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— C’est Thorensen, expliqua Radek. Un des propriétaires de mines. On dirait qu’il n’a pas pu prévenir vos amis. Mais il a peut-être des nouvelles.

L’homme, une main sur le capot de la voiture, scrutait les toits environnants. Le col de sa chemise blanche était ouvert, et il se grattait le cou d’un air d’ennui. Bien que d’une stature puissante, il y avait quelque chose de faible, d’égoïste dans son long visage charnu.

— Radek ! hurla-t-il, je n’ai pas toute la journée à perdre. C’est lui, Sanders ? Il fit un signe de tête au médecin.

— Écoutez, je les ai trouvés pour vous, ils sont à l’hôpital de la mission près du vieil hôtel Bourbon. Ils devaient venir ici, lui et sa femme. Mais il a téléphoné il y a dix minutes pour dire que sa femme était partie quelque part et qu’il fallait qu’il aille la chercher.

— Partie quelque part ? dit Sanders. Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Comment le saurais-je ? Thorensen grimpa dans l’auto, enfonça avec effort son grand corps dans le siège comme s’il chargeait un sac de farine. De toute façon, il a dit qu’il serait ici ce soir à 6 heures. Ça va, Radek ?

— Merci, Thorensen, nous serons là.

Thorensen, après un dernier signe de tête, fit marche arrière dans un nuage de poussière. Il partit à vive allure et faillit presque renverser un soldat qui passait.

— Un diamant brut, commenta Sanders. Si l’on peut utiliser cette expression ici. Croyez-vous qu’il ait vraiment téléphoné aux Clair ?

— Probablement, fit Radek avec un haussement d’épaules. On ne peut pas vraiment compter sur Thorensen, mais je lui ai rendu un petit service, des médicaments. Un homme difficile à comprendre, toujours en train de manigancer quelque chose. Mais il nous a été utile. Les autres propriétaires de mines sont partis mais Thorensen a toujours son gros bateau.

Sanders regarda autour de lui, se rappelant l’aventure de Ventress à Port Matarre.

— Un yacht ? Avec un canon décoratif ?

— Décoratif ? Cela ne lui ressemble guère, fit Radek en riant. Je ne me rappelle pas ce bateau. Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Il me semble que je l’ai déjà vu. Que faisons-nous à présent ?

— Rien. L’hôtel Bourbon est à 5 kilomètres d’ici, c’est une vieille ruine, si nous y allons, nous ne serons peut-être pas de retour à temps.

— C’est étrange que Suzanne Clair disparaisse comme cela.

— Elle avait peut-être un malade à voir. Ou croyez-vous que ce soit à cause de votre venue ?

— J’espère que non. Sanders boutonna sa veste. Autant aller jeter un coup d’œil à la forêt en attendant que Max arrive.

Ils suivirent le groupe des visiteurs qui tournait dans une rue latérale. Ils approchèrent de la forêt, bordant la route à quelque quatre cents mètres. La végétation était plus clairsemée, de l’herbe poussait par touffes sur le sol sablonneux. Dans la clairière on avait établi un laboratoire ambulant dans une caravane et un peloton de soldats allaient çà et là, coupaient des fragments d’arbres qu’ils posaient comme des morceaux de vitraux sur une rangée de tables dressées sur des tréteaux. Le corps de la forêt encerclait la ville à l’est, coupant la grand-route vers Port Matarre et le sud.

Les visiteurs se divisèrent en petits groupes de deux ou trois personnes et se mirent à marcher au milieu des fougères de glace s’élevant du sol cassant. La surface sablonneuse paraissait étrangement dure, recuite, et des petites pointes de sable vitrifié dépassaient la croûte neuve.

À quelques mètres de la caravane, deux techniciens faisaient tourner plusieurs des branches gainées de cristaux dans une centrifugeuse. Cela donnait un rayonnement continu tandis que des éclats de lumière s’élançaient hors de l’appareil et disparaissaient dans l’air. Dans toute la zone à l’étude, jusqu’à la barrière qui en limitait le périmètre sous les arbres, les soldats et les visiteurs se retournèrent pour regarder. Quand la centrifugeuse s’arrêta, les techniciens examinèrent la coupe. Au fond était collée une poignée de branches molles aux feuilles décolorées et humides, dépouillées de leurs gaines. Sans faire de commentaires, un des techniciens montra au Dr Sanders et à Radek le réceptacle à liquide au-dessous. Il était vide.

À vingt mètres de la forêt, un hélicoptère s’apprêtait à s’envoler. Ses lourdes lames tournaient comme des faux courbées vers le sol et provoquaient un flamboiement de la végétation qu’elles déplaçaient aux alentours. Avec un brusque mouvement de côté il s’envola laborieusement, se balança en l’air puis fila au-dessus de la voûte des arbres, et les pales battantes avaient peine à le faire s’élever. Les soldats et les officiels en visite s’arrêtèrent pour observer l’éclatante décharge de lumière qu’irradiaient comme un feu de Saint-Elme les pales. Puis, avec un grondement brusque comme le rugissement d’un animal blessé, l’appareil glissa en arrière et plongea, la queue la première, vers les arbres à cent pieds au-dessous, les deux pilotes visibles aux commandes. Des sirènes mugirent là où se trouvaient garées les autos d’état-major autour de la zone d’inspection et il y eut une ruée concertée vers la forêt quand disparut l’hélicoptère.

En courant sur la route, le Dr Sanders sentit son impact avec le sol. Des ondes de lumière vibraient à travers les arbres. La route menait vers le point de chute, et l’on voyait de temps à autre quelques maisons apparaître au bout d’allées désertes.

— Les pales se sont cristallisées pendant qu’il était près des arbres ! hurla Radek en grimpant par-dessus la clôture encerclant la zone. On pouvait voir la déliquescence des cristaux. Espérons que les pilotes sont sains et saufs.

Un sergent leur barra la route, fit signe de reculer à Sanders et aux autres civils groupés le long de la clôture. Radek hurla quelque chose au sergent qui laissa passer Sanders et détacha une demi-douzaine de ses hommes pour les accompagner. Ils coururent devant Sanders et Radek, s’arrêtant tous les vingt mètres pour regarder entre les arbres.

Ils furent bientôt au cœur de la forêt. Ils avaient pénétré dans un monde enchanté. Les arbres de cristal qui les entouraient étaient festonnés d’un treillis de mousses vitrifiées. L’air était nettement plus frais comme si tout eût été gainé de glace, mais un jeu de lumière incessant se déversait à travers la voûte au-dessus de leurs têtes.

Le processus de cristallisation était ici plus avancé. Les clôtures, le long de la route, étaient recouvertes d’une croûte si épaisse qu’elles formaient une palissade continue avec une gelée blanche d’une épaisseur de vingt centimètres sur chaque face. Les quelques maisons entre les arbres étincelaient comme des gâteaux de mariage, leurs toits et leurs cheminées blanches transformés en minarets exotiques, en dômes baroques. Sur une pelouse d’aiguilles de verre émeraude un tricycle d’enfant luisait tel un bijou rare de Fabergé, les roues étoilées comme de brillantes couronnes de jaspe.

Les soldats étaient toujours en avant du Dr Sanders, mais Radek restait en arrière, boitillant, s’arrêtant pour tâter la semelle de ses bottes. Sanders comprenait à présent pourquoi l’on avait fermé la route de Port Matarre. La surface du chemin n’était plus qu’un tapis d’aiguilles, de pointes de verre et de quartz de quinze à vingt centimètres de haut réfléchissant la lumière colorée des feuilles. Les pointes déchirèrent les chaussures de Sanders, le forcèrent à s’avancer sur le côté de la route, s’appuyant des mains aux arbres.