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— Tu parles. Qui sont ces gens ?

— Des trafiquants internationaux qui ont leur P.C. dans le quartier de la Bourse. Je les ai connus dans un bar… Il y a un Turc, un Suédois, un Suisse…

— L’O.N.U. en petit, quoi ! Leurs noms ?

— Yalmar, Bretty, Fescal. Je ne sais pas si c’est leur véritable identité…

— Et leur P.C. ?

— Le « Consul Bar »… derrière… la… Bourse…

Il est exténué. Un peu de sang mousse aux commissures de ses lèvres.

— Ça va, ne parlez plus, dis-je.

— Je suis foutu, ajoute-t-il.

Je ne trouve rien à lui répondre. Car c’est ma conviction intime. Il rouvre les yeux. Il doit me voir à travers un brouillard.

— Le scandale…

Sa main se lève péniblement, tâtonne à vide pour me saisir.

— Jurez-moi. Vous irez lui dire… Lui dire… Lui dire…

Il n’a plus la force. La main retombe dans la neige, y dessine son empreinte.

Je vois arriver deux skieurs entièrement vêtus de rouge avec un traîneau garni de peaux de mouton.

Ce sont les secouristes. Je constate alors qu’il y a plein de monde autour de moi. Ces gens sont muets, le revolver que Bergeron serre dans sa main crispée les affole. Je dois dire que dans cette ambiance pure et joyeuse, il revêt un aspect particulièrement sinistre.

Je le récupère et le glisse dans ma poche.

— Ne vous affolez pas, leur dis-je, je suis de la police…

Je pose la main sur la poitrine de Bergeron, Ça bat encore sous le capiton de l’anorak, mais c’est faiblard.

— Maniez-le avec précaution, recommandé-je. Rendez-vous chez le toubib.

Je fourre les fixations en or sous mon bras et je fonce sur Courchevel.

En arrivant chez le toubib, avec une confortable avance sur le cortège des secouristes, je perçois de grands cris.

— Un accouchement ? je demande à la mignonne infirmière qui m’a réceptionné.

— Non, murmure-t-elle. C’est un monsieur qui s’est fracturé le coccyx en sautant du télébenne.

Poussé par un pressentiment, je demande la permission de pénétrer dans l’élégant local où le toubib fonctionne.

Le spectacle est d’une sauvage beauté, d’une puissance encore jamais atteinte, d’une grandeur qui donne le vertige et d’une qualité inoubliable.

Le gros Béru est vautré à plat bide sur la table d’auscultation du docteur. Son immense, son généreux, son exaltant, son noir dargif s’épanouit dans la pièce comme un lever de lune sur le Bosphore. Penché sur ce séant malséant, le médecin palpe le bas de l’arête avec circonspection tandis que le Mahousse brame sa souffrance à qui veut l’entendre.

— Eh bien, bonhomme ! fais-je en m’approchant. Ça se casse donc, un derrière de gros flic ?

Je tombe bien. Il m’accueille avec des poèmes de sa composition, le Gravos.

— Avec tes combines à la mords-moi le neutre, j’ai failli me tuer. Ça faisait deux tours que je faisais dans ce télé-chose de mes bennes sans pouvoir descendre. À la fin, j’ai voulu en sortir. Seulement, j’ai mal calculé mon élan et je suis tombé sur le dargeot. Ah ! misère ! Qu’est-ce que je vais devenir ?

— Pendant un certain temps, tu ne t’assiéras plus, Gros. Et quand tu seras sur le point de flancher, on te jouera la Marseillaise pour consolider ta position verticale. Songe que Victor Hugo écrivait debout !

Il me dit ce qu’il pense de Victor Hugo et je me réjouis in petto que le grand poète barbu soit mort, car si les paroles du gars Béru lui étaient venues aux oreilles, il se fût sûrement filé un bastos dans le chignon.

Au moment où je quitte le cabinet du doc, les secouristes radinent.

— Comment est-il ? demandé-je anxieux.

— Il est plus, fait piteusement l’un d’eux avec un bel accent savoyard qui claque comme le vent pur de sa Saulire.

Pensif, je rentre à l’hôtel afin de téléphoner au Vieux. Il faut penser aux habitués internationaux du « Consul-Bar ».

CHAPITRE XII

Mea culpa

Un zig qui renaude sauvagement, c’est le pauvre Alfredo que j’ai laissé moisir au mitard privé. Il est vert de rage, et c’est une couleur qui n’est pas engageante pour un maquereau.

— Je veux un avocat ! hurle-t-il. J’y ai droit ! Cette détention est arbitraire !

Je le calme d’une phrase.

— Mets-y une sourdine, Alfredo, tu es libre !

Du coup il se tait.

Ses yeux papillotent comme le clignotant d’une bagnole.

— Libre ?

— Ben oui. Et tu vois, bonhomme, je vais même pousser le luxe jusqu’à te faire des excuses.

Croyez-moi ou allez vous faire déguiser en pompe à essence, mais je suis sincère. Notre Alfredo montmartrois est blanc comme la neige que ses petits camarades bradent aux camés de Paname.

Il n’a pas tué sa fille. Il n’a pas menti au sujet de Boilevent.

Je fais sauter dans ma paluche le bouton manquant à son lardeuss.

— Tu as perdu ce bouton, Alfredo, ça fait idiot, mais c’est à cause de ce détail que tu portais le bada.

— Vous autres, roussins, vous lisez trop de romans policiers, ronchonne le truand.

— Où l’as-tu perdu, tu t’en souviens ?

J’ai ma petite idée là-dessus, et sa réponse ne fait que la confirmer.

— Dans ma bagnole, dit-il. Il s’est coincé dans le volant et ça l’a arraché.

— O.K., fils.

Je lui tends la main.

— Sans rancune, j’espère. Si un jour t’es ennuyé, viens me trouver, j’essaierai de te revaloir ça.

Il est un peu ému. Il me confie sa fine main aristocratique et nous échangeons un shake-hand vigoureux.

— Vous me bottez, dit-il, dommage que vous soyez un matuche.

— Tu me bottes aussi, dommage que tu sois une fripouille.

On rit et on se quitte bons copains.

Mon vieux camarade Pâquerette va beaucoup mieux. Ses bandages qui le faisaient 1000 av. J.C. ont été remplacés par un large sparadrap. Lorsque je rapplique à son chevet, il est béat, car une gente infirmière vient de lui placer un suppositoire à réaction et lui a promis une piqûre de je-ne-sais-pas-quoi pour très bientôt.

— Et alors ? me fait-il, guilleret. Je me morfondais, commissaire. Quoi de neuf ?

— Des tas de trucs, ma vieille. Primo, alors qu’on ne s’attendait pas à cela, on a mis la main sur une dangereuse bande de trafiquants d’or…

— Pas possible ?

— Comme je vous le dis.

— Et secundo ?

Je lui souris.

— Secundo, on a découvert l’identité du fameux sadique.

— Non ? Enfin !

— Oui, enfin !

Je re-ris.

— Pas étonnant que les filles aient continué de se laisser embarquer par le monstre, malgré les avis diffusés par la presse.

— Ah ! oui ?

— Le sadique est un inspecteur, Pâquerette, vous vous rendez compte ?

Il ouvre de grands yeux.

— Vous plaisantez ?

— Pas du tout. Il lui suffisait de montrer sa carte à la victime qu’il avait choisie et de lui dire « Suivez-moi ». La môme désignée ne pouvait guère refuser…

Je reprends :

— Et savez-vous comment j’ai démasqué le coupable ?

Il ne répond pas.

— Un minuscule détail. Mais que je vous raconte ça. Ça va vous passer le temps. L’inspecteur dont je vous parle était chargé de surveiller une catin endormie que j’avais placée au Bois dans la voiture de son jules.

« Lorsqu’il a été seul, dans la nuit, près de cette fille, son instinct bestial a pris le dessus. Cette force irrésistible qui le poussait à tuer s’est emparée de lui. C’est un malade. Alors il est allé étrangler la fille. Puis, son feu meurtrier éteint, il a compris qu’il venait de signer sa condamnation. Comment expliquerait-il le meurtre, lui qui était chargé de surveiller la fille ? Une seule solution : feindre un attentat. Il s’est lacéré les mains. Croyant prouver une lutte avec son pseudo-agresseur, il a ramassé un bouton qui se trouvait dans l’auto afin de faire croire ensuite qu’il l’avait arraché aux vêtements du meurtrier. Et alors, cet être maladif, ce faible, a eu le courage sadique de se blesser en se frappant de toutes ses forces la face contre le montant de la portière. Après quoi il s’est traîné dans les taillis proches et a attendu. Génial ! Ensuite, il a donné un signalement du souteneur de la fille, qu’il connaissait, ayant passé des années à la Mondaine. Il l’a fait assez vague pour pouvoir revenir sur ses dires au cas où le souteneur en question aurait un alibi. Tout aurait bien marché sans le bouton. Comprenez, mon vieux Pâquerette, Alfredo a un alibi. Et c’est le bouton de son pardessus que l’inspecteur serrait dans sa main.