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— Ne dites pas de sottises ! Ventress lança un juron. C’est le dernier de mes soucis, les pierres précieuses ne sont pas rares dans la forêt, docteur. D’un geste méprisant, il gratta un morceau de cristal sur l’étoffe de son complet. Si vous le désirez, je peux vous cueillir un collier de Régents.

— Que faites-vous ici ? demanda calmement Sanders. Dans cette maison ?

— Thorensen habite ici.

— Quoi ? Incrédule, Sanders examina de nouveau les meubles surchargés d’ornements, les miroirs aux cadres dorés, pensant à l’homme corpulent en complet bleu au volant de la Chrysler cabossée. Je ne l’ai vu qu’un moment, mais cela ne lui ressemble guère.

— Précisément. Je n’ai jamais vu un tel mauvais goût. Ventress hocha la tête. Et croyez-moi, comme architecte, j’en ai vu ! Toute la maison n’est qu’une pathétique plaisanterie. Il montra l’un des divans de marqueterie avec un chevet en spirale qui s’était transformé en une brillante parodie d’un cartouche rococo, la volute se tordant comme les cornes trop longues d’une chèvre. Louis XIX, peut-être ?

Emporté par ses sarcasmes contre l’absent, Ventress avait tourné le dos à la fenêtre. Sanders regarda derrière lui et vit le crocodile pris au piège dans la rivière se soulever sur ses faibles pattes, comme s’il cherchait à mordre un passant. Interrompant Ventress, Sanders le montra du doigt, mais une voix le devança.

— Ventress !

Le cri, un cri de colère et de défi, venait d’un massif d’arbustes de cristal, à gauche, à la limite de la pelouse. Une seconde plus tard un coup retentit dans l’air froid. Ventress se retourna, repoussa Sanders d’une main, la balle s’écrasa dans le plafond au-dessus de leur tête et fit tomber un énorme morceau de lattis gelé qui vola en éclats autour de leurs pieds sur une masse d’aiguilles aplaties. Ventress eut un mouvement de recul puis tira aveuglément dans le massif d’arbustes. Les détonations éveillèrent des échos dans les arbres pétrifiés, qui tremblèrent et laissèrent tomber leurs cristaux d’éclatantes couleurs.

— Baissez-vous ! Ventress s’aplatit au sol et rampa jusqu’à l’autre fenêtre, puis fit passer le canon de son fusil à travers les vitres couvertes de gelée. Après un premier instant de stupéfaction et de panique, il avait retrouvé ses esprits et parut même heureux de se voir offrir cette chance d’une confrontation. Il examina le jardin, puis se releva quand les craquements d’un arbre à quelque distance parurent indiquer la retraite de leur assaillant caché. Il se dirigea alors vers Sanders, debout, le dos au mur, près de la fenêtre.

— Ça va, il est parti.

Sanders hésita avant de bouger. Il observa les arbres au bord de la pelouse, essayant de montrer le moins possible de lui-même. Au fond de la pelouse, encadré par deux chênes, un belvédère blanc avait été métamorphosé par le gel en une énorme couronne de cristal. Ses châssis de verre scintillaient comme des bijoux enchâssés, on eût dit que quelqu’un bougeait derrière eux. Cependant Ventress restait en vue, debout devant la fenêtre et étudiait la scène au-dessous de lui.

— Était-ce Thorensen ? demanda Sanders.

— Bien entendu. Cette brève passe d’armes paraissait avoir détendu Ventress. Le fusil mollement posé dans le creux de son coude, il se promena autour de la chambre, s’arrêtant par moments pour inspecter le trou laissé par la balle dans le plafond. Pour quelque obscure raison, il semblait persuadé que Sanders était de son côté dans ce duel, peut-être parce que le médecin l’avait déjà sauvé à Port Matarre. Les actes de Sanders, cependant, n’avaient guère été que des réflexes, Ventress ne pouvait l’ignorer, et il n’était point homme à se croire l’obligé d’un autre, quoi qu’il ait pu faire pour lui. Sanders se dit qu’en réalité Ventress avait senti entre eux quelques affinités pendant leur voyage en bateau depuis Libreville et que sa sympathie ou son hostilité devaient être souvent fondées sur ces rencontres de hasard.

Dans le belvédère, les mouvements avaient cessé. Sanders sortit de sa cachette derrière la fenêtre.

— Ce sont des hommes de Thorensen qui vous ont attaqué à Port Matarre ?

— Vous pourriez bien avoir raison, docteur, fit Ventress avec un haussement d’épaules. Mais ne vous inquiétez pas, je vous protégerai.

— Vous aurez fort à faire car ces tueurs ne plaisantaient pas. D’après ce que m’a dit le capitaine au camp de base, les compagnies minières ne se laisseront arrêter par rien.

Ventress hocha la tête, exaspéré par l’incompréhension de Sanders.

— Docteur ! Vous persistez à découvrir les raisons les plus banales… Vous n’avez évidemment aucune idée de vos motifs réels. Pour la dernière fois, ce ne sont pas les maudites mines de diamants de Thorensen qui m’intéressent. Thorensen ne s’y intéresse pas non plus. Ce qu’il y a entre nous — il s’arrêta, regarda d’un air vague à travers la fenêtre, son visage montrant pour la première fois des signes de fatigue. D’une voix égarée, comme se parlant à lui-même, il continua : « Croyez-moi, j’ai du respect pour Thorensen. Aussi fruste qu’il soit, il comprend que nous avons le même but, et que ce n’est qu’une question de méthode — Ventress alors se détourna. Il vaut mieux que nous partions à présent, déclara-t-il. Il n’y a plus aucune raison de rester. Où allez-vous ? »

— À Mont Royal, si c’est possible.

— Mais ce ne sera pas possible. Ventress montra la forêt par la fenêtre. Le centre de l’orage est exactement entre la ville et l’endroit où nous sommes. Votre seul espoir est d’atteindre le fleuve et de le suivre jusqu’au camp de base de l’armée. Qui cherchez-vous ?

— Un ancien confrère à moi et sa femme. Connaissez-vous l’hôtel Bourbon ? C’est à quelque distance de la ville. L’hôpital de la mission est près de cet hôtel.

— Bourbon ? Le visage de Ventress se plissa. Vous vous trompez de siècle, vous voilà de nouveau hors du temps, Sanders. Il se dirigea vers la porte. C’est une vieille ruine, au diable vauvert. Il faudra que vous restiez avec moi jusqu’à ce que nous ayons atteint l’orée de la forêt. Après vous pourrez essayer de retourner au camp.

Tâtant chaque marche du pied, ils descendirent l’escalier cristallisé. À mi-chemin, Ventress qui marchait en avant, s’arrêta et fit signe à Sanders d’avancer.

— Mon revolver. Il tapa sur l’étui suspendu à son épaule. Je vous suis, regardez si on voit quelque chose de la porte.

Il revint sur ses pas et Sanders traversa la grande salle vide. Il s’arrêta au milieu des piliers de pierres précieuses, peu pressé, malgré les instructions de Ventress, de s’exposer à servir de cible dans la large porte du portique à colonnes. Du centre de la salle, le jardin et les arbres paraissaient silencieux. Il se tourna, attendit au milieu des piliers, près de l’alcôve à sa gauche. Des douzaines de reflets de lui-même brillaient dans les murs et les meubles gainés de verre.

Sanders leva involontairement les mains pour saisir les arcs-en-ciel de lumière autour de son costume et de son visage. Une légion d’El Dorado, ayant tous ses traits, reculaient dans les miroirs, il n’eût jamais pu espérer tant d’images de lui-même en homme de lumière. Il étudia son reflet de profil, remarquant à quel point les bandes de couleur adoucissaient ses traits tendus, la ligne de sa bouche, de ses yeux, estompant les traces du temps qui avaient durci les tissus comme les écailles mêmes de la lèpre. Un instant il parut de vingt ans plus jeune, avec ces teintes rosées étalées sur ses joues plus habilement que ne l’eût fait un Titien ou un Rubens.

Il se mit alors à observer l’image en face de lui et il remarqua avec surprise qu’au milieu de ces reflets prismatiques de lui-même réfractés par le soleil il avait découvert un jumeau à la peau plus sombre. Le profil et les traits étaient vagues, mais la peau avait presque la couleur de l’ébène et reflétait les bleus et violets mouchetés de l’autre extrémité du spectre. Menaçant au milieu de ces hommes de lumière, le sombre personnage restait immobile la tête détournée comme s’il eût été conscient de son aspect négatif. Dans sa main baissée, une lance de lumière argentée luisait comme une étoile dans un calice.