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Sanders bondit brusquement derrière le pilier à sa gauche, tandis que le Noir caché dans l’alcôve se précipitait sur lui. Le couteau passa comme un éclair devant le visage de Sanders, sa blanche lumière plongeant parmi les reflets tournant tels des soleils ivres autour des deux hommes et des couleurs jaillissaient en flots de sang de leurs bras et de leurs jambes. Sanders envoya un coup de pied à la main du Noir ; il l’avait plus ou moins reconnu, c’était un des tueurs qu’il avait vus sur les passerelles de Port Matarre. Le Noir s’accroupit, son visage aigu, osseux presque entre ses genoux, et leva son couteau. Sanders recula vers l’escalier et aperçut alors le grand mulâtre en chemise de toile qui le guettait derrière une bibliothèque du salon, un pistolet automatique dans sa main coupée d’une cicatrice. Le gel donnait à son visage sombre une étrange luminosité.

Avant que Sanders pût crier, avertir Ventress, un coup partit, siffla dans l’air au-dessus de sa tête. Il se courba, vit le Noir au couteau tomber, se tordre de douleur. Le lacis troué dans le mur derrière lui glissa et se brisa sur un divan. Le Noir réussit à se relever et courut à travers l’entrée comme un animal blessé. Un second coup le suivit de l’escalier et Ventress descendit de son observatoire derrière la rampe. Son visage tendu caché derrière la crosse de son fusil, il fit signe à Sanders d’aller de l’entrée au salon. Le mulâtre caché derrière la bibliothèque traversa la pièce en courant, tira une fois en s’arrêtant sous le lustre et l’impact de l’explosion fit tomber en averse de lumière sur sa tête rasée les pendeloques de cristal taillé. Il cria quelque chose à un homme de haute taille vêtu d’une veste de cuir, debout devant le mur du fond. L’homme ouvrait un coffre-fort au-dessus de la cheminée décorative.

Le mulâtre le protégea en tirant à travers la porte. L’homme près du coffre-fort en sortit une boîte de métal tandis que Ventress renversait le porte-habits d’acajou en travers de la porte. La boîte métallique tomba et des douzaines de rubis et de saphirs s’éparpillèrent aux pieds de l’homme en veste de cuir. Sans se soucier de Ventress qui essayait de tirer sur le mulâtre, il se pencha, ses grosses mains ramassèrent une poignée de pierres précieuses. Ensuite, le mulâtre et lui tournèrent les talons, coururent vers les portes-fenêtres, brisant de leurs épaules les châssis légers.

Ventress sauta par-dessus la barricade et entra dans le salon, se faufila entre les canapés et les fauteuils trop capitonnés. Comme sa proie disparaissait entre les arbres, Ventress atteignit les fenêtres, rechargea son fusil avec des balles qu’il prit dans sa poche et tira un dernier coup à travers la pelouse.

Il pointa le canon sur Sanders quand ce dernier passa par-dessus le porte-habits pour entrer dans la pièce.

— Ça va, docteur, ils ont filé ? Ventress respirait rapidement, ses maigres épaules agitées par un excès d’énergie nerveuse. Qu’y a-t-il ? Il ne vous a pas touché ?

Sanders alla vers lui, écarta le canon du fusil toujours pointé sur lui et regarda fixement le visage osseux aux yeux surexcités de l’homme barbu.

— Ventress ! Vous saviez qu’ils étaient là ! Vous vous êtes vraiment servi de moi comme appât !

Il s’arrêta de parler, Ventress ne faisait aucune attention à lui ; près de la porte-fenêtre, il continuait à guetter, regardant à droite, à gauche. Sanders se détourna, soudain détendu, calme plutôt que fatigué. Il remarqua les joyaux étincelant par terre.

— Vous me disiez que Thorensen ne s’intéressait pas aux pierres précieuses.

Ventress tourna la tête, observa Sanders, puis le sol sous le coffre-fort. Il laissa presque tomber son fusil, se pencha, se mit à toucher les pierres, comme intrigué de les trouver là. Distraitement il en mit quelques-unes dans sa poche, puis finalement les ramassa toutes, et revint vers la fenêtre.

— Vous ne vous êtes pas trompé, Sanders, fit-il d’une voix sans expression, mais, croyez-moi, je pensais aussi à votre sécurité. Sortons d’ici, finit-il d’un ton sec.

En traversant la pelouse, Ventress s’attarda un instant derrière Sanders, pour la deuxième fois. Sanders s’arrêta, jeta un regard en arrière sur la maison qui se dressait derrière eux parmi les arbres comme un gâteau de mariage géant. Ventress contemplait des pierres précieuses dans le creux de sa main. Les étincelants saphirs glissèrent entre ses doigts, tombèrent derrière lui sur l’herbe scintillante de sequins, illuminant ses empreintes quand il pénétra sous les sombres voûtes de la forêt.

II. La gloriette

Ils suivirent pendant une heure la rivière fossilisée. Ventress marchait en tête, fusil en main, d’un pas vif et assuré, alors que Sanders boitillait derrière. De temps en temps ils passaient à côté d’un canot enchâssé dans la croûte de cristal, ou un crocodile vitrifié se soulevait, grimaçait silencieusement, la gueule pleine de joyaux, remuait dans sa faille de verre colorée.

Ventress guettait toujours l’apparition éventuelle de Thorensen. Lequel des deux poursuivait l’autre, Sanders ne put le découvrir, non plus que l’objet de leur lutte sanglante. Bien que Thorensen l’eût deux fois attaqué, Ventress paraissait presque l’encourager à continuer, s’offrant délibérément au danger, comme s’il tentait de prendre au piège le propriétaire des mines.

— Ne pouvons-nous retourner à Mont Royal ? hurla le Dr Sanders, éveillant des échos sous les voûtes. Nous nous enfonçons dans la forêt.

— Le chemin de la ville est coupé, mon cher Sanders. Mais ne vous inquiétez pas, je vous y amènerai en temps utile. Ventress franchit agilement une fissure à la surface de la rivière. Sous la masse de cristaux qui se dissolvaient, un mince filet d’eau ruisselait dans un profond chenal.

L’homme au complet blanc montrant toujours le chemin, ils pénétrèrent plus avant dans la forêt. Parfois ils tournaient en rond, comme si Ventress se familiarisait avec la topographie de ce monde crépusculaire. Chaque fois que le Dr Sanders s’asseyait pour se reposer sur l’un des troncs d’arbres vitrifiés et secouait les cristaux se formant sur ses semelles en dépit de leur marche constante, Ventress l’attendait impatiemment, l’observait avec l’air de se demander s’il allait l’abandonner à la forêt. L’air était toujours glacé et les ombres denses les cernaient, ou se déployaient autour d’eux.

Comme ils se dirigeaient vers le cœur de la forêt, laissant derrière eux la rivière dans l’espoir de rejoindre le fleuve un peu plus bas, ils retrouvèrent l’épave de l’hélicoptère qui s’était écrasé dans les bois un peu plus tôt.

Quand ils passèrent à côté de l’engin gisant comme un fossile blasonné dans un creux à la gauche du chemin, le Dr Sanders ne le reconnut pas. Ventress s’arrêta. L’air sombre, il montra l’énorme machine et Sanders se rappela l’hélicoptère plongeant dans la forêt à 800 mètres de la zone d’inspection. Les quatre pales tordues, gelées et nervurées comme les ailes d’une mouche géante, étaient déjà recouvertes par les treillis de cristal tombant des arbres proches. Le fuselage à demi enfoncé dans le sol s’était épanoui en un énorme joyau translucide et dans ses profondeurs solides, comme chevaliers emblématiques enchâssés dans une bague de pierre médiévale, les deux pilotes étaient assis pétrifiés devant le tableau de bord. Leurs casques d’argent émettaient une fontaine de lumière sans fin.