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Sanders jeta sa cigarette et partit en courant à travers les fougères. Il atteignit le porche, ouvrit d’un coup de pied le panneau poussiéreux de la porte et se dirigea vers le large escalier. Ses chaussures s’enfonçaient à travers les planches de balsa, mais les marches de marbre étaient encore solides. La maison avait été vidée de tous ses meubles. Il traversa le palier du premier étage, alla vers la chambre où il avait vu la femme.

— Louise !

Avec un rire, elle se retourna vers lui, un vieux rideau de dentelle tomba de ses mains sur le sol.

Elle secoua légèrement ses cheveux et sourit à Sanders.

— Vous ai-je fait peur ? J’en serais désolée.

— Louise ! — c’était la chose la plus stupide… Avec un effort, Sanders retrouva son sang-froid, l’instant de la reconnaissance pâlissait. Comment diable êtes-vous montée ici ?

Louise fit le tour de la pièce, regardant les taches claires aux endroits où l’on avait enlevé des tableaux, comme si elle visitait quelque galerie de peinture spectrale.

— J’ai marché, naturellement. Elle se retourna vers lui, ses yeux se firent plus vifs. Qu’y a-t-il ? Je vous ai rappelé quelqu’un ?

— Peut-être, fit Sanders en allant vers elle. Louise, la situation est assez difficile sans qu’on fasse encore des plaisanteries.

— Mais je ne voyais pas là une plaisanterie. Elle lui prit le bras, et son sourire ironique disparut. Edward, je regrette, je n’aurais pas dû…

— Aucune importance. Sanders appuya le visage de la jeune femme contre son épaule, reprenant possession de lui-même grâce à ce contact physique avec Louise. Je vous en prie, Louise, tout cela sera fini quand nous aurons atteint Mont Royal. Avant, je n’avais pas le choix.

— Bien sûr. Elle l’attira loin de la fenêtre. Aragon. Il pourrait nous voir.

Le rideau de dentelle gisait à leurs pieds, la mantille que Sanders avait vue de la fontaine asséchée dans le jardin. Louise, tenant toujours sa main, voulut s’agenouiller sur la dentelle, mais il secoua la tête et d’un coup de pied l’envoya dans un coin.

Un peu plus tard, quand ils descendirent vers l’hydroglisseur, Aragon vint à leur encontre sur la jetée.

— Il faut partir, docteur. Le bateau se voit trop d’ici. Ils patrouillent parfois sur le fleuve.

— Certainement. Combien y a-t-il de soldats dans la région de Mont Royal ?

— Quatre ou cinq cents. Davantage peut-être.

— Un bataillon ? C’est beaucoup, commandant. Il offrit une cigarette à Aragon, Louise marchait devant eux. Cet incident dans le port indigène, la nuit dernière, l’avez-vous vu ?

— Non, je l’ai appris ce matin. Les bateaux des marchands prennent très souvent feu.

— Peut-être. Mais on a attaqué un homme que je connais, un Européen nommé Ventress. Il leva les yeux vers Aragon. Il y avait un grand yacht avec un canon sur le pont. Vous l’avez peut-être vu sur le fleuve ?

Le visage d’Aragon ne révéla rien. Il haussa les épaules.

— Il pourrait appartenir à l’une des compagnies minières. Je n’ai jamais rencontré ce Ventress. Avant que Sanders pût se remettre à marcher, il ajouta : « Souvenez-vous, docteur, que bien des gens à Mont Royal ont intérêt à empêcher qu’on ne pénètre dans la forêt ou qu’on en sorte. »

— Je m’en suis bien rendu compte. À propos, ce noyé dans le port ce matin, quand vous l’avez vu, était-il étendu sur un radeau par hasard ?

Aragon tira lentement une bouffée de sa cigarette, et regarda Sanders avec un certain respect.

— Ce n’est pas mal deviné, docteur.

— Et cette armure de lumière ? Était-il couvert de cristaux de la tête aux pieds ?

Aragon sourit, fit la grimace plutôt, montrant une incisive d’or. Il la toucha de l’index.

— Couvert ? Est-ce le mot qui convient ? Ma dent, c’est l’or même.

— Je saisis. Sanders baissa les yeux sur l’eau brune coulant au pied des poutres polies de la jetée. Louise lui fit un signe de la main. Elle était déjà assise dans le bateau. Mais il était trop préoccupé pour répondre. Voyez-vous, commandant, je me demande si cet homme, il s’appelait Matthieu, était mort au sens absolu du terme, quand vous l’avez vu. Si, disons, il avait été arraché à son radeau par les eaux agitées du port, mais avait cependant pu y rester agrippé d’une main, cela expliquerait bien des choses. Cela pourrait avoir des conséquences très importantes. Vous voyez ce que je veux dire ?

Aragon fumait, observant les crocodiles dans les hauts-fonds sur la rive opposée, puis il jeta sa cigarette à demi fumée dans l’eau.

— Je crois que nous devrions partir pour Mont Royal à présent. Ici, l’armée n’est pas très intelligente.

— Ils ont d’autres préoccupations, mais vous avez sans doute raison. Mlle Péret pense qu’on attend un physicien. Si c’est vrai, il devrait pouvoir prévenir tout autre accident tragique.

— Je me demande, docteur, pourquoi vous avez tellement envie d’aller à Mont Royal ? demanda Aragon, juste avant de partir.

La remarque avait l’air d’être une sorte d’excuse pour des soupçons antérieurs, mais Sanders se mit à rire, sur la défensive. Il haussa les épaules.

— Deux de mes amis les plus chers sont dans la région touchée. Tout comme le confrère américain de Louise. Nous sommes naturellement inquiets à leur sujet. L’armée sera automatiquement tentée d’interdire tout accès à la région en attendant la suite des événements. Ils chargeaient des barbelés et des clôtures à la caserne de Port Matarre hier. Pour ceux qui seraient pris au piège à l’intérieur de ce cordon de troupes, ce serait à peu près comme s’ils se trouvaient gelés dans un glacier.

V. La forêt cristallisée

À huit kilomètres de Mont Royal, le fleuve devint plus étroit, il avait à peine cent mètres de large. Aragon réduisit la vitesse de leur bateau à quelques nœuds, gouvernant entre les îlots de détritus dérivant sur l’eau, et évitant les longues plantes grimpantes retombant des hauts murs de la jungle de part et d’autre du fleuve. Assis à l’avant, le Dr Sanders fouillait des yeux la forêt, mais les grands arbres étaient encore sombres et immobiles.

Ils émergèrent dans une zone plus dégagée où sur la rive droite on avait coupé une partie des broussailles pour faire une petite clairière. Au moment où le Dr Sanders montrait un groupe de bâtiments à l’abandon, un bruit stupéfiant éclata sur la voûte de la forêt comme si l’on avait monté un énorme moteur sur les plus hautes branches. Un instant plus tard un hélicoptère s’élança au-dessus des arbres.

Il disparut rapidement, le bruit se répercutant à travers le feuillage. Les quelques oiseaux autour d’eux voletèrent dans l’obscurité de la forêt et les crocodiles paresseux s’enfoncèrent dans l’eau couleur d’écorce. Quand l’hélicoptère plana de nouveau à quelque quatre cents mètres d’eux, Aragon arrêta le moteur et tourna l’hydroglisseur vers la rive, mais Sanders secoua la tête.

— Autant continuer, commandant. Nous ne pouvons traverser la forêt à pied. Plus haut nous remonterons le fleuve et mieux cela vaudra. Ils continuèrent d’avancer, l’hélicoptère tourna au-dessus d’eux, montant parfois à une hauteur de deux à trois cents mètres comme pour mieux voir le fleuve sinueux, parfois redescendant à 50 mètres d’eux, ses roues touchant presque la surface de l’eau. Puis, brusquement, il fila bruyamment et fit un large circuit au-dessus de la forêt.