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— Il n’y a pas que des empreintes de pieds. Il y a aussi les mains. Le tueur marche à quatre pattes. Vraiment flippant.

— Ces empreintes ont l’air plutôt fines, remarqua Jeanne. Elles pourraient appartenir à une femme ?

— Non. Je ne pense pas. Mais l’analyse ADN nous donnera une réponse claire. Ses doigts sont repliés. Il s’appuie sur le sol les poings fermés. J’ai remarqué aussi un autre truc. Si on compare l’axe des paumes avec celui des pieds, on constate qu’il se déplace en tournant les mains vers l’intérieur.

— Il souffre d’un handicap physique ? demanda Taine.

— Peut-être. Ou bien il imite certains singes. Les paris sont ouverts.

Jeanne poursuivit son idée :

— D’après les pieds et les mains, tu peux déduire sa corpulence ?

— Plus ou moins. Le gars chausse du 40 mais il a des petites mains. Il doit être plutôt balèze vu ses prouesses sur le corps. En même temps, la profondeur des empreintes trahit un poids léger.

Taine désigna les inscriptions sinistres qui se détachaient sur les murs.

— Et ça ? demanda-t-il à Reischenbach. Tu les as données à étudier ?

— A plusieurs spécialistes, fit Messaoud. Anthropologue. Archéologue. Cryptologue. Pour l’instant, on n’a pas de retour.

Le capitaine de la brigade territoriale s’approcha, tapotant sa montre, et s’adressa une fois encore à Taine :

— Peut-on remonter, monsieur le juge ? Le directeur du laboratoire nous attend dans son bureau.

11

MESSIEURS DAMES, que puis-je taire pour vous ? Jeanne et Taine se regardèrent. Dans le contexte, la question paraissait plutôt incongrue. Bernard Pavois était un colosse à l’immobilité de marbre. Assis derrière son bureau, il devait mesurer un mètre quatre-vingt-dix et peser dans les cent vingt kilos. Ses épaules faisaient bloc contre la baie vitrée. La cinquantaine épanouie, un visage carré, une chevelure ondulée serré, jadis blonde, aujourd’hui grise, et des lunettes d’écaillé. Les traits étaient placides mais les veux dorés derrière les verres évoquaient des glaçons au fond d’un whisky. Une gueule on the rocks.

— Eh bien, j’attends vos questions.

Les deux juges, le flic et la greffière étaient assis face au bureau massif.

Taine, croisant les jambes, répondit sur le même mode :

— Parlez-nous de la victime.

Pavois se lança dans un éloge classique. « Une collaboratrice hors pair. Une femme charmante. Personne n’aurait pu lui vouloir du mal. » Etc. Impossible de deviner s’il pensait le moindre mot de son discours stéréotypé. Jeanne n’écoutait pas vraiment. Elle gérait ses sensations, encore éblouie par la lumière du laboratoire.

Après l’obscurité du parking, ils avaient traversé des salles d’une blancheur immaculée. Des espaces stériles. Des salles pressurisées. Des bureaux segmentés par des cloisons de verre. Ils avaient croisé des dizaines de techniciennes en blouse blanche. Une vraie ruche industrielle. « Vingt mille amniocentèses par an », avait précisé la sous-directrice qui les guidait.

Mais ce qui avait le plus troublé Jeanne, c’était cette spécialité, justement. Dans les flacons, dans les centrifugeuses, sous les hottes stériles, le liquide amniotique était partout. Les eaux de la fertilité. De la naissance. De l’innocence... Après ce qu’ils venaient de voir dans les sous-sols, c’était comme de passer directement de l’enfer au paradis. De la mort à la vie.

— Deux juges pour une seule affaire, remarqua Pavois, ce n’est pas très courant, non ? Une nouvelle mesure de Sarkozy ?

— Jeanne Korowa est ici en qualité de consultante, fit Taine sans se décontenancer.

— Consultante de quoi ?

Jeanne prit la parole, ignorant la question :

— Quel était ici le poste exact de Nelly Barjac ? Laborantine ?

Pavois haussa les sourcils. Il avait un double menton, un véritable goitre de pélican, qui lui donnait l’air encore plus imperturbable.

— Pas du tout. C’était une brillante cytogénéticienne. Une surdouée.

— Elle établissait des caryotypes ?

— Pas seulement. Le soir, elle travaillait aussi sur un programme de génétique moléculaire.

— Quelle est la différence ?

— Les cytogénéticiens travaillent sur les cellules. Les généticiens moléculaires étudient une échelle plus microscopique encore, celle de l’ADN.

Face à l’expression de ses interlocuteurs, le directeur soupira et se fendit de quelques explications :

— Dans chaque cellule, il y a des chromosomes. Ces chromosomes sont des filaments, des espèces de ressorts spirales, eux-mêmes composés de gènes. La génétique moléculaire s’occupe de ces séquences. Un univers infiniment plus petit.

— Vous possédez le matériel pour cette discipline ?

— Au second étage, oui, mais ce n’est pas notre spécialité. Notre boulot quotidien, ce sont les caryotypes. Repérer les anomalies parmi les paires de chromosomes.

— Vous parliez d’un programme, poursuivit Jeanne. Sur quoi travaillait exactement Nelly ? Je veux dire, le soir ?

— Elle finissait une thèse de doctorat sur le patrimoine génétique des peuples d’Amérique latine. Elle recevait des échantillons sanguins d’un peu partout. Les classait. Les comparait. Je ne sais pas trop ce qu’elle bricolait. Elle était assez discrète là-dessus. C’était une tolérance de notre part : elle pouvait utiliser notre matériel pour ses recherches personnelles.

Pavois se pencha au-dessus du bureau. Un bouddha qui oscille sur son socle.

— Pourquoi ces questions ? Quel rapport avec ce qui s’est passé ?

— Nous n’excluons pas un lien entre ces travaux et le mobile de l’assassinat, déclara Taine.

— C’est une blague ?

Le magistrat répondit, sans doute pour inciter le chercheur à coopérer :

— Nous avons déjà un autre meurtre de ce type. Une infirmière qui travaillait dans un centre pour enfants anormaux. Il pourrait exister un rapport entre les handicaps soignés dans cet institut et l’activité de votre laboratoire.

— Quel type de handicaps ? De quoi souffrent ces enfants ? Taine lança un coup d’œil à Reischenbach, plutôt emmerdé par la question.

— Nous n’en savons rien, admit-il. Du moins pour l’instant. Dites-nous plutôt quelles déficiences vous repérez grâce aux caryotypes.

— La trisomie 21, principalement. Nous l’appelons ainsi parce que cette altération concerne la paire de chromosomes qui porte le numéro 21. Nous identifions aussi d’autres anomalies, comme la trisomie 13 qui provoque un retard psychomoteur et des malformations physiques. Ou encore ce qu’on appelle la « délétion ». Des fragments de chromosomes qui sont absents. Une déficience qui a des conséquences graves sur le développement de l’enfant.

— Ces anomalies sont rares ?

— Tout dépend de ce que vous appelez « rares ». A notre échelle, elles apparaissent quotidiennement. Ou presque.

— Peuvent-elles aboutir à des folies spécifiques ?

— Je ne comprends pas la question.

— Vous avez parlé de trisomie. L’analyse du caryotype peut-elle révéler des maladies comme la schizophrénie, par exemple ?

— Pas du tout. A supposer que de telles pathologies aient une origine génétique, il faudrait identifier leur gène spécifique et travailler sur l’ADN. Nous ne sommes pas spécialisés à ce point. Que cherchez-vous ? J’ai peur de deviner : vous pensez que le tueur serait une sorte de fou, dont l’anomalie génétique aurait été repérée ici il y a bien longtemps ?