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— Il y a une autre possibilité : des parents. Qui pourraient vous en vouloir.

— De quoi ?

— D’un résultat anormal. D’un enfant qui serait né avec une malformation.

— C’est absurde, trancha Pavois.

— Si vous saviez ce qu’on voit dans notre métier en matière de mobile.

— Je veux dire, c’est vraiment absurde. En admettant qu’un caryotype présente une anomalie, il n’y a aucune raison de nous tenir responsables de ce problème. Mais surtout, ces examens sont faits justement pour éviter la naissance d’un enfant diminué. Les amniocentèses sont pratiquées en temps et en heure, afin de pouvoir envisager une interruption de grossesse.

— Et si vous aviez commis une erreur ? Si vous n’aviez pas repéré le problème et que l’enfant soit né anormal ?

Pavois paraissait consterné. Pourtant, un sourire vague planait toujours sur ses lèvres.

— Non, fit-il simplement. Nos techniques sont fiables à 100 %.

— Jamais d’erreur de flacon ? De bug informatique ?

— Vous n’imaginez pas les conditions dans lesquelles nous travaillons. Nous respectons des mesures drastiques de sécurité. Nous sommes surveillés en permanence par des experts missionnés par le gouvernement. Je n’ai jamais entendu parler d’un problème dans notre métier. Ni ici. Ni nulle part dans le monde.

Bernard Pavois avait déroulé son discours avec calme. Rien ni personne ne semblait pouvoir l’ébranler. L’homme était vraiment un bloc de glace.

Taine devait éprouver le même étonnement que Jeanne.

— Vous ne semblez pas très ému par la disparition de Nelly Barjac. Ni même surpris par les circonstances incroyables de son décès.

— Ma philosophie est d’admettre le monde tel qu’il est. Il m’est impossible de lire le journal chaque jour, de constater le déferlement de violence qui caractérise nos sociétés et de ne pas accepter que cette même violence frappe à ma porte.

Le magistrat ouvrit les bras avec agacement.

— Mais où est votre compassion ? Vous n’êtes pas choqué par la manière dont Nelly a disparu ? si jeune ? Par les tortures et les mutilations qu’elle a subies ?

— Nelly a disparu sous cette forme. Son âme poursuit le voyage.

— Vous... vous croyez à la réincarnation ? demanda Jeanne, stupéfaite.

— Je suis bouddhiste. Je crois à la chaîne des corps et à l’unicité de l’âme. Quant à mon émotion, autant vous le dire tout de suite : Nelly était ma maîtresse. Nous avions une relation amoureuse depuis près d’un an. Mais ce que j’éprouve à cet instant ne regarde que moi. Cela dit sans vous vexer.

Silence. Jeanne, Taine, Reischenbach et la greffière se tassèrent dans leur siège. Un témoin pareil, ce n’était pas fréquent.

— Et si vous voulez parler de mon alibi, reprit le chercheur avec la même morgue, je n’en ai pas. J’attendais Nelly chez moi. Seul. Elle m’avait prévenu qu’elle travaillerait tard.

— Elle avait un rendez-vous ?

— Elle ne m’a rien dit.

— Vous ne vous êtes pas inquiété de son absence ?

— Parfois, il lui arrivait de bosser jusqu’à l’aube. Je passais après ses recherches, vous comprenez ? C’est une des raisons pour lesquelles je l’aimais et je l’admirais.

Jeanne considéra l’homme durant quelques secondes. Elle comprit son véritable profil. Son calme apparent était le signe d’une force spirituelle peu commune. La mort de Nelly ne glissait pas sur lui. Au contraire. Son souvenir était gravé en lui. Une épitaphe dans du marbre. Tournée vers l’intérieur.

Taine se leva comme un ressort.

— Je vous remercie, docteur. Je vous demanderai de passer à mon bureau, au TGI de Nanterre, dans quelques jours.

— Vous voulez m’interroger encore ?

— Non. Vous signerez votre déposition, c’est tout. Entretemps, le capitaine Reischenbach, ici présent, aura vérifié certaines choses.

— Comme mon absence d’alibi ?

— Par exemple.

— J’ai une dernière question, fit Jeanne en se levant à son tour. Regard de la greffière à Taine : devait-elle continuer à noter ou non ? Elle était déjà debout, bloc rangé dans son cartable. Le juge lui fit signe que non.

— Fait-on des caryotypes dans d’autres circonstances ? Sur des adultes, par exemple ?

— A partir du sang, oui. (Pavois était toujours assis.) Nous cherchons dans ces cas-là des traces de stérilité.

— L’infertilité est une chose qu’on discerne à travers le caryotype ?

— Oui. Certaines délétions des chromosomes peuvent expliquer des troubles de la reproduction. Nous pouvons aussi chercher des confirmations génétiques à des troubles chez l’enfant. Des difficultés d’apprentissage, par exemple. Nous vérifions alors côté caryotype et mettons parfois un nom sur la pathologie du gosse.

Jeanne revint à sa première idée. Une femme stérile dont le caryotype avait été réalisé dans les laboratoires Pavois. Une désaxée qui avait voulu se venger du site et s’approprier en même temps la fertilité de Nelly Barjac en la dévorant... Mais comment expliquer l’autre victime, l’infirmière ? et la force prodigieuse du tueur ?

Debout, Pavois confirma ce qu’on pouvait prévoir : il mesurait plus d’un mètre quatre-vingt-dix et était épais comme un bœuf. Il était vêtu d’un tee-shirt informe vert pétillant, marqué du sigle « NO LOGO », et d’un pantalon de toile beige. Son corps d’athlète avachi évoquait une poire énorme.

— Je ne suis pas un expert, fît-il d’un ton amusé, mais il me semble que cette atrocité est l’œuvre d’un tueur en série, non ? Toute l’année, on voit ça à la télé. Pourquoi pas dans la réalité ?

Personne ne répondit. Impossible de cacher la vérité : ils nageaient complètement. Et ce colosse narquois leur tapait sur les nerfs. Il ouvrit la porte. Son sourire flottait toujours dans l’air.

L’équipe défila en silence. Pavois les salua d’un geste et rentra dans son bureau.

Dans l’ascenseur, François Taine demanda à Jeanne :

— Quel con. Qu’est-ce que tu en penses ?

— Vérifie si on n’a pas volé du liquide amniotique.

— Où ?

— Dans le labo.

— C’est qui, « on » ?

— L’assassin.

— Pourquoi il aurait fait ça ? Jeanne éluda la question.

— Ratisse le quartier. Contacte les BAC. Le tueur s’est tiré à l’aube. Il n’est pas parti en soucoupe volante. Il a peut-être fait l’objet d’un contrôle.

— Ça serait vraiment un miracle.

— Ça s’est déjà vu.

Les portes s’ouvrirent. Taine, dos au seuil, sortit à reculons. Le retour dans le hall parut le libérer de la pression de la scène de crime et de l’interrogatoire.

— OK, fit-il en frappant dans ses mains. Je vérifie ces trucs, je reçois les rapports d’autopsie et je t’appelle. On pourrait dîner autour de tout ça, non ?

Jeanne tiqua. C’était la confirmation d’un soupçon qui la taraudait depuis qu’ils avaient quitté le TGI. François Taine comptait utiliser ces crimes cannibales pour la draguer.

Était-elle si glauque qu’on pouvait l’appâter avec un cadavre ?

12

20 h 30.

Jeanne était repassée au TGI mais avait annulé ses auditions. Pas le courage. Elle avait expédié les affaires courantes. Signé une convocation au nom de Michel Dunant, le salopard en rut qui avait empoisonné tout un immeuble au plomb. Survolé d’autres dossiers. Mais elle n’avait pas eu la force de se replonger dans l’affaire du Timor oriental. Demain. Elle s’était maintenue ainsi, dans une illusion de boulot, jusqu’à l’heure de sa séance chez la psy. La seule chose qui pouvait, vraiment, la remettre sur pied...