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— Oui, des fleurs et des feuilles. Sanders décida de ne point faire mention du noyé du matin. Aussi franc et aimable que parût être le jeune médecin militaire, Sanders voulait avant tout arriver dans la jungle. S’ils le soupçonnaient de la plus infime complicité dans la mort de Matthieu, il pourrait fort bien se retrouver retenu par des enquêtes militaires sans fin. Le marché indigène en est plein, continua-t-il, ils les vendent comme bibelots, comme curiosités.

— Cela fait bien un an que cela dure, fit Radek avec un signe de tête. D’abord, c’était des bijoux bon marché, des petites sculptures, des objets sacrés. Récemment, il s’en est fait tout un commerce ici. Les indigènes emportaient des petites sculptures sans valeur dans la zone active, les y laissaient pendant la nuit et revenaient les prendre le lendemain. Malheureusement, une partie des objets, les bijoux en particulier, ont tendance à se dissoudre.

— Le mouvement rapide ? demanda le Dr Sanders. Je l’ai remarqué. C’est un effet curieux, cette décharge de lumière. Déconcertant pour ceux qui porteraient ces bijoux.

— Pour les bijoux, cela avait peu d’importance, fit Radek avec un sourire, mais certains des mineurs indigènes se mirent à utiliser la même technique pour les petits diamants qu’ils emportaient en fraude. Comme vous le savez, les mines de diamants ici ne produisent pas de pierres gemmes et tout le monde fut naturellement très surpris quand des pierres de cette taille commencèrent à apparaître sur le marché. Les actions grimpèrent d’une manière fantastique à la Bourse de Paris. C’est comme cela que tout a débuté. On envoya un homme faire une enquête et il finit dans le fleuve.

— Cela touchait à certains intérêts.

— Oui, intérêts qui existent toujours. Nous ne sommes pas les seuls à vouloir tenir l’affaire secrète. Les mines ici n’ont jamais rapporté de gros profits. Radek parut sur le point de révéler quelque chose puis changea d’avis, conscient peut-être de la réserve de Sanders. Bon, je pense que je puis vous dire, confidentiellement, bien entendu, que ce n’est point la seule région touchée du globe. Actuellement, il existe au moins deux autres zones, l’une dans les Everglades de Floride, l’autre dans les marais du Pripet en Union soviétique. Et naturellement toutes deux sont l’objet de recherches intensives.

— Alors l’effet est déjà compris ?

— Pas du tout. L’équipe soviétique est dirigée par Lysenko. Comme vous pouvez l’imaginer, ils perdent leur temps. Il est persuadé que des mutations non héréditaires sont à l’origine de l’effet et qu’on pourra accroître le rendement des récoltes parce qu’il y a accroissement apparent du poids des tissus. Radek eut un rire las. Je voudrais bien voir un de ces Russes endurcis essayer de mâcher un morceau de ce verre cristallisé.

— Quelle est la théorie de Tatlin ?

— En gros, il est d’accord avec les spécialistes américains. Je lui ai parlé sur les lieux mêmes ce matin. Radek ouvrit un tiroir et en sortit quelque chose qu’il fit glisser sur le bureau vers Sanders. On eût dit du cuir cristallisé, émettant une douce lumière. C’est un morceau d’écorce que je montre à nos visiteurs.

— Merci, mais j’ai vu le satellite hier, fit Sanders en repoussant l’objet vers Radek.

Le capitaine hocha la tête, poussa l’écorce avec sa règle dans le tiroir qu’il referma, évidemment content de ne plus avoir sous les yeux cette pièce à conviction. Il se frotta les mains.

— Le satellite ? Oui, un spectacle impressionnant. Vénus a maintenant deux lampes. Et cela ne s’arrête pas là, apparemment. À l’observatoire du Mont Hubble aux Etats-Unis, ils ont vu l’efflorescence de lointaines galaxies !

Radek fit une pause, et avec un effort visible rassembla son énergie.

— Tatlin croit que cet Effet Hubble, comme on l’appelle est plus proche du cancer que de toute autre chose, et à peu près aussi guérissable. Une prolifération, en fait, de l’identité subatomique de toute matière. Comme si une séquence d’images déplacées mais identiques du même objet étaient produites par réfraction à travers un prisme, mais avec l’élément du temps remplaçant le rôle de la lumière.

On frappa à la porte. Le sergent se montra.

— Le groupe d’inspection est prêt à partir.

— Bien. Radek se leva, prit son képi accroché au mur. Nous allons y jeter un coup d’œil, je suis sûr, docteur, que vous serez impressionné.

Cinq minutes plus tard, le groupe de visiteurs, une douzaine à peu près, partit dans une embarcation amphibie. Le père Balthus n’était pas parmi eux et Sanders se dit qu’il avait dû rejoindre sa mission par la route. Cependant, quand il demanda à Radek pourquoi ils ne prenaient pas la grande route pour aller à Mont Royal, le capitaine lui dit qu’elle était barrée. En réponse à la requête de Sanders, le capitaine s’arrangea pour contacter par téléphone de campagne la clinique où travaillaient Suzanne et Max Clair. Le propriétaire de la mine tout à côté, un Suédo-Américain du nom de Thorensen, leur apprendrait l’arrivée de Sanders et avec un peu de chance, Max pourrait venir l’attendre sur le quai.

Radek ne savait pas où se trouvait Anderson.

— Cependant, expliqua-t-il à Louise avant de s’embarquer, nous avons eu nous-mêmes de grandes difficultés pour prendre des photographies. Les cristaux ont l’air de neige mouillée, et à Paris on est sceptique. Il est peut-être quelque part à attendre de pouvoir faire une photo convaincante.

Quand il s’assit près du conducteur à l’avant de l’embarcation amphibie, le Dr Sanders fit de la main un signe d’adieu à Louise Péret, qui le regardait du quai de l’autre côté du barrage de pontons. Il lui avait promis de revenir la chercher avec Max après avoir visité la forêt, mais Louise avait cependant essayé sans conviction de l’empêcher de partir.

— Edward, attendez que je puisse venir avec vous, c’est trop dangereux pour vous.

— Ma chère, je suis en de bonnes mains, le capitaine veillera à ce que tout se passe bien.

— Il n’y a aucun danger, mademoiselle Péret, la rassura Radek. Je le ramènerai sain et sauf.

— Mais je ne pensais pas à… Elle embrassa Sanders à la hâte et revint auprès d’Aragon assis dans l’hydroglisseur, parlant à deux soldats. La présence du barrage paraissait séparer en deux la forêt, marquer une frontière au-delà de laquelle ils entraient dans un monde où les lois normales de l’univers physique étaient suspendues. Le groupe était un peu déprimé, les officiels et les spécialistes français s’étaient assis à l’arrière comme pour mettre autant de distance que possible entre eux et ce qui les attendait.

Pendant dix minutes ils avancèrent entre les murs verts de la forêt glissant de chaque côté de l’engin. Ils rencontrèrent un convoi de vedettes à moteur reliées les unes aux autres derrière une péniche de débarquement. Toutes étaient pleines à ras bord, les ponts et les toits des cabines chargés de meubles et objets ménagers de toutes sortes, voitures d’enfants, matelas, machines à laver, ballots de linge, si bien qu’il restait à peine quelques centimètres vides au milieu des bateaux. Des enfants belges et français au visage sérieux étaient assis par-dessus le chargement, leur valise sur les genoux. Leurs parents, les traits figés, regardèrent Sanders et ses compagnons quand ils passèrent.

Le dernier bateau les dépassa, traîné à travers l’eau troublée. Sanders se retourna et le suivit des yeux.

— Vous évacuez la ville ? demanda-t-il à Radek.

— Elle était à moitié vide quand nous sommes arrivés. La zone touchée par l’effet se déplace d’un endroit à l’autre, il serait trop dangereux pour eux de rester.