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Abandonnant la recherche de sa valise, Ventress se fraya un chemin à travers les marchands. Il grimpa sur la jetée. À son extrémité, un petit canot à moteur était amarré par un seul câble à une pile sciée. Ventress atteignit le bout de la jetée, délia le câble et grimpa dans le bateau. Il s’affaira un moment aux commandes puis le ronflement du moteur couvrit tous les autres bruits. Une seconde plus tard une explosion venant de la soute avant secoua le bateau et un éblouissant geyser s’éleva dans l’air sombre. Rejeté contre le gouvernail, Ventress regarda les flammes brûler les panneaux du pont, devant le pare-brise qui avait volé en éclats. Le canot dériva contre le quai. Ventress retrouva ses esprits et sauta sur le cadre de bois flottant qui servait de passerelle de débarquement.

Écartant les quelques Africains qui observaient la scène du rivage, Sanders grimpa sur la jetée et courut vers Ventress. Choqué par l’explosion, l’homme au complet blanc n’avait pas vu les pâles contours d’un grand yacht immobile sur le fleuve à quelque vingt mètres de la jetée. Debout devant la barre, sur le pont, d’où il avait observé la poursuite sur les passerelles, se tenait un homme aux larges épaules vêtu d’un costume sombre, son long visage à demi caché derrière la flèche blanche d’un mât de radio. Sur le pont au-dessous de lui on apercevait ce qui semblait être le canon-starter d’un club de yachting. Le métal poli luisait dans les lumières. Quand le canot à moteur dériva en flammes près de l’extrémité de la jetée, l’incendie s’apaisa et le yacht et son propriétaire aux aguets s’enfoncèrent de nouveau dans l’obscurité.

Vers le milieu de la jetée, Sanders vit le mulâtre aux cheveux ras se laisser descendre de la passerelle en face de lui. Il avait abandonné sa matraque et une mince lame argentée scintillait dans sa main énorme. Il avança sans bruit derrière Ventress, assis tout engourdi au bord de la jetée, regardant le canot incendié passer vers les hauts-fonds.

— Ventress ! Courant de toutes ses forces Sanders rattrapa le mulâtre, se précipita sur lui et lui fit perdre l’équilibre. Mais il se remit debout avec la vitesse d’un serpent, se retourna et de sa tête rasée frappa Sanders en pleine poitrine. Il se pencha en arrière pour ramasser son couteau, ses yeux blancs allant sans cesse de Ventress au médecin.

À cent mètres sur le rivage une fusée éclairante s’éleva dans l’air au-dessus du port. Sa lumière voilée brûlait, rouge et terne. Une sirène se mit à mugir au-dessus des entrepôts. Un camion de la police s’arrêta au pied de la jetée et ses phares illuminèrent les derniers joyaux cristallins qu’on cachait sous les tentes. Le canot en feu avait de nouveau dérivé vers les supports des passerelles et le bois recouvert de goudron avait pris feu aussitôt, les flammes éclatant le long des poutres sèches.

Sanders envoya un coup de pied au mulâtre puis arracha une pièce de bois à demi détachée de la jetée. Le mulâtre aperçut le camion de la police, saisit son couteau, courut devant Sanders le long de la jetée et plongea tout au bout au milieu des bateaux.

— Ventress ? Sanders s’agenouilla à côté de lui, enleva les cendres qui avaient brûlé le tissu du costume. Pouvez-vous marcher ? La police est là.

Ventress se leva, ses yeux s’éclairèrent, derrière la barbe son petit visage était fermé. Il ne semblait pas se rendre compte de ce qui s’était passé et s’accrocha au bras de Sanders comme un vieillard.

Derrière eux, sur le fleuve, il y eut un grondement étouffé, de l’écume jaillit à l’arrière du yacht et Ventress revint à la vie comme il s’éloignait. Tenant toujours le bras de Sanders, mais pour le guider à présent, il se mit à courir sur la jetée.

— Courbez-vous, docteur, nous ne pouvons rester ici !

Il balançait la tête de droite à gauche en observant la passerelle en feu qui se partagea en deux et s’effondra dans l’eau. Quand ils atteignirent le rivage et passèrent derrière le petit groupe arrêté sur la pente, il se tourna vers Sanders.

— Merci, docteur. Là-bas, j’étais presque hors du temps moi-même.

Avant que Sanders ait pu répondre, Ventress s’élança entre les piles de fûts d’essence, entra dans un des entrepôts. Sanders le suivit et le vit disparaître derrière l’auto abandonnée.

Dans le port, les incendies s’étaient éteints d’eux-mêmes. Les morceaux à demi consumés de la passerelle sifflaient et crachaient de la vapeur dans l’air sombre. La police avançait le long des autres passerelles, avec des machettes, coupant l’une après l’autre les poutres calcinées qui tombaient dans l’eau. Au-dessous, les marchands des échoppes criaient en ramant pour aller mettre leurs bateaux à l’abri.

Sanders revint à pied vers son hôtel, évitant les arcades. Troublés dans leur sommeil, les mendiants s’asseyaient dans leurs couvertures de carton et gémissaient, l’imploraient quand il passait, leurs yeux brillant sur le fond de sombres colonnes.

Louise était retournée dans sa chambre. Sanders éteignit la lumière et s’assit près de la fenêtre dans le fauteuil. Les dernières traces du parfum de Louise se dissolvaient dans l’air quand il vit l’aube se lever sur les lointaines collines de Mont Royal, illuminant les méandres du fleuve comme si elle voulait révéler un passage secret.

IV. Un noyé

Le lendemain matin le corps d’un noyé fut repêché dans le fleuve à Port Matarre. Un peu après dix heures, le Dr Sanders et Louise Péret descendirent au port près du marché indigène dans l’espoir de convaincre un des bateliers de leur faire remonter le fleuve jusqu’à Mont Royal. Le port était presque vide et la plupart des bateaux avaient traversé le Matarre jusqu’aux agglomérations de l’autre rive. Les passerelles démolies par le feu gisaient dans l’eau comme les squelettes de lézards à moitié submergés et un ou deux pêcheurs fouillaient la vase autour d’elles.

Le marché était calme, que ce fût dû à l’incident de la nuit précédente ou que la scène faite par le père Balthus avec sa croix gemmée eût empêché les marchands de bibelots de faire leur apparition.

En dépit du dense éclat de la forêt pendant la nuit, dès le jour la jungle était redevenue morne et sombre comme si le feuillage se rechargeait au soleil. Un sentiment de malaise pénétrant convainquit Sanders de la nécessité de partir pour Mont Royal avec Louise le plus tôt possible. Tout en marchant, il regardait aux alentours, mais il n’y avait pas trace du mulâtre et de ses deux acolytes. Cependant, à en juger par l’importance de l’assaut contre Ventress — sans aucun doute le yacht armé et l’homme qui guettait à la barre avaient joué un rôle dans cette tentative d’assassinat — Sanders était persuadé que les assassins en puissance étaient à présent bien à l’abri des recherches de la police.

Pendant la courte promenade depuis l’hôtel, Sanders s’était à demi attendu à entendre Ventress lui murmurer quelque chose à l’ombre des arcades, mais il ne l’avait point vu en ville. Aussi peu probable que ce fût, la lumière toujours aussi oppressante de Port Matarre convainquit Sanders que l’homme au complet blanc était déjà parti.

Il montra à Louise le fouillis de passerelles endommagées, la coque carbonisée du canot à moteur dans les hauts-fonds et il lui décrivit l’attaque du mulâtre et de ses hommes.

— Il essayait peut-être de voler des bijoux dans les bateaux, suggéra Louise. Ils ne faisaient peut-être que se défendre.

— Non, c’était autre chose, le mulâtre cherchait vraiment à tuer Ventress. Si la police n’était pas arrivée, nous aurions tous les deux fini au fond du fleuve.