belle-Côte. C’est un pédaleur d’élite. Il fait pas l’œuf, comme l’équipe de France, mais il a du rendement. Lorsque je décroche à mon tour, ça n’est plus qu’un minuscule point noir. Alors je change de développement. Mes bâtons piochent la neige comme un pic-vert pioche un tronc d’arbre. Je prends la pente en schuss. Tant pis pour la casse. J’ai pas l’intention de me laisser repasser par ce tordu.