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Des traces violacées marquaient son cou.

En m’apercevant elle poussa un petit cri de terreur. Son jules allait pouvoir lui administrer des tranquillisants à haute dose. Pendant un bout de temps elle aurait les copeaux à la vue d’une araignée et se trouverait mal devant les photos de Michel Simon.

— Eh ! Remets-toi, trésor, je suis de la flicaille ! dis-je en lui souriant. T’as eu chaud aux amygdales, hein ?

Rassurée, elle battit des cils à plusieurs reprises, s’efforça d’avaler sa salive et murmura :

— C’est bien la première fois que je suis contente de voir un poulet. Vous parlez d’un salingue ! C’est le sadique, non ?

— C’était, rectifiai-je en lui désignant le cadavre de son agresseur à quelques encablures… Comment se fait-il que tu te sois laissé embarquer aussi loin de ton Q.G. ?

— Il avait un paquet d’oseille épais comme un Dunlopillo !

Parbleu ! Et dire que le gars Pâquerette et moi nous perdions en conjectures. Le type faisait voir de l’artiche et ça fascinait les respectueuses.

— Comment ça s’est passé ?

— J’ai même pas eu le temps de réaliser.

À peine qu’il a stoppé sa chignole j’ai eu ses pognes autour du cou. Et il serrait, l’ordure ! Le coup du poulet, sauf vot’ respect.

Police-Secours radinait. J’abandonnai la sœur aux mains fiévreuses de Pâquerette afin de me consacrer au meurtrier. Un peu plus tard, j’étais en possession de tous les détails, j’avais la liste des engagés et les numéros des dossards. Le sadique était un certain Jérôme Boilevent, trente-deux ans, pas marié, qui possédait une petite fabrique de fixations pour skis dans la banlieue parisienne. Jusqu’alors il était ignoré des services de police et ses mœurs n’avaient jamais été sujettes à caution (comme dirait Lemmy).

Pâquerette eut sa photo dans le journal. Elle était tellement floue que, sur le cliché, c’était lui qui avait l’air du cadavre.

CHAPITRE II

Le doute

Il y a des jours où il vaudrait mieux lire le Journal Officiel, manger des poils d’artichaut ou faire un doigt de cour à une Anglaise plutôt que de rester chez soi.

C’est du moins mon opinion chaque fois que le cousin Hector déboule at home pour le casse-graine mensuel.

Ce soir-là, après les salsifis en beignets, les ris de veau Clamart et le Fontainebleau à la crème, Hector propose dare-dare (comme dirait un illustre confrère à moi) une partie de dominos. C’est un flambeur dans son genre, Totor. Il aime les émotions fortes. L’enfer du jeu, ça lui travaille en secret la caboche. Et les dominos, depuis quelque temps, c’est son vice number one. J’sais pas si c’est un effet de mon imagination, mais je trouve qu’il ressemble de plus en plus à un double-six !

Donc, on se met à brasser les dominoches sur le tapis qui transforme occasionnellement notre salle à manger en Macao de banlieue.

Après les ris (de veau), les jeux, comme a écrit ce fameux écrivain suisse qui avait des varices et une montre en or.

Tandis qu’avec m’man et l’abominable Hector on se distribue les osselets, ce célèbre fonctionnaire nous fait part de ses aspirations. Il espère être promu officier dans l’ordre des palmes académiques à la prochaine distribution. Si la chose se réalise il posera illico sa candidature au salon des poètes de la rue de Tournon, pour succéder à Amédée Dussossoy, ce délicat rimeur à qui on doit entre autres œuvres immortelles : « Mi-figue, mi-raisin », ode dédiée à un importateur de fruits, et surtout « On ne parle pas la bouche pleine », drame en vers, à la manière de Musset.

Je l’écoute d’une oreille furax. J’en suis à me demander quel est le meilleur moyen d’interrompre la soirée : chiquer à la crise cardiaque ou lui faire manger le jeu de dominos, lorsque, par un providentiel hasard, le téléphone retentit.

Je me catapulte à l’appareil. La voix harmonieuse du Vieux fait trembler la plaque sensible.

— San-Antonio, dit-il, arrivez immédiatement. Une grue vient d’être assassinée dans les mêmes circonstances qu’auparavant.

Je ne sais pas si vous avez déjà vu fonctionner les loteries foraines. La roue multicolore tourne dans un flamboiement de lumière en émettant un crépitement de mitrailleuse. Instantanément ma cervelle se déguise en loterie de foire. Ça tourne ! Ça fait du bruit ! Ça jette des feux !

Je vois feu Jérôme Boilevent serrant le gosier de la blonde dans la voiture. Je vois sa fuite ; sa culbute… La bouille d’un Pâquerette triomphant, fier de son carton.

— Bon, je viens, chef.

— Je suppose que tu vas nous quitter ? grince Hector de sa voix qui me fait toujours évoquer une girouette rouillée.

— Exactement. Et ça urge.

Le futur officier dans l’ordre alphabétique des palmes académiques ricane.

— Le jour où tu te consacreras à tes invités, mon pauvre ami…

Je m’abstiens de lui répondre que ce jour-là, lui, Hector, ne se trouvera pas parmi lesdits invités et je gicle.

C’est le branle-bas (comme disait un teckel) à la maison des grosses tronches.

Dans le bureau du Vioque il y a déjà l’état-major : le patron des Mœurs, l’inspecteur Pâquerette et ses cachets de Céquinyl, Bérurier avec une bouteille de bordeaux rouge pas entamée dans la poche de son pardingue et le père Pinaud avec une fluxion dentaire toute neuve qui lui donne vaguement l’aspect d’un vieux boxer.

On se rend facilement compte, à en juger par la mine des personnages assemblés, que l’heure est grave.

— Bonsoir, mon cher, grommelle le superman de la calvitie. Asseyez-vous.

Je prends le dernier siège laissé vacant et j’attends.

Le Big Boss se mouille l’extrémité des doigts du bout de la langue et astique le sommet de sa coquille avec énergie.

— Messieurs, l’heure est grave, dit cet amoureux des formules aussi ronflantes que toutes faites. Depuis quelque temps je savais que l’homme abattu par Pâquerette n’était pas le sadique, mais je faisais le mort, espérant un miracle. L’événement avait fait trop de bruit dans la presse, il eût été dangereux de… de…

Il cherche une expression vigoureuse et obligeamment, le Gros Béru la lui fournit :

— De remuer la m… ?

Du coup, le patron en oublie de respirer. Il clape à vide une fois ou deux et son visage se met à ressembler à une serpillière mouillée.

Mais comme il sait dominer l’adversité, il hausse les épaules et enchaîne :

— Comment ai-je su que ce Jérôme Boilevent n’était pas le sadique ? Très simple, j’ai fait vérifier son emploi du temps concernant les périodes où furent commis les meurtres précédents. À l’exception d’une fois, Boilevent avait des alibis lors de chaque assassinat.

Un murmure court dans nos rangs. C’est ce qu’on appelle une nouvelle à sensation. Le dirlo des mœurs, un grand gaillard blond et sympa, rallume un moignon de cigare. Le Gros caresse le col de sa boutanche de rouquin, Pinuche masse sa fluxion comme on caresse le ventre d’une chatte pleine et Pâquerette ne reculant devant aucun sacrifice, gobe sans respirer : un comprimé sédatif ; une pilule pour la constipation ; une autre contre ; de l’antigrippine (de cheval) et termine l’orgie par deux pastilles de réglisse.

Heureux de son effet, le Dabe poursuit :

— Ce qui m’a donné l’idée de ce petit et discret supplément d’enquête ? Un détail, messieurs… Un simple détail…

Et de se pourlécher les extrémités comme un gros greffier qui fait sa toilette. Et de nous toiser avec un petit air supérieur. Et de se filer les noix contre le radiateur du chauffage central (là elles sont dans leurs éléments).